14 mai 2009

Le long Halloween

Ralentissement d'activité sur ce blog ces derniers temps. Non pas que l'inspiration me manque (bien au contraire) mais votre agneau préféré croule sous le travail et n'a guère de temps à accorder à son blog. Et encore, heureusement que je me suis acheté un esclave syrien au marché pour faire le ménage (les esclaves syriens étaient réputés, en Égypte Antique, comme étant les plus robustes, alors je me fie à la sagesse des anciens ^^) ! En tout cas, toutes mes excuses à mes fidèles lecteurs, puisqu'il semble que fidèles lecteurs il y a, pour ce ralentissement d'activité à durée indéterminée.

En attendant d'autres frasques, voici une quatrième histoire pour enfants, écrite comme les trois précédentes à l'automne 2005. Avec le recul, je trouve que le style est un peu trop littéraire et sérieux pour un jeune public, mais je continue d'aimer l'idée de base : et si, un lendemain d'Halloween, tout le monde se réveillait transformé en ce en quoi il était déguisé la veille ? Quoi que les deux histoires n'aient rien en commun, le titre est directement emprunté à la merveilleuse bande dessinée Batman : un long halloween, de Jeph Loeb et Tim Sale.


LE LONG HALLOWEEN

Il y a très longtemps, quand j’étais petit garçon, il fut un halloween très spécial dans notre ville. On s’en souvint sous le nom de « long halloween »… car il dura un an.

Les gens, lorsque tout commença, s’étaient comme il convient déguisés en toutes sortes de monstres et créatures surnaturelles. En ce temps-là, halloween était si populaire que même les adultes se déguisaient. Il y avait des Loups-garous, des Vampires, des Goules, des Dragons, des Squelettes, des Sorcières, et j’en passe…

Je n’avais moi-même pas pu me déguiser, car mes parents m’avaient puni pour quelque bêtise. Je devais donc rester dans ma chambre au lieu d’aller collecter des bonbons avec mes camarades d’école. Alors j’ai regardé la télé. Aux informations, ils disaient qu’une drôle de vieille dame était apparue à une réunion de la mairie. Elle avait déclaré que les gens de notre ville s’étaient fort mal comporté cette année : ils ne s’aimaient pas entre eux, et ils se disputaient pour n’importe quoi.

Le maire avait rit au nez de la dame, lui expliquant que c’était ainsi et qu’elle n’y changerait rien. Elle était partie, furieuse, en criant que puisque nous agissions en monstres, c’est ce que nous deviendrions. Les hommes politiques de la ville ne firent que rire davantage !

Lorsque je me levais le lendemain matin pour aller en classe, j’eus le pressentiment que quelque chose de pas normal était arrivé pendant la nuit. J’entendis Papa et Maman pousser des cris dans leur chambre et courir dans la maison : mon pressentiment était fondé !

J’allais à leur recherche et trouvais Papa caché derrière le canapé. Il avait l’air vraiment bizarre avec ses bandelettes ! Il me dit qu’il y avait une Sorcière dans son lit quand il s’était réveillé. Quand je lui répondis qu’il n’était pas tout à fait lui-même, il fit mine de ne pas comprendre.

Je trouvais ensuite Maman cachée dans un placard (à balais, bien sûr), et elle me dit en tremblant qu’à la place de Papa, il y avait une Momie dans son lit. Je lui expliquais que la Momie, c’était Papa. Et qu’elle avait bien changé, elle aussi.

Le petit déjeuner ne fut pas très gai. Papa et Maman n’arrêtaient pas de pleurer en se demandant ce qui s’était passé. Finalement, on est parti, moi pour l’école, eux pour leur travail. Dans la rue, c’était un sacré capharnaüm !

Il y avait des monstres en train de gémir ou de crier à tous les coins de rues. Il semblait que tout le monde se fut transformé en ce en quoi il s’était déguisé la veille. Tout le monde sans exception.

J’arrivais à l’école, et c’était un chahut sans nom ! La maîtresse était devenue une Chauve-souris Géante… Déjà qu’elle n’était pas belle avant ! Les élèves se moquaient tous d’elle et elle était furieuse. Il faut dire qu’ils n’avaient pas de quoi faire les fiers : vous auriez vu l’allure de ma classe !

Je me retrouvais assis entre la Créature du Marais et le Monstre de Frankenstein, pour écouter une Chauve-souris Géante nous expliquer des mathématiques…

Le soir, on a regardé les informations avec Papa et Maman : partout dans la ville, les gens s’étaient métamorphosés. Seules les rares personnes qui ne s’étaient pas déguisées avaient gardé leur apparence normale. Le Maire (qui était devenu un Clown), fit un long discours selon lequel il promettait de trouver une solution. Bien sûr, personne ne le crut.

Au début j’étais tout content de ne pas être un monstre, mais très vite je commençais à me sentir un peu seul. On me regardait dans la rue, et je n’aimais pas trop ça. A la maison ce n’était guère mieux : Papa n’arrêtait pas de se prendre les pieds dans ses bandelettes. Et Maman jetait des sorts sans le vouloir, ce qui provoquait plein de catastrophes dans la maison.

Et c’était compliqué partout : le voisin, par exemple, était un Bonhomme de Neige, et comme il fondait dès qu’il était près d’un radiateur, il dut se construire une cabane dans le jardin. En effet : il ne pouvait pas couper le chauffage, car sa femme était devenue un Robot, et ne supportait pas le froid qui coinçait ses articulations mécaniques.

Bref, la situation posait toutes sortes de problèmes à plein de gens, et chacun dut apprendre à s’adapter à sa nouvelle condition et à celle des autres. Les choses étaient d’autant plus difficile que le Président de la République avait décidé d’isoler la ville du reste du pays. A chaque fois que quelqu’un allait dans une autre ville, il créait une panique. Les gens voyaient débarquer un monstre et avaient peur.

Plus personne n’eut donc le droit de sortir de la ville. Nous nous retrouvions livrés à nous-même. La situation était très difficile, et les gens commencèrent à être encore plus méchants qu’avant. Ils se réunirent par genres de monstres, et firent des alliances : les Vampires cherchaient chamaille aux Loups-garous, les Goules s’alliaient contre les Gargouilles, etc… C’était absolument n’importe quoi !

Voilà qui ne me plaisait guère. Mais que faire ? Je ne pouvais pas obliger les gens à être gentils ! Je finis donc par sympathiser avec les rares autres enfants qui n’avaient pas été transformés, et nous nous demandions souvent ce que nous pouvions trouver comme solution.

Les mois passèrent et la ville sombra toujours plus dans la folie. Le clan des Vampires, en particulier, était particulièrement pénible. Comme ils ne pouvaient plus sortir que la nuit, ils essayèrent de construire au-dessus de la ville un énorme toit, pour qu’il fasse toujours nuit. Personne n’était d’accord et il s’ensuivit une terrible bagarre.

Le clan des Clowns, mené par le Maire, tenta ensuite de faire mettre en prison tous les King-Kongs, car un King-Kong avait contesté une loi votée par le Maire. Mais comme les Sorcières étaient les alliées des King-Kongs, cela déclencha encore des bagarres. Finalement, les Sorcières jetèrent un sort qui déclencha une terrible tornade. La tornade démolit bien des maisons et inonda la moitié de la ville.

Un soir, Papa nous expliqua fièrement que le clan des Momies avait mis le feu au supermarché, qui n’employait désormais plus que des Zombies. Mais le clan des Sorcières était allié à celui des Zombies, et cela provoqua une terrible dispute entre Papa et Maman. Finalement, Papa partit en claquant la porte, déclarant qu’il allait vivre avec les autres Momies.

Avec mes nouveaux amis, nous avons décidé que cela ne pouvait plus durer : en six mois, la moitié de la ville était déjà en ruines. Plein de familles s’étaient brouillées parce que leurs membres appartenaient à différents clans. Il fallait que tout le monde redevienne humain, car même si avant les gens se disputaient, cela n’allait jamais aussi loin.

Nous commençâmes donc à aller à la rencontre des gens, pour leur expliquer que nous ne pouvions plus vivre dans ces conditions. Mais personne ne nous écouta. Les adultes qui étaient resté humains organisèrent une grande réunion, demandant à tous de se concentrer pour trouver une solution, afin de redevenir tous normaux.

A notre grande surprise, les monstres de tous genres se mirent à protester qu’ils étaient très bien comme ils étaient ! Les Sorcières dirent qu’elles étaient ravies de pouvoir jeter des sorts, et les Vampires de boire du sang, et les Monstres de Frankenstein d’être très forts, etc… Plus personne ne voulait redevenir humain !

Les mois continuèrent de passer, et les non-monstres finirent par vivre entre eux, dans un immeuble avec un grand jardin. Nous avons commencé à cultiver nos légumes, et organisé entre nous un mode de vie paisible, sans disputes ni conflits. Au dehors, le chaos continuait.

Un an était presque passé, et nous approchions du nouvel halloween. Autant dire que dans le clan des Humains, personne n’avait envie de le fêter. Nous avions vu notre monde s’écrouler, et nos familles se disperser. C’est à ce moment-là que je me souvint de la vieille dame qui avait protesté contre la mesquinerie des gens. Il semblait que ce fut elle qui nous avait jeté un sort. Mais cela n’avait fait qu’empirer les choses.

Cette nuit-là, je vis la femme en rêve, elle était devenue très jeune et très belle. Elle me dit que moi seul pouvait résoudre la situation, mais que je devais me dépêcher : après la prochaine nuit d’halloween, la métamorphose serait définitive. Rien ne pourrait retransformer les monstres en les gens qu’ils étaient autrefois ! Je lui demandais quoi faire, et elle me répondit de chercher la solution au fond de moi, car c’était là qu’elle se trouvait.

Je passais de longues journées à me creuser la tête en vain. Rien n’y faisait. Puis, l’avant-veille d’halloween, quelqu’un fit une blague : « Dites, vous croyez qu’ils vont se déguiser en gens normaux pour halloween, les monstres là-dehors ? » « Eurêka ! » criais-je. « C’est ça qu’il faut faire !!! » Et j’expliquais mon plan : si les monstres se déguisaient en Humains, la transformation s’inverserait !

S’ils savaient que l’idée venait des Humains, les monstres ne feraient rien. Nous nous sommes donc déguisés en monstres pour passer inaperçus, et avons fait le tour de la ville en collant des affiches : « Monstres de tous poils, c’est bientôt Halloween ! Célébrons la fête qui a fait de nous ce que nous sommes, et moquons-nous ensemble des humains que nous étions jadis. Que chacun se déguise en la personne qu’il était avant ! »

Les monstres accueillirent la proposition avec enthousiasme. Il semblait que l’idée leur plaisait. Nous n’avions plus qu’à attendre et à prier pour que tous sans exception se déguisent. Je ne vous cache pas que la nuit fut longue. Très longue.

Le lendemain matin, nous sommes sorti voir ce qui s’était passé. Nous étions épuisés : le suspense était si grand que personne n’avait dormi. Dans la ville en ruine, les gens erraient, le regard perdu… Ils étaient redevenus eux-même !!! Nous avons passé la journée à les réunir dans notre grand jardin. Tous étaient complètement hagards, comme s’ils se réveillaient d’un long rêve. Je me jetais au cou de Papa et Maman, tellement heureux de les voir redevenus normaux !

Il fallut deux ou trois jours pour que tout le monde reprenne ses esprits. Les gens virent l’état de la ville, se souvinrent de la façon dont ils s’étaient fait la guerre pour des raisons absurdes ! Ils avaient terriblement honte, et ceux qui étaient restés humains pendant l’année les réconfortèrent : tout était pardonné. Il fallait à présent reconstruire la ville, et apprendre à vivre paisiblement.

Les ex-monstres étaient si reconnaissants envers nous de les avoir libérés de la malédiction, et de ne pas leur en vouloir pour la vie qu’ils nous avaient faite pendant un an, qu’ils promirent de se comporter bien à l’avenir. Puis, tout le monde se mit au travail : il y en avait, des choses à rebâtir !

Peu après, le Président leva l’isolement qui pesait sur la ville, et depuis ce jour, les gens se comportent avec respect les uns envers les autres. Chacun ici se souvient à quel point les discordes inutiles peuvent gâcher la vie. Tout le monde se souvient également de la bêtise qui était derrière l’idée des « clans » de monstres. Ainsi, chacun se garde désormais de juger autrui sur ses différences.

Le Long Halloween avait été une dure épreuve pour tout le monde, mais tous en étaient sortis grandi. Au bout de quelques années, la « ville des monstres » était devenue pour tout le pays « la ville où il fait bon vivre. » On nous prit en exemple, car nous avions à cœur de résoudre tous nos désaccords en parlant, sans nous disputer ni nous battre !

Quant à moi, je fus remercié d’avoir rétabli la paix avec mon idée, et chacun me fit un cadeau. Tout le monde était tellement heureux d’être redevenu normal ! Enfin, presque tout le monde…

Le Maire avait refusé de se déguiser en lui-même, fier qu’il était d’être un Clown. Au fond, c’est ce qu’il avait toujours été, et c’est ce qu’il serait toujours.

Heureusement, une certaine vieille dame, qui vivait au fond des bois et pratiquait la magie, accepta de l’embaucher comme jardinier… s’il promettait d’écouter ses enseignements.
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