28 février 2010

Small City

Small City (a.k.a. The Madcapulsize Experience et, plus tard, Grande ville, petites gens) fut un projet de film d’animation expérimental, que souhaitait réaliser mon amie Pulsize, dont j’étais censé écrire le script. Le film ne vit jamais le jour, mais cette expérience aboutit néanmoins pour moi à quelques trucs intéressants.

Il y eut deux versions, très différentes, du projet en lui-même. En septembre 2000, Pulsize m’avait simplement proposé de travailler sur le concept de dépendance, et donné carte blanche. À l’origine, le texte du film se présentait comme une suite de monologues intérieurs et de dialogues. C’est de mes recherches sur ce projet qu’émergea inopinément la Confession publique, qui au départ n’était qu’un exercice de style consistant à appliquer à ma propre personne le type d’introspection que je cherchais à appliquer aux personnages.

Finalement, Pulsize décida qu’elle voulait quelque chose de plus narratif et du coup, j’écrivis début 2002 un véritable scénario de long métrage, dans la même ambiance mais avec d’autres personnages. Le résultat était totalement irréalisable (faute de moyens et de temps) et Pulsize finit par se tourner vers des projets plus raisonnables. Du coup, entre août et octobre 2003, je remaniai le scénario en question dans l'idée d'en faire la base de mon second roman, que j'abandonnai finalement inachevé pour écrire Tabloïde à la place (je publierai sans doute ici, tôt ou tard, les rushes de cette version-ci, qui avait de vrais bons moments).

Pour la petite histoire, Pulsize et moi avons de nouveau collaboré en 2007, sur le scénario d'un clip qu'elle devait réaliser pour le groupe Human E.T Crew. Je ne sais plus si elle a fini par faire le clip ou pas, mais je sais que le groupe n'avait pas retenu la version du scénario sur laquelle nous avions bossé ensemble. Un grand merci à elle en tout cas, parce que même si nous n'avons jamais réussi à aboutir quoi que ce soit ensemble, ses propositions m'ont amené à réaliser plein de trucs cools de mon côté !

Ce que vous lirez aujourd’hui provient des rushes de la version 2000-2001 (les monologues et les dialogues). 95% de ce que j’ai écris à l’époque ne mérite pas d’être publié aujourd’hui, mais j’ai quand même extirpé du lot les deux petits fragments ci-dessous : rien d’extraordinaire mais je les aime bien ^^ Je serais malhonnête de ne pas mentionner que les deux personnages qui parlent ici (il y en avait neuf en tout) étaient librement inspirés de personnages créés quelques mois plus tôt par mes amis Céline Z. et Ben T., dans le cadre du spectacle pluridisciplinaire Rumeur publique, que nous avions écrit et monté ensemble en septembre 2000 (plus de détails sur ce projet-ci ici et ).

***

SMALL CITY : EXTRAIT DES MONOLOGUES D’ERUTIRCE (décembre 2000)

Perdue…

Je suis… perdue…

Je erre entre les traboules en rasant les murs et parfois, lorsqu’une silhouette m’interpelle, je lui barre le chemin et j’ose lui dire un mot, parfois deux, puis je fuis car je crains ses réponses. Mieux vaut pour moi la laisser sans voix.

Qui… m’écoute ?

Personne, puisque je ne parle pas. Je voudrais bien, mais les mots ne sortent pas, ou alors à l’envers, tordus, confus, mal fichus. Alors je fuis et me contente d’envoyer des sourires, des regards, des phrases impersonnelles : « aujourd’hui j’ai fait ça, je suis allée ici, j’ai vu un truc et découvert un machin ».

Des faits : voilà ma journée, voilà ma vie. Je décris des faits mais ce que je ressens vraiment, je suis incapable de le dire avec des mots.

Et je déteste me sentir obligée de le faire.

« Parle, putain ! »

Mes amis me pressent. Sont-ils mes amis ? Je suis toujours avec des gens, d’appart’ en appart’, de squat en squat. La solitude a quitté mon quotidien. Chez moi n’est plus chez moi. J’y passe et n’y reste jamais.

Chez moi, c’est partout, tant qu’il y a des gens.

Chez moi, c’est nulle part.

J’aime les gens. Pas tous, bien sûr. J’ai besoin d’eux pour avancer, me libérer de ce que j’étais. Plus de petite fille sage et méthodique. Je me préfère en cinémascope, en technicolor… et en muette.

Parfois il y en a un, ou une, qui me presse :

« Mais parle ! »

Quoi, parle ?

« Dis ce que tu ressens, vraiment. »

Comment ferais-je ? Je change, tout change et si vite que je suis incapable de dire le pourquoi et le quoi de moi.

Je vole.

Haut.

J’aime ça.

Et c’est tout.

Je veux juste être là, avec vous, faire avec vous, jouer avec vous, danser avec vous, rire, manger et dormir avec vous.

De temps en temps, comme pour m’excuser de si peu me dévoiler, je fais un petit cadeau.

Et des fois je craque et pleure dans le creux de votre épaule.

Ça c’est déjà beaucoup vous en dire. Pour moi en tout cas c’est beaucoup.

***

SMALL CITY : EXTRAIT DES MONOLOGUES DE R’JKA (décembre 2000)

Je n’en peux plus.

Je n’en peux plus du regard des autres. Je n’en peux plus de mon propre regard sur moi-même. Une pression permanente, ces regards : c’est comme autant de verdicts sans appel, des verdicts sans procès ni preuves, arbitraires et dont nous sommes tous tellement tributaires que nous en venons à n’être plus que des compromis incarnés.

Les gens savent s’y prendre pour vous remettre à votre place. D’ailleurs, c’est quoi cette expression : « remettre à sa place » ? C’est des conneries : on ne se fait pas remettre à sa place, jamais ! On se fait remettre à la place où l’on ne dérange plus personne, qu’importe que ce soit la sienne ou non, tant qu’on passe suffisamment inaperçu pour ne plus gêner le groupe.

Il faudrait peut-être tous se crever les yeux pour avoir la paix, pour en finir avec les regards.

27 février 2010

26 février 2010

... (38)

l'appartenance non choisie à une caste
est un abaissement sans nom
racaille rappeur ou progéniture de dentiste
qui ne cherche pas sa voie propre est un
clone creux


25 février 2010

... (37)

les murmures du ciel sont innombrables
portés par des vents multiples
le croyant se doit d'admettre que le verbe
s'adapte aux sensibilités
terrestres



21 février 2010

Mystique féline : la suite

Tout d'abord, je vous invite à aller lire ceci pour comprendre le quoi du comment (et éventuellement le pourquoi et qui va faire la vaisselle) de l'article qui suit... Ensuite, vous pouvez revenir ici.

Comme nous l'avions découvert en août 2008, les chats ont une religion : ils vénèrent le Chien Unique. Cette révélation m'a poussé à enquêter sur le terrain des mois durant, interrogeant nombre de chats sur leur foi et sur les textes sacrés de leur religion.

Il existe encore des zones d'ombres sur l'histoire de Long John, Long Johnson et Don Piano aussi n'aborderai-je pas le sujet aujourd'hui. Par contre je peux désormais répondre à ces deux questions fondamentales :
- Pourquoi les chats vénèrent-ils le Chien Unique alors qu'ils sont connus pour détester cordialement les chiens terrestres ?
- Pourquoi le Chien Unique se nomme-t-il ainsi, alors qu'il y a des millions de chiens sur terre ?

Il y a bien longtemps, le Chien Unique créa les chats pour peupler le monde. Les chats vénéraient le Chien Unique et le Chien Unique protégeait les chats. En ce temps il n'y avait nul chien sur la terre, aussi les textes sacrés des chats disaient « Il n'y a qu'un seul Chien » (« There is only one Dog »). Il est à noter que ceci fut une nette progression dans l'histoire de la civilisation : jusque-là, la plupart des espèces animales étaient polythéistes, alors que de nos jours, et ce grâce aux chats, seuls les arthropodes croient encore à tout un panthéon de divinités.

Puis vint l'être humain, une espèce bipède qui vénérait elle aussi un seul dieu, du nom de Jéhovah. L'homme écrivit alors un bouquin nommé « La Genèse » pour expliquer ses origines aux enfants. Il est écrit dans ce texte que « Dieu créa l'homme à son image ».

Le Chien Unique, curieux de cette nouvelle espèce et de son étrange religion, se procura un exemplaire de la Genèse et fut très étonné par cette affirmation ! Il regarda son canin reflet dans un miroir et ensuite il regarda les chats et il constata qu'il n'avait pas du tout créé ceux-ci à son image.

L'espèce humaine était en plein développement, et faisait des choses étonnantes comme de construire des maisons et autres trucs que les chats ne faisaient pas... Le Chien Unique, soucieux d'être « dans le coup », se dit qu'il valait peut-être mieux suivre la tendance et que si le dieu des hommes obtenait pareils résultats, peut-être le Chien Unique aurait tout intérêt à créer une nouvelle espèce qui soit « à son image ».

Ainsi arriva ce que les chroniqueurs de ces temps éloignés nommèrent « la Multiplication des Chiens ».

Le Chien Unique créa un chien, puis il le dédoubla, le tripla, le quadrupla... jusqu'à peupler le monde de millions de chiens ! Puis il annonça aux chats que désormais, le « peuple élu » serait le peuple canin et non plus le peuple félin. Vous imaginerez sans peine que les chats entrèrent dans une rage folle : non seulement ils perdaient leurs privilèges mais en plus tous ces chiens enlevaient son « unicité » au Chien Unique !

Les chats et les chiens se livrèrent alors une grande guerre sur la terre entière, qui dura 103 ans et 103 jours. Le conflit prit de telles proportions qu'il s'étendit jusqu'au Paradis ! Nombre de chiens et de chats s'y étaient rendus pour parler au Chien Unique et l'implorer de favoriser son camp, et ceux-là se livrèrent bataille par delà les nuages. Les corps des défunts tombaient du ciel et s'écrasaient sur la terre et c'est à cette époque qu'est née l'expression anglaise « it's raining cats and dogs » (« il pleut des chiens et des chats », équivalent anglo-saxon de notre « il tombe des cordes »).

Finalement, une trêve fut signée entre les deux camps, qui convinrent de se partager la planète. Mais, en dépit des siècles, les deux espèces continuent de se haïr cordialement. Les chats, quant à eux, vénèrent toujours leur créateur, le Chien Unique, malgré sa « trahison »...

Amis du bon goût, merci de votre attention, et puisse le Chien Unique veiller sur vous.

19 février 2010

... (36)

lorsque l'ironie du sort fait preuve
de réserves d'imagination
au-delà du bon sens
le juste compliment est de s’emplir
d'humour



17 février 2010

Ombres sur papier

Lorsque ma grand-mère maternelle nous quitta, en octobre 2005, c'est à ma tante et à moi qu'incomba la tâche de trier ses affaires. Dans la cave, bien enfouies dans des cartons qui avaient été enterrés là vingt-cinq ans plus tôt, nous trouvâmes de vieilles photographies. À vue de nez, des portraits pris entre 1890 et 1910. Des hommes tout en moustaches et en costumes noirs, et des femmes et des enfants qui sans doute étaient les leurs, tous capturés dans la non-expression des poses de l'époque.

Ma grand-mère savait-elle qui étaient tous ces gens ? Du haut de ses quatre-vingt-treize ans, elle eut sans doute été capable d'en nommer quelques-uns, et il est probable qu'elle eut été la dernière personne en ce monde à pouvoir le faire. Toutes ces photos ont fini à la benne : liquidation totale...

Ces gens, les hommes surtout, semblaient si fiers, débordants d'un sentiment d'importance. Étaient-ils médecins, avocats, instituteurs, notables de leur temps ? Étaient-ils simplement agriculteurs, artisans, commerçants endimanchés pour la photo ? Nous ne le saurons jamais, mais la façon dont ils toisaient l'objectif avec autant de rigueur qu'ils le pouvaient m'apparut totalement dérisoire... parce que quoi que ces hommes aient accomplis dans leurs modestes vies, il n'existe pas un être humain vivant sur cette terre qui serait capable de mettre un nom, une histoire, sur leurs visages fermés. Pourquoi alors ces photos ? Quel intérêt, quel sens avaient-elles si personne ne pouvait les contextualiser ?

Je ne connais pas ces gens, peut-être, sans doute, étaient-ils de braves hommes. Leur apparente arrogance n'était sans doute que le fruit d'une mode qui voulait l'homme austère et grave, mais cette apparente arrogance, combien semblait-elle soudain ridicule, dans l’abîme sans fond de leur anonymat...

Peu après, je voyais le film Dogville de Lars von Trier, et le générique de fin me plongea dans une grande mélancolie : une succession de portraits en noir et blanc, âme d'une Amérique profonde qui avait souffert, s'était contentée de peu. Nombre de visages étaient ici souriants et humbles, mais ils m'inspiraient la même sensation de vertige : des visages sans nom, sans histoire, des visages d'hommes et de femmes qui ont traversé des océans de misère, mais dont nul ne se souvient aujourd'hui...

C'est ce paradoxe de la photographie, du cinéma, de la vidéo... Ils figent une infinité de visages, pour l'éternité, mais contrairement aux témoignages écrits ils ne nous disent rien (ou si peu) sur la vie personnelle des gens qu'ils capturent. Durant des siècles, l'image se fondait dans le néant avec l'homme. Seuls les peintres (mystérieuses Joconde et Jeune fille à la perle...) nous laissaient la trace d'inconnus sans le mode d'emploi, mais ces quelques portraits abandonnés à l'histoire n'étaient pas les centaines de millions de portraits enfantés par la photographie...

Au fond, ces photos m'ont fichu froid dans le dos, parce que je voudrais bien pouvoir dire à ces gens que je sais qui ils sont, que quelqu'un sait qui ils sont. Mais personne ne sait ni ne saura plus jamais. Rien de ce qu'ils ont fait ou dit ne sera jamais plus évoqué par personne.

Mon père me reprocha par la suite d'avoir « bazardé » ces clichés, comme si j'avais commis un sacrilège à la mémoire de ces gens, de ma propre histoire familiale, de mon hérédité et éventuellement de la société occidentale tout entière. En fait, en envoyant tout ça à la benne, en offrant enfin la crémation à ces âmes mortes, j'ai eu le sentiment de leur rendre leur honneur, leur dignité. Enfin allaient-ils cesser d'être des visages sans identité. Puisque la mémoire de leurs descendants les avait trahis, mieux valait qu'ils retournent complètement au néant. Ainsi, la dérisoire vanité de leurs regards fiers, l'humiliation que leur infligeaient mon regard et celui de mes contemporains, notre insolente ignorance quant à leurs joies, leurs passions, leurs douleurs, leurs actes de bravoures, le son de leurs rires... tout cela a péri dans les flammes.

Qu'ils soient réincarnés ça ou là ou qu'ils ne soient plus du tout, ils ne méritaient pas de rester là, emprisonnés sur du papier, incompris pour l'éternité.
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