24 février 2009

... (20)

avant les songes, prélude
bercé par l'insondable boucle
tampura qui s'étire à l'infini
il n'est de paix que celle qui naît
dans l'alap


20 février 2009

Cassandre

Après Justin Chien et La malédiction du plombier-garou, voici un troisième texte jeune public écrit, comme les autres, en septembre 2005. Le ton est moins léger que les deux précédents, peut-être à cause d'une certaine dimension autobiographique (encore que, si vous entendiez l'interprétation psychologique d'une amie à propos du plombier-garou !).

CASSANDRE

Cassandre est une petite fille pas vraiment gâtée par la vie…

Parce qu’elle sait des choses que les autres ne savent pas. Parce qu’elle « sent » des choses que les autres ne « sentent » pas.

Ses parents sont des gens très occupés et très attachés aux choses matérielles. Ils n’écoutent jamais leur fille.

Comme ils gagnent beaucoup d’argent, ils ont voulu acheter une grande maison pour impressionner leurs amis.

Cassandre leur a bien dit que cette maison était mauvaise. Mais comme ils la trouvaient jolie, ses parents s’y sont installés quand même…

Depuis, ils n’arrivent pas à dormir, et la mère de Cassandre a toujours mal à la tête. Mais ils ne comprennent pas que c’est à cause de la maison.

Lorsqu’ils invitent des amis à dîner, Cassandre est toujours très mal à l’aise.

Mais lorsqu’elle tente de leur expliquer que leurs amis sont des gens pas très clairs, ils ricanent en disant qu’elle ne sait pas ce qu’elle raconte.

Parfois, ils apprennent que leurs « amis » disent du mal d’eux dans leur dos, mais ils font semblant de ne rien savoir. Et ils continuent d’inviter ces gens.

En fait, la seule personne qui comprenne Cassandre dans cette famille, c’est le chat Socrate. Et Cassandre est la seule à comprendre que Socrate n’est pas qu’un objet animé, mais un être vivant comme nous.

A l’école, ce n’est pas beaucoup mieux. Mademoiselle Top, la maîtresse, déteste Cassandre alors que celle-ci travaille bien.

La vraie raison, c’est que Cassandre est plus intelligente que Mlle. Top. Mlle. Top le sait, et elle ne peut pas supporter qu’un enfant comprenne mieux les choses qu’elle.

Quant aux autres enfants, ils passent leur temps être ce qu’on leur a dit qu’ils devaient être : les filles sautent à la corde, les garçons jouent au foot. Cassandre ne comprend pas pourquoi une fille ne pourrait pas jouer au foot ou un garçon sauter à la corde.

Et puis, Cassandre se pose beaucoup de questions sur la nature humaine et la manière dont les choses arrivent, sujets qui intéressent guère les autres enfants. Tout ça ne lui attire pas beaucoup d’amis.

Finalement, Cassandre se sent seule au monde. Bien sûr il y a Socrate, mais Socrate ne peut pas non plus comprendre tout ce que lui dit Cassandre.

Elle aimerait bien pouvoir expliquer à quelqu’un que quand elle voit les gens, elle sait tout de suite qui ils sont vraiment derrière les apparences.

Elle aimerait bien pouvoir expliquer aux gens méchants qu’ils sont méchants parce qu’ils ont peur des autres, ou parce qu’ils ne s’aiment pas assez eux-même.

Elle aimerait bien pouvoir expliquer aux gens que des fois, elle sait que les choses vont arriver avant qu’elles n’arrivent.

Mais comme à chaque fois qu’elle a essayé, on s’est moqué d’elle ou on l’a grondée, elle ne parle plus de tout ça qu’à Socrate, qui ne peut répondre que par son tendre amour de chat.

Cassandre est donc une petite fille très seule, et très incomprise. C’est dur de ne pas être comme les autres.

Un jour, un nouveau petit garçon arrive dans la classe de Cassandre. Un petit garçon tout rond et timide. Il s’appelle Ben.

Des rumeurs courent dans toute la ville, et les parents de Cassandre lui disent qu’il ne faut pas parler à ce garçon : il aurait été renvoyé de son école parce qu’il avait dit à sa maîtresse qu’elle allait avoir un accident grave.

Ce qui a fait courir la rumeur, c’est que la maîtresse a en effet eu un terrible accident de voiture quelques jours après. Mais le garçon avait déjà été renvoyé.

Evidemment, tout ça intrigue beaucoup Cassandre, et elle se met à observer Ben sans en avoir l’air.

Le pauvre Ben n’a pas beaucoup plus de chance qu’elle : les autres enfants se moquent de lui à cause de son poids, et Mlle. Top l’aime encore moins que Cassandre. Officiellement, c’est parce qu’il a du mal avec les maths.

Mais Cassandre sent bien que c’est parce que Ben fait peur à Mlle. Top, à cause de ce qui s’est passé avec son autre maîtresse.

Cassandre aimerait bien parler à Ben. Mais il est bien taciturne, Ben, et ça impressionne un peu Cassandre. Et puis il y a autre chose qui la trouble : elle n’arrive pas à lire en lui comme dans les autres gens.

Un jour qu’elle rentre de l’école, c’est finalement Ben qui vient lui parler sur le trottoir.

« Tu es comme moi », dit-il.
« Je sais pas, pourquoi tu demandes ça ? » répond Cassandre.
« Je ne te posais pas une question. Tu ES comme moi. »
« Et c’est quoi, comme toi ? »

Ils vont s’asseoir dans un parc, et Ben parle longtemps à Cassandre. Il lui explique que comme elle il « sait » ce que ressentent et sont les gens, et les choses qui vont arriver, et aussi les endroits… Cassandre est ébahie.

Ben parle et parle et raconte toute son histoire à Cassandre qui reconnaît la sienne : le rejet des autres qui tantôt se moquent tantôt ont peur, le sentiment de solitude. Mais la nuit est tombée et Cassandre doit vraiment rentrer.

Une fois à la maison, elle se fait gronder, parce qu’elle est rentrée tard et que ses parents n’avaient pas de temps à perdre à s’inquiéter pour elle !

A partir de ce jour-là, Cassandre et Ben passent leurs récréations à discuter. Cassandre a un peu peur que Mlle. Top n’en parle à ses parents, mais celle-ci se sent comme débarrassée de ces deux-là depuis qu’ils s’occupent l’un l’autre, alors elle ne s’intéresse plus à eux.

Un jour, Cassandre et Ben décident qu’ils en ont assez de vivre au milieu des railleries et de la dureté des autres, que ce soit chez eux ou à l’école. Alors ils montent un grand projet : ils vont partir et faire le tour du monde, tous les deux. Enfin tous les trois : car ils emmènent Socrate.

Un matin, ils remplissent leurs cartables de nourriture et de vêtements de rechange et, au lieu d’aller à l’école, ils quittent la ville. Quand arrive le soir, ils se disent qu’il va falloir trouver un endroit où dormir, et ils vont se cacher dans une étable.

Mais une vieille dame qui habite la ferme à coté les voit y entrer, et va leur parler. Ils ont d’abord peur de la femme, mais son rire attendri finit par les rassurer. Alors ils acceptent de venir dîner avec elle.

La dame les écoute attentivement raconter leur histoire, et tout du long elle ne cesse de rire gentiment. Lorsque Cassandre finit par lui demander pourquoi, la dame lui répond qu’elle rit parce qu’elle a vécu tout ce qu’ils vivent, quand elle était petite.

Ben et Cassandre sont un peu sceptiques au début, mais la femme leur demande de décrire qui elle est au-delà des apparences. Ben et Cassandre se regardent, et s’aperçoivent qu’ils n’y arrivent pas : la vieille dame est comme eux.

Finalement, la vieille dame leur explique qu’ils ne sont pas différents sans raison : « Il est dur d’être un enfant quand on est comme vous et moi, dit-elle, parce que les adultes ne s’intéressent pas à ce que pensent les enfants. Mais lorsque vous serez plus grands, vous prendrez votre destin en main. »

« Ce jour-là, vous vous rendrez compte que les gens viendront tout le temps vous demander des conseils, et que vous pourrez contribuer à faire du monde un endroit un peu moins cruel, en aidant les autres à écouter leur voix intérieure. Ce qui fait qu’on vous rejette pour le moment fera qu’on vous aimera demain. »

Puis la vieille dame leur raconte son histoire à elle. Comment son don lui a permis non seulement d’aider les autres et d’être aimée d’eux, mais aussi de s’éviter tout un tas d’ennuis en repérant tout de suite les gens qui lui voulaient du mal. Ou en suivant des intuitions, qui la conduisaient à d’agréables surprises.

« Fiez-vous toujours à vos intuitions et à vos perceptions, conclut la vieille dame. Un jour, vous remercierez la vie d’être ce que vous êtes. Et un jour sans doute, le moment viendra pour vous de faire le tour du monde. Mais pour le moment vous devez vivre vos vies d’enfants et retourner chez vous. »

Confiants, Cassandre et Ben laissèrent la femme téléphoner à leurs parents pour qu’ils viennent les chercher.

Bien sûr ils se firent tous deux beaucoup gronder. Quand on leur demanda pourquoi ils avaient fugué, ils dirent que c’était parce qu’on ne les écoutait jamais. Bien sûr, on ne les écouta pas, et ils furent punis.

Mais le lendemain, à l’école, ils se regardèrent d’un air complice : tous deux savaient à présent qu’il leur fallait être patients, mais que la vie leur sourirait un jour. C’est ça qui est dur quand on est petit et que tout ne va pas comme on voudrait : on croit que les choses ne changeront jamais. Mais comme Ben et Cassandre l’ont compris, la vie est longue, et vient un jour où l’on est maître de son destin. Alors, les choses peuvent changer, et la vie peut devenir douce.

Cassandre et Ben ne souffrent plus des moqueries des autres, ni de l’indifférence des adultes. Ils ont leur amitié pour les aider à patienter. Et la vie devant eux.

Quant à Socrate… il a fait un beau voyage à la campagne !

18 février 2009

Dogme

« Après avoir été autrefois un hérétique du catholicisme, me voici donc sur la route de l’hérésie bouddhique ! Sauf qu’il n’y a pas d’hérésie chez Siddartha, puisqu’il répète jusqu’à la fatigue que seule l’expérience doit être écoutée, seule l’expérience mérite d’être suivie : "Il n’y a pas de maîtres spirituels, pas de rites, pas de textes sacrés : il n’y a que ce dont tu fais toi-même l’expérience, après l’avoir toi-même vérifié." »

Michel Benoît, Bienvenue en Inde - une escale en enfer.

13 février 2009

Les femmes viennent de vénus...

ELLE : Ce serait quand même bien que tu sois un peu plus baraqué tu sais, et puis aussi fais gaffe je trouve que tu prends un peu de brioche.
LUI : Est-ce que je te fais chier avec ta culotte de cheval ?
ELLE : Ah non mais ça n'a rien à voir ! Je suis une femme et une femme ça a des formes !

(Vécu avec deux femmes différentes, qui ne s'étaient pas concertées, comme quoi la mauvaise foi féminine est un don universel, lol !)

12 février 2009

Bienvenue chez les Ch'tis...

Alors que, suite aux déclarations de Didier Beauvais, la polémique sur la réputation des Ch'tis reprend, et en repensant à la fameuse affaire de la banderole il y a un an, je persiste à me demander comment il se fait que personne, dans le Nord, n'a encore songé à faire un procès à Ch'ti DJ pour avoir osé diffuser cette abomination (allume le son de ton ordinateur et cherche une corde pour te pendre) :



Ce clip, et la chanson qui va avec, donnent pourtant des Ch'tis une image autrement plus dégradante que toutes les accusations de chômage, consanguinité, pédophilie et alcoolisme réunies !!!

9 février 2009

Angoulême et Bret Easton Ellis

Pour répondre aux nombreuses personnes qui m'ont interrogé à ce propos, Angoulême s'est plutôt bien passé : quelques belles rencontres éditoriales et quelques belles perspectives pour mes projets BD. Mais n'oublions pas cet ancien proverbe turc : « il ne faut pas vendre la peau de l'éditeur avant de l'avoir tué ». Je vous tiendrai au courant.

L'expérience du festival, toute épuisante qu'elle soit, reste pour moi un agréable rendez-vous annuel dans le petit univers de la bande dessinée. Pendant quelques jours, Angoulême est un peu hors du monde, comme (oserai-je l'écrire ?) dans une bulle. Un peu mondain, un peu festif, toujours riche en belles rencontres humaines : je le kiffe bien, ce festoche !

Retour content, donc, mais dans la hâte de voir les choses se concrétiser. Je réalise à présent que depuis la fin de la rédaction de Tabloïde il y a bientôt trois ans, je consacre mes forces presque exclusivement à la bande dessinée. Trois années à élaborer des synopsis, à en discuter avec des dessinateurs et des éditeurs, à penser et repenser des concepts, écrire et réécrire des planches... Je me rends compte aujourd'hui que je fatigue et ce qui me fatigue n'est pas ce que l'on pourrait penser. Les refus d'éditeurs, l'argent investi sans retour, le fait de n'être pas publié, tout ça n'est que très secondaire. Ce qui commence à être épuisant, c'est de ne jamais pouvoir terminer mes histoires.

Tout le monde ne le sait pas, mais il est rarissime d'écrire un scénario dans son intégralité avant de le soumettre aux éditeurs. On travaille d'abord à un synopsis détaillé (la tâche la plus difficile, en réalité), on écrit les premières planches (des fois davantage, certes) et au bout de quelques semaines, parfois quelques mois, on obtient un dossier présentable. Si donc le squelette dramatique de chaque histoire, ses personnages, sa « couleur », sont tout trouvés, l'histoire en elle même reste embryonnaire. Et quand bien même le scénario est-il écrit dans sa globalité, il n'a pas tout à fait terminé de se raconter tant qu'il n'a pas été intégralement mis en images, chose qui ne peut advenir sans un dessinateur rémunéré, donc sans le soutien d'un éditeur.

Ainsi donc, depuis des années, et exclusivement depuis trois ans, je construis des histoires mais je ne les raconte pas vraiment. J'aurais peut-être pu consacrer ces milliers d'heures à autre chose, à l'écriture de romans et de nouvelles que j'aurais pu concevoir sans contrainte et mettre en ligne une fois achevés. L'envie de terminer mes histoires me mordille à présent les tripes, c'est juste un besoin irrationnel, quelque chose qui doit être fait. Car chaque histoire que j'abandonne en cours de route est une orpheline qui me reproche son abandon. Certaines, certes, ne méritent pas d'être terminées, c'est l'inévitable sélection naturelle du processus d'écriture. Mais d'autres, plusieurs autres, exigent de moi que je les mène à terme, d'une manière ou d'une autre. C'est pour cela qu'il serait temps que la BD marche pour moi, pour faire taire les cris insatisfaits de ces récits inachevés.

Chaque festival d'Angoulême est aussi l'occasion de dévorer deux romans : un à l'aller et un au retour (puisqu'il faut sept heures de train pour faire Lyon-Angoulême). L'an dernier, je découvrais Bret Easton Ellis avec Glamorama, un chef d'œuvre déjanté, une littérature sous amphétamines qui s'obstine à déconstruire toutes les règles de la dramaturgie pour entraîner le lecteur dans un récit toujours plus flou, où fiction et réalité se perdent en miroirs répétitifs, le tout à travers une satire impitoyable de la jet-set.

Cette année, j'ai dévoré dans le train le dernier ouvrage d'Ellis : Lunar park, le roman le plus captivant que j'ai lu depuis bien longtemps ! Bret Easton Ellis continue sa plongée dans un trouble identitaire et cognitif. Son univers n'est pas si éloigné de celui de David Lynch en ce sens que le réel n'a plus de prise sur le rêve. Comme chez Lynch, le « je pense donc je suis » de Descartes est anéanti : vous pourriez tout aussi bien vous réveiller demain et être quelqu'un d'autre.

Fausse autofiction, Lunar park nous présente un Bret Easton Ellis imaginaire, semblable à ses personnages antérieurs : un toxicomane passif qui se laisse porter par les événements sans parvenir à les dompter. Enfin presque, parce que ce roman-là est écrit au passé (une première chez Ellis) et parce que son personnage finit par tenter de maîtriser les situations irréelles qui s'imposent à lui.

Lunar park fait aussi preuve d'une dramaturgie bien plus structurée que d'habitude : l'histoire a un début, un milieu et une fin, avec des enjeux définis. Ce roman se veut un hommage assumé à la littérature fantastique (c'est une histoire de fantômes) et l'auteur a donc adopté un certain nombre de codes littéraires du genre. Un certain nombre seulement, car là ou Lunar Park aurait pu n'être qu'un passionnant thriller horrifique à la Stephen King, Ellis injecte une psychologie, une analyse sociologique, un humour grinçant et une poésie qui font de Lunar park un roman riche, jubilatoire et captivant. Un vrai, grand roman !

À l'aller, c'était Que notre règne arrive, de J.G. Ballard qui, même s'il m'a fait une impression moins forte que Lunar park, reste une lecture agréable et une réflexion des plus audacieuses sur la société de consommation, le populisme et l'influence croissante des hypermarchés sur la vie des familles de banlieues.

Et de vous quitter sur cette délicieuse citation de Lunar park, qui me rappelle tant (trop ?) ma propre vie : « Dans un effort désespéré, Jayne a suggéré qu'il y avait école le lendemain pour moi aussi, et que j'emploierais mieux mon temps à travailler plutôt qu'à organiser une fête. Mais Jayne ne comprendrait jamais que la Fête avait été mon lieu de travail. C'était mon marché à terme, mon champ de bataille, c'était là que les amitiés se nouaient, que les amants se rencontraient, que les affaires se faisaient. Les fêtes semblaient informe, mais elles étaient en fait des événements aux dimensions intriquées et hautement chorégraphiés. Dans le monde où je suis devenu adulte, la fête était la surface sur laquelle la vie quotidienne venait s'inscrire ». Ellis ne se trompe pas, la fête est pour l'écrivain un théâtre du réel fascinant à observer et à décrire, et pour les artistes en général un lieu de travail quasi-inévitable pour se tisser un réseau. Pour le meilleur... ou pour le pire.
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