Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002
Décollage
ici.
Expérience
précédente : The Lijiang Experience (Pt. 25).
02
novembre 2002 – 17 novembre 2002 : The Miao Experience, de
Lijiang (Yunnan) à Guilin (Guangxi), en passant par Dali (Yunnan),
Xiaguan (Yunnan), Kunming (Yunnan), Guiyang (Guizhou), Kaili
(Guizhou), Leishan (Guizhou), Xinjiang (Guizhou), Lengde (Guizhou),
Rongjiang (Guizhou), Zhaoxing (Guizhou) et quelques autres villages
dont j'ignore le nom.
À
onze heures cinquante précises, le bus démarre. Je vois défiler
les immeubles et ça devient carrément un exploit de ne pas me
mettre à chialer, mais je ne veux pas me donner en spectacle. Je me
lie d'amitié avec trois Chinois et deux Coréens, qui partagent
comme toujours tout ce qu'ils grignotent avec moi (parmi lesquelles
des choses fort mystérieuses et assez infectes, mais pas que...).
Le
bus me dépose à Dali vers seize heures. En dépit des éloges que
l'on m'a fait de la petite ville, je la trouve tout à fait
quelconque, du moins comparée à Lijiang. C'est assez moche, c'est
assez crade, et surtout le comportement des gens est tout à fait
différent. Là où, à Lijiang, on vous fiche une paix royale, les
habitants de Dali vous abordent à tour de bras pour vous vendre ceci
ou cela, au point qu'on se croirait en Inde ! Une vieille femme
insiste tant pour m'attirer dans son magasin que j'accepte, et on me
traîne avec d'autres touristes dans l'arrière-boutique. Sur une
table trône une quantité effarante d'herbe. L'odeur a beau être
aguichante, je m'empresse de filer, craignant une descente de police
qui pourrait me coûter cher alors même que je n'ai rien acheté. Je
me dégote un lit à la Guesthouse No. 4 (c'est son nom, ne me
demandez pas où sont les trois premières...). Le grand jardin, très
joli, est appréciable, mais l'immense dortoir où je suis censé
dormir est assez repoussant : c'est une grande salle tout en
longueur, obscure et dénudée. L'air de Dali a cette épaisseur
tropicale dont, pour cause d'altitude, Lijiang était démunie. La
végétation aussi est différente.
Je
me pose un temps dans le jardin de la guest-house
et, inévitablement, j'évoque par écrit mes meilleurs souvenirs de
la Lijiang Experience,
toutes ces rencontres, toute cette humanité... Déjà je suis
nostalgique. Je fais ensuite la connaissance d'un couple hollandais
d'une cinquantaine d'années, qui m'apprend que les Hollandais ont
dix semaines de congés payés par an ! Voilà un pays
civilisé !
Je
m'enferme finalement dans un troquet sombre et vaguement branché,
où un DJ mixe du trip-hop. En fait, entre ma nuit blanche et mon
départ de Lijiang, je suis complètement déprimé, alors je décide
de noyer mon chagrin dans la bière et de n'aller m'écrouler que
complètement sec. Une fois atteint un degré d'ébriété
raisonnable, j'écris un très mauvais poème nommé Comment
& pourquoi je me suis bourré la face à Dali un samedi soir,
dont les quelques fragments récupérables finiront eux-aussi dans
Lijiang, Yunnan.
Lorsque je n'en puis plus, je rentre m'effondrer dans le dortoir. Je
m'assoupis sans peine malgré les ronflements intempestifs de mon
voisin et le happening d'un Chinois obèse, qui débarque en parlant
tout seul, se cognant dans tous les lits.
J'émerge
en fin de matinée. Il y a un jeune Chinois accroupi à côté de ma
table de nuit, en train d'ausculter mes lunettes avec fascination,
qui s'enfuit dès qu'il réalise que je l'observe ! Bon... Je
bois deux cafés d'affilée dans le jardin, il y a deux flics en
uniforme qui jouent au ping-pong. La vendeuse du magasin d'à côté,
à qui j'achète une bouteille d'eau, tient à son tour à me
convaincre de lui acheter de l'herbe. Cet endroit décidément ne
m'inspire rien. Je file dès que possible sur Kunming. Cela implique
une halte dans une cité nommée Xiaguan (prononcer « Shiaguan »)
et normalement je devrais attraper un train pour Guiyang dans la
foulée. Mais un accident routier nous bloque longuement sur la
route, et je me retrouve contraint de dormir à Kunming. Un taxi
refuse de me prendre (!), et un autre me dépose devant un hôtel
recommandé par le Lonely
Planet.
Je me retrouve devant un immeuble qui semble désaffecté, et grimpe
trois étages, tout ça pour qu'un type m'annonce que l'hôtel est
fermé (l'incident se reproduira, avec un autre hôtel, en 2009 :
ne croyez jamais
votre Lonely Planet
s'il s'agit de trouver un hôtel à Kunming !). L'homme me donne
la carte d'un autre établissement où je ne me rendrai jamais. À la
place, j’erre jusqu'à en trouver un qui me convienne, sur Beijing
Lu. Kunming est comme toutes les grandes villes chinoises, polluée
et bétonnée dans tous les sens. Mais comme ailleurs, les habitants
paraissent détendus. Il y avait, parait-il, une vielle ville plutôt
charmante autrefois, mais les délires du Maoisme l'ont rasée au
profit des HLM...
Je
dîne et m'installe au Camel Bar, un pub à l'occidentale. À
peine arrivé, je tombe nez-à-nez sur... Jenny, la patronne du
Prague Café ! Elle est revenue superviser le chantier de son
nouveau troquet et nous conversons cinq minutes. Je prends note de
quelques considérations sur l'état (déplorable) du monde en buvant
de la bière. À
la table d'à côté se sont installées quatre jeunes filles, qui
acceptent volontiers que je me joigne à elles. Il y a deux
Canadiennes (dont une Melissa), une Américaine et une Japonaise et
nous papotons un long moment en picolant. Vers une heure du matin,
bien raide, je rentre à la guest-house.
Je trouve un homme assoupi dans le second lit de la chambre et c'est
à la lueur de ma lampe de poche que je consigne « souviens-toi
du regard de Melissa ! » sur mon cahier. Après quoi je
m'écroule en bonne et due forme.
Le
regard de Melissa... Elle était belle, Melissa, mais plus que son
physique, c'est son regard qui m'a fasciné. Un regard
« yeux-plissés-joues-rentrées », qui hurlait
« Mate-moi ! Mate-moi comme je suis belle et surtout
intelligente ! ».
Le genre de regard qui vous perd dans d'interminables jeux de
séduction. Le lendemain, je prendrai note de tout ce qu'éveille en
moi ce regard, que je sais pratiquer lorsqu'il le faut, que d'autres
pratiquent en permanence. Un regard too
much.
Trop too much,
je crois, pour exprimer l'assurance naturelle. Plutôt l'expression
triomphante, jubilatoire, d'une timidité enfin domptée. Ceux qui
n'ont jamais été timides ne peuvent pas, en tout état de cause,
jouir à ce point de ne pas l'être. Je ne saurai jamais ce qu'il en
est pour Melissa, mais je n'oublierai jamais ses yeux ce soir-là.
Je
me réveille avec ma seconde gueule de bois consécutive et un
roommate
iranien en train de bloquer sur MTV. C'est un homme charmant, très
raffiné, à l'énergie féminine agréable. Au bar de l'hôtel, je
rencontre un professeur d'anglais américain élevé au Zimbabwe, la
cinquantaine et bon-vivant. Il bégaye, chose un peu curieuse pour un
prof de langues, et sous-entend qu'il peut payer son pétard. Mais je
suis assez dans les choux comme ça sans aller m'enfumer par-dessus
le marché. J'ai tout une journée à tuer alors j'explore le
quartier, et consulte mes mails. Ma princesse indienne m'adresse une
missive assez glaciale pour me dire qu'elle a appelé ma régie,
qu'ils sont fort mécontents, qu'elle est elle-même assez fâchée
d'avoir eu à parler à ces gens odieux, et c'est tout. Je lui
réponds un email gentil pour la remercier, glandouille un peu sur
internet, puis à nouveau au Camel Bar où je suis le seul client.
Devant moi, un panneau indique qu'il est interdit
de danser !
OK, je n'en avais pas vraiment l'intention de toute façon. Je
termine enfin La pierre
angulaire
et, à la nuit tombante, je file à la gare. Un train m'emporte vers
Guiyang.
Au
petit matin, je découvre Guiyang et apprends que je dois attendre
midi pour attraper un bus. Je dépose mon sac à la consigne et m'en
vais voir à quoi ressemble la capitale du Guizhou. Je ne suis pas
déçu ! Bien plus arriérée que Kunming, Guiyang est plus
proche de la reculée Hothot, mais dans un tout autre genre :
plutôt qu'une urbanité laissée à l'abandon c'est davantage d'une
urbanité mal pensée qu'il s'agit. La métropole semble issue de
l'imagination d'un architecte dément des années soixante-dix. On y
trouve des bâtiments de toutes les formes, des « tunnels
aériens » qui relient des immeubles entre eux par le haut, des
couleurs bleues et orange à tire-larigot... Yanli m'avait déjà
confié son aversion pour cette ville, le trou du cul de la Chine à
l'en croire, mais en fait c'est plutôt drôle d'être là. On a
l'impression de faire un bond dans le temps, de se retrouver en
1972 ! Dans un petit parc, j'assiste à la urban
dancefloor guerilla
d'une cinquantaine de vieillards. Au lieu de pratiquer le
traditionnel qi-cong,
ils dansent ! Une petite sono répands dans l'air de douces
mélodies orientales (dont une chanson hypnotique, une sorte de
ballade synthpop
qui m'évoque le Too
Shy
de Kajagoogoo mais avec une touche totalement chinoise – je
donnerais n'importe-quoi pour avoir ça en mp3 mais c'est un morceau
que, malheureusement, je ne retrouverai jamais !) et les couples
se font et se défont au gré des chansons. C'est très touchant, je
les regarde faire en pensant aux petits vieux français qui vivent
souvent isolés dans leurs appartements. Que n'avons-nous, en France,
ces traditionnels mini-bals que les Chinois pratiquent au matin ou au
soir, dans les rues, dans les parcs... Cela au moins créé du lien
social pour les personnes âgées !
Mon
bus, évidemment, part en retard, puis me dépose dans la petite
ville de Kaili. En route, le chauffeur diffuse un Bollywood doublé
en chinois, une espèce de film d'action avec un héros syndicaliste,
des bagarres, des méchants, des chansons et deux superbes héroïnes.
Lorsque la copine du héros fait sa déclaration d'amour, on obtient
une Indienne qui dit « wo ai ni » à un Indien, et c'est
assez grotesque. Après ça, j'ai droit à un sitcom
Chinois où tout tourne autour d'un gros et d'un restaurant. Moi, je
ne me nourris plus que de nouilles chinoises en bolino.
Un
second bus m'abandonne ensuite un peu au milieu de nulle part, dans
un endroit nommé Leishan. Leishan et Kaili sont deux petites villes
fort laides, mais les paysages qui les séparent sont ébouriffants :
collines taillées de rizières en terrasses, petits ponts de pierre
qui enjambent les cours d'eau... Le Guizhou me séduit... Mon hôtel
se trouve au bord d'une route, un peu en dehors de la ville. La
douche ne marche pas et ça me navre au plus haut point, mais la
chambre est très propre. J'entame la lecture de Skull
session,
un thriller fantastique de Daniel Hecht récupéré à Lijiang, qui
me happe dès les premières pages.
Demain,
je vais enfin voir les Miaos ! J'étais, après tout, venu pour
ça.
Prochaine
expérience : The Miao Experience (pt. 2).