10 décembre 2016

The China Experience – 45/ An epilogue 2 the China Experience: The Super-Hero Experience

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002

Expérience précédente : The Longest Way Home Experience.
Décollage ici.

27 novembre 2002 – 4 décembre 2002, Lyon (France).

Alors reprenons les choses dans l'ordre.

Nous sommes le mercredi 27 novembre 2002.

Je rentre de trois mois de voyage en Chine, je suis complètement paumé et j'aurais besoin d'une bonne semaine pour me réaccoutumer. Je suis, en outre, dans un état de fatigue nerveuse et physique absolu.

Sauf que...

Je n'ai plus d'appartement.

Je n'ai plus de job.

Je n'ai plus un rond, sinon quatre-cent-cinquante euros sur un PEL à la Caisse d'Épargne, qu'il me faut débloquer d'urgence.

Je dois reconquérir mon amoureuse, qui s'est tirée avec un flûtiste.

J'ai cinq jours pour trouver un endroit où caser ma quarantaine de cartons et tous mes meubles, parce que la fille aux yeux de miel me l'a joué à l'envers et doit rendre les clés de mon ancien appartement le 2 décembre.

Ma régie me réclame deux-mille-cinq-cent euros et je dois trouver un moyen de démontrer qu'ils m'ont arnaqués ou de négocier un échelonnement, sans quoi ils vont tomber sur mon père qui s'est porté caution.

Mon père, qu'ils ont déjà contacté, est tellement fou-furieux qu'il n'est pas loin de me renier.

Et comble du comble, j'apprends qu'un de mes deux chats, laissés chez un ami, s'est tiré dans les rues depuis trois semaines. Je dois le retrouver d'urgence.

Je dispose peu ou prou d'une semaine pour régler tous ces problèmes.

À peine débarqué de l'avion puis du train, j'arrive donc chez ma meilleure amie, où j'avais laissé des affaires. J'ai rendez-vous avec mon Indienne dans trente minutes. Je me précipite sous la douche, me rase, me parfume, me coiffe, enfile mes fringues les plus élégantes. Je suis fin prêt juste à temps. Ma meilleure amie aura plus tard les mots suivants : « Tu m'as épaté ce jour-là : je t'ai vu arriver dans la station de métro, tu étais livide, les traits tirés, les yeux pochés de fatigue, ébouriffé, des fringues crades, à la limite un vrai clochard. Une demi-heure plus tard tu étais tout propre, élégant, tu sentais bon, tu avais retrouvé des couleurs et une mine de jeune dandy clinquant ! ». Il faut ce qu'il faut.

Je sonne à la porte. Elle ouvre. Je suis bouleversé : elle est belle, elle brille dans le noir, elle est ma femme et je suis son homme. Je voudrais la serrer dans mes bras, la couvrir de baisers, la rendre heureuse. Mais je ne peux pas. Du désastre sur pattes que j'étais quelques heures auparavant, il ne reste rien. Je ne sais pas où je trouve la force, mais je suis souriant, serein, calme, posé. Je serais juste parfait pour un entretien d'embauche. Elle aussi a changé : de sa froideur au téléphone il ne reste rien non plus. En face de moi, elle fait moins la mariole, elle est aimable, me sourit, m'offre un thé. Nous nous asseyons et nous entamons les négociations. Elle m'explique ce qui lui est passé par la tête, sa rencontre avec ce type, la façon dont notre échange d'emails à Lijiang l'a poussé dans ses bras (un peu plus et ça va être de ma faute !). Elle me dit qu'elle l'aime, qu'il est mieux pour elle, que je me rendrai compte qu'il y en a d'autres qui sont mieux pour moi, et tout un tas d'ânerie de ce genre que j'avale sans broncher. Ensuite je commence mon plaidoyer. Je tripote ses cordes sensibles. Je déchiffre le moindre signe sur son visage et ajuste mon discours en conséquence. Je fais preuve d'une rhétorique digne de Socrate. Je démonte tous ses arguments. Tout ce qu'elle me dit de sa nouvelle relation est retourné contre elle. Toutes les critiques qu'elle formule sur notre relation est atténué. Je m'excuse encore pour ma vive réaction à son mail incisif à Lijiang. Je lui ré-explique combien ce voyage était nécessaire, combien j'en suis sorti grandi, combien il devrait profiter à notre couple et non pas le détruire. Évidemment elle ne lâche pas prise si facilement : elle est amoureuse de lui, elle n'est plus amoureuse de moi. À chaque fois qu'elle réaffirme sa position, je m'écroule intérieurement. Mais je n'en montre rien, pas une miette. Je porte le masque impassible de l'homme tout à fait sûr de lui alors qu'en fait, j'ai le sentiment d'une cause perdue et je suis mort de peur. Je n'ai même pas besoin de jouer la comédie, je ne fais même pas semblant : c'est une question de vie ou de mort, une affaire de survie. Je m'adapte spontanément à ce que les circonstances exigent de moi pour survivre. Grandir auprès d'une mère ultra-violente vous enseigne ce genre de choses. Il y a un moment décisif. Je suis là, nonchalamment vautré sur son canapé. Je la regarde droit dans les yeux. D'une voix douce mais confiante, je dis : « Mais non. Tu te trompes. Tu vas le quitter et tu vas revenir avec moi. Parce que c'est ainsi que cela doit être. Et tu as beau te raconter des histoires, tu le sais aussi bien que moi ». Comme au téléphone, ce n'est en aucun cas un ordre. C'est l'énoncé d'une évidence. Et elle le prend comme tel. À ce moment précis je sens, pour la première fois, quelque chose flancher dans son regard. Elle n'en montre rien mais elle est ébranlée par ma détermination. Tout ce cirque dure deux heures puis elle doit aller travailler. Elle n'a pas changé d'avis mais elle a changé de posture : elle est prête à réfléchir, et à ce que nous en rediscutions. Rendez-vous est pris pour le surlendemain. Avant de partir, je lui offre les statuettes. Le dragon et le phénix. Je lui explique leur signification. Elle les accepte. Il s'appelle Florent. Je vais l'anéantir.

Après ça je ne sais plus trop. Je vais voir mes chats chez mon ami Fred, et c'est là que j'apprends que Goldie s'est tiré. C'est mon bébé, je suis dévasté, il faut que je le retrouve ! Comme j'expose mon problème d'appartement et d'affaires, Fred me propose de stocker les meubles dans son immense appartement. Mes amis Nico et Chloé, qui par hasard se trouvent là, m'expliquent qu'ils disposent d'une cave vide où que je peux entreposer les cartons. La fille aux yeux de miel est là aussi et il ne lui vient même pas à l'idée de s'excuser pour son plan foireux. Je passe outre, j'ai des problèmes plus urgents à régler. Nous convenons d'un rendez-vous le samedi à treize heures, pour procéder au déménagement. Déjà, une solution à l'un de mes problème est tombée du ciel. J'en remercie Shiva. La fille aux yeux de miel me soumet mon état des lieux de sortie : un tissu de mensonges. Il y a bien quelques trucs qui ont été abîmés, mais je m'attendais à perdre ma caution tout au plus. Pour le reste, ils ont décrété que des tas de choses étaient dégradées qui ne l'étaient pas, ils vont tout bonnement refaire l'appartement sur mon dos ! Soit dit en passant, j'apprends à cette occasion que toutes les putains de Pentes de la Croix-Rousse sont courant de mon infortune avec la princesse, alors que pourtant nous n'avons presque pas d'amis communs, comme quoi ma parano sur la rumeur publique n'en est pas une ! Une de perdue, dix de perdues.

Je décide de m'accorder un peu de répit parce que je suis sur le point de craquer : il sera temps de s'occuper du reste dès le lendemain. Je pleure longuement dans les bras de ma meilleure amie, chez qui je loge. Je retrouve ensuite Chris N., mon autre meilleur ami. Mais le soir je trépigne. De nouveau, je ne supporte pas mon impuissance à reconquérir ma princesse. Il me vient une idée. Je prends un stylo et j'écris la plus longue, la plus passionnée, la plus belle lettre d'amour de ma vie. Zéro argumentation : je me contente de faire la liste des choses pour lesquelles j'aime cette femme. Je n'ai même pas besoin de me creuser la cervelle ni de peser mes mots, j'écris tout ce qui me passe par là tête. Seize pages ! J'y passe deux heures peut-être. Une fois la lettre terminée, j'envisage de la mettre dans sa boite aux lettres. Mais il y a mieux à faire. Je sais en effet que le flûtiste passe la plupart de son temps chez elle. Donc si je glisse la lettre sous la porte aux heures où elle travaille, il va la trouver avant elle. Il saura obligatoirement d'où elle vient. Il pourrait bien entendu ouvrir l'enveloppe (scellée) et la lire, voire la dissimuler. Mais s'il la lit elle le verra, et s'il la dissimule, elle le saura lors de notre prochaine entrevue. Donc, dans tous les cas je suis gagnant parce qu'elle sera furieuse (et de surcroît je garde un double de la lettre au cas où). Ensuite je suis à peu près certain qu'elle va fondre en larmes en lisant la lettre et si elle le fait devant lui, il va badder et je gagne encore des points. Évidement, cette stratégie comporte un risque : il peut contre-attaquer. S'il décide de s'accrocher à elle et fait preuve d'autant de détermination que moi, il vaudrait mieux qu'il ignore, autant que se peut, que je suis entré en guerre contre lui. Je repense alors au peu qu'elle m'a dit à son sujet : il est mou, c'est un fumeur de pétards, il lui obéit en tout, il habite encore chez ses parents. Je pèse longuement le pour et le contre et je décide que c'est une lopette. Il ne réagira pas. Par contre il commencera à flipper, donc à commettre des erreurs. Je prends le risque !

Il faut comprendre que je n'ai rien de personnel contre ce garçon. Il a l'air, à vrai dire, d'être un type bien et je n'éprouve qu'une joie très modérée à l'idée de lui faire du mal. Je n'ai pas pour habitude de piquer la copine des autres. Je l'avais fait étant plus jeune et j'en avais conçu un vif regret par la suite. Mais il s'agit là de sauver ma relation. Ma princesse indienne m'a expliqué qu'elle ne m'avait pas trompé, qu'elle m'avait quitté pour quelqu'un d'autre. J'ai rectifié de suite : jusqu'à mon coup de fil et jusqu'à mon retour si je n'avais pas téléphoné, elle m'avait laissé dans l'ignorance de sa décision. Le monde entier était peut-être au courant mais en ce qui me concernait, jusqu'à-ce que je sache, j'étais avec elle. Je ne pouvais pas faire mon deuil. Je ne pouvais pas m'en aller séduire une petite Chinoise ou une touriste, parce que je lui étais fidèle. Par conséquent elle me trompait. Cet argument l'a laissée sans voix et grommelante que « oui mais bon... ». Bref, ce type n'a eu aucun scrupule quand il s'est s'agit de me chourer ma meuf. La souffrance qui me dévore depuis Yangshuo, il s'en branle ! Le fait que son propre bonheur ait pour prix une souffrance intolérable chez un autre être humain, ça le laisse de marbre ! Alors je ne vais pas m'en aller pleurer sur son sort. Il s'est comporté en connard et il sera traité comme un connard. Parce qu'il s'agit de la femme de ma vie. Parce que c'était écrit. Parce que je suis un agneau pourpre et lui un simple flûtiste. « You're good, but me I'm magic! » (Frank Miller).

Jeudi. Comme je la sais au taf, je vais chez elle. J'entends de la musique : excellent ! Je glisse sans bruit la lettre sous la porte et je file.

Après cela, j'appelle la régie. Ils sont furieux et moi tout autant ! Je parviens tout de même à leur faire admettre que j'ai réglé les deux mois de loyer qu'ils me réclament. Par contre ils ne lâchent rien quant à l'état des lieux. Je leur arrache la promesse de laisser mon père en dehors de tout cela et je file à l'UFC Que Choisir. Ils sont formels : l'état des lieux de sortie fait foi devant un tribunal, il eut fallu le contester sur le moment. La jeune fille aux yeux de miel, bien entendu, l'a signé ! Dépité, je recontacte la régie et leur explique que je suis insolvable mais que je suis d'accord pour payer si nous convenons d'un échelonnement. Ils me disent qu'ils vont voir et de les rappeler lundi.

Ensuite je photocopie l'annonce pour mon chat perdu et commence à en tapisser les pentes de la Croix-Rousse. Je consacrerai une bonne partie des jours qui suivent à faire cela.

Vendredi. Je me décide à appeler mon père. Il est fou furieux. Déjà que mes choix de vie, ma volonté de me consacrer à ma création et d'en vivre, ne lui plaisent pas. Déjà que mes voyages, perte de temps à ses yeux, ne lui plaisent pas non plus. Mais voilà que je ne paie plus mon loyer et qu'on lui réclame deux-mille-cinq-cent euros. Je parviens à le convaincre que les deux mois de loyer sont un malentendu, le rassure quant au fait que je prendrai mes responsabilités, qu'il n'aura pas à débourser un sou. Il s'apaise un peu mais part en récrimination : je n'ai plus d'appartement, je n'ai plus un sou, que vais-je faire de ma vie, etc. Je ne suis pas d'humeur à m'engueuler avec lui alors je prends sur moi et on en reste là. Mais je n'oublierai pas qu'il s'est comporté comme un connard à un moment où je n'avais vraiment, mais alors vraiment pas besoin de ça.

Je vais aussi à la Caisse d'Épargne pour liquider mon LEP. Je retire de quoi survivre et combler mon découvert à la Société Générale.

Je marche longuement sur les berges du Rhône. Là, j'ai un long dialogue avec moi-même. Je fais l'inventaire de mes peurs, de mes espoirs, je me soumets à la volonté du ciel en priant pour qu'elle me soit favorable. Je me réjouis toute de même, reconnaissant, de ma vie incroyable qui, faute d'être toujours facile, est au moins passionnante. Plus dure ce monologue-prière intérieur, plus je me sens raffermi, renforcé, encouragé, aimé et porté.

C'est fort de cet élan que je retrouve ma princesse indienne. Je me sens revivre en sa présence. Ma lettre l'a bouleversée. Elle a pleuré. Elle a pleuré devant le flûtiste. Il s'en est trouvé très mal à l'aise. Il est resté totalement passif. J'ai gagné mon pari : c'est une lopette. Nous reparlons de la situation, elle m'avoue qu'elle commence à se poser des questions. Je continue évidemment de plaider notre cause mais j'évite soigneusement de ne parler que de cela. Elle me raconte sa thérapie et sa vie depuis trois mois. Je lui raconte les moments forts de mon voyage. Il faut que nous retrouvions la complicité détendue que nous partagions auparavant. Par conséquent, il faut évacuer la pression liée au choix que je lui demande de faire. Nous passons un bon moment, c'est smooth. Lorsque je la quitte, elle réaffirme que pour le moment elle reste avec lui, mais qu'elle ne peut faire abstraction de mon retour. Elle va réfléchir. Je lui demande quand je vais la revoir. Elle me dit de passer boire le thé le lendemain à midi, avant mon déménagement.

Le soir, je monte à la campagne, chez la mère de mon ami Chris. Nous passons la soirée avec nos potes et ceux de son petit frère. C'est un peu une famille d'adoption que, depuis l'âge de treize ans, j'ai là-bas. Tout ceci me redonne un peu de courage.

Samedi. Chris me dépose devant la porte de ma princesse. Je n'ai qu'une heure devant moi. Je la sens fléchir de plus en plus et je tente le tout pour le tout. Je sais que si je parviens à la toucher, j'ai gagné ! Je l'effleure. Elle se laisse faire. Je l'embrasse. Elle répond à mon baiser. Nous faisons l'amour et c'est merveilleux. Une nouvelle victoire contre le flûtiste ! À quatorze heures, je dois vraiment partir : j'ai une heure de retard à mon propre déménagement ! Elle me dit que c'était magique (sic), qu'elle a profondément aimé ce moment avec moi mais que pour autant elle n'a encore rien décidé. Je lui dis de prendre son temps, que je serai là pour elle quel que soit le temps qu'elle mette à me revenir. J'hésite à lui demander de ne rien dire au flûtiste : cela pourrait être la goutte d'eau qui le fera réagir. Mais je décide de faire confiance à la vie et ne dis rien : elle fera bien comme elle voudra. Elle me donne rendez-vous lundi.

Fred et la jeune fille aux yeux de miel me maudissent pour mon retard. Je leur présente mes excuses et leur explique que je n'avais pas vraiment le choix mais ils sont grognons. Nous passons la journée à évacuer mes meubles d'un côté et mes cartons de l'autre et tout le monde est énervé. Par mégarde, la jeune fille aux yeux de miel bazarde mes taies de coussin de Jaisalmer à la benne. Tout un symbole.

Le soir, je fais le point avec ma meilleure amie. Je suis loin d'avoir remporté la victoire : mon Indienne est têtue comme une Indienne (et elles le sont) ! Mais j'ai tout de même réussi à inverser la tendance : j'étais cocu, c'est à présent le flûtiste qui est cocu. Reste à savoir s'il le saura, et comment il réagira le cas échéant.

Dimanche, je cherche mon chat.

Lundi. La régie m'apprend qu'ils ont décidé de confier mon dossier à une société de recouvrement. Je dois attendre qu'ils me contactent et me démerder avec eux pour l'échelonnement. Je paierai tous les mois pendant sept ans mais c'est au moins une chose de réglée.

Je file ensuite chez ma princesse indienne. Nous passons encore deux belles heures à discuter. On s'embrasse un peu, mais nous n'allons pas plus loin cette fois. Elle m'explique qu'elle ne sait plus quoi faire, que son flûtiste ne bouge pas d'un poil et joue la carte de « fais ce qui te semble juste pour toi ». Elle a préféré l'épargner : il ignore que nous avons fait l'amour. Il ne le saura jamais (sauf s'il lit ce blog, il n'est jamais trop tard). Amen. De mon côté je continue de jouer la carte d'une détermination sans faille, et je le fais d'autant mieux que je le fais sincèrement. Finalement, elle me dit : « Téléphone-moi mercredi. Mercredi j'aurai pris une décision. Et quelle qu'elle soit, elle sera définitive et sans appel. Si je le choisis lui, je te demande de t'engager à renoncer. ». Je n'ai d'autre choix que d'accepter ce contrat.

Mardi. Le suspense est insoutenable mais je ne peux que prendre mon mal en patience. J'en profite pour essayer de recoller les morceaux dans ma tête. J'ai toute une vie à rebâtir. C'est ce que je voulais, repartir à zéro. J'ai du travail. Je recontacte Da Boostemp et nous convenons de reprendre les répétitions de Shoona Sassi aussi rapidement que possible. Mon ami, le peintre Ronald König, m'explique qu'il est en train de monter une friche artistique avec quelques autres créateurs. Le lieu est immense : une ancienne usine RVI. Il voudrait que je m'investisse dans ce projet. Je promets d'y songer et de bientôt visiter les lieux. Quelques perspectives s'ouvrent, il va bien falloir reprendre le taureau par les cornes. Demain, je saurai si je dois construire cette vie avec ou sans elle. Je continue également de chercher, vainement, le chat. Je le retrouverai finalement, en bonne santé, début janvier.

Mercredi. Je compose son numéro de téléphone en tremblant, mon cœur bat comme un tambour. « If I don't get her back, my whole life is fucked-up! ». Elle décroche. Il y a un sourire dans sa voix.

« J'ai pris ma décision. Je veux être avec toi. »

6 décembre 2016

The China Experience – 44/ The Longest Way Home Experience

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002

Expérience précédente : The Yangshuo Experience (pt. 3).
Décollage ici.

24 novembre 2002 – 27 novembre 2002, The Longest Way Home Experience, de Shenzhen (Guangdong) à Lyon (France) en passant par Hong-Kong (Hong-Kong), Frankfort (Allemagne) et Paris (France)

Quatre petits jours peuvent paraître dérisoires en comparaison des huit jours de la Long Way Home Experience, mais je vous jure que ça a été long ! Les treize heures d'avion, en particulier, m'ont semblé durer un an ! Et comme nous le verrons, je n'étais pas au bout de mes peines une fois arrivé à Francfort.

Iris vient me chercher à l'arrêt de bus et je pénètre chez elle dans un état de fatigue nerveuse qui dépasse l'imagination. Ses parents ont un grand appartement cosy avec trois domestiques, et je fais la connaissance d'Anaïs, la fille d'Iris. Je raconte ce qui vient de m'arriver à Iris, l'épouvantable Yangshuo Experience, le fait que je risque dans cette affaire de perdre la femme de ma vie. Je répète comme un mantra : « If I don't get her back, my whole life is fucked-up! ». Je le crois sincèrement et Iris fait preuve d'une compréhension sans bornes. Elle n'est absolument pas choquée par la conviction qui m'anime, toute cette histoire de karma et de réincarnation. Pendant vingt-quatre heures, elle me nourrit et m'écoute. Nous avons de profondes conversations sur le sens de nos existences respectives. Je suis dans un tel état que je ne fume même plus de clopes. Je me nourris avec peine mais la nourriture est si bonne que je me laisse amadouer. De toute manière c'est à peine si Iris ne me colle pas la bouffe de force dans la bouche. Elle m'envoie sous la douche, me prête des fringues et confie tout ce que j'ai sur le dos à la femme de ménage pour un lavage-séchage express. Elle est décidée à me remettre sur pied en vingt-quatre heures, au moins assez pour que je ressemble à quelque chose en retrouvant ma princesse indienne au retour. Iris est aussi une grande râleuse, qui peste inlassablement contre sa sœur, les domestiques, son mari, les Chinois en général. Ses récriminations, loin de me gonfler, me permettent au contraire de penser à autre chose. J'aperçois les parents et la sœur. Celle-ci passe en coup de vent, hyper bichonnée, avant d'aller à quelque soirée. Sa superficialité, son côté speed et mondain, exaspèrent Iris. Mon bref séjour à Shenzhen passe comme un tourbillon, j'en ai peu de souvenirs. Anaïs, petite fille timide et adorable qui m'invite à jouer avec elle. Un supermarché immense dans lequel Iris me traîne, où je contemple des kilomètres de rayons pour la plupart emplis d'aliments que je n'arrive absolument pas à identifier. Un bar chic où nous allons boire du thé. On se couche tard, je dors à peine. Le lendemain, Iris me dépose dans une rame de métro, qui doit me conduire à l'aéroport. Nous nous reverrons à plusieurs reprises, à Paris.

Le vol, disais-je, est un cauchemar interminable. Je ne supporte pas l'attente, je ne supporte pas de ne pas pouvoir m'attaquer tout de suite à mon problème. Je réalise que j'ai dormi quatre heures en trois jours, mais en dépit de cela, je ne parviens pas à fermer l'œil. De temps en temps, je vais m'enfermer dans les WC pour chialer, ça aide un peu. Je passe le reste du vol à élaborer un plan pour reconquérir mon indienne. Je construis ma stratégie par écrit, avec une précision mathématique assez saisissante, compte-tenu de la fatigue et du chaos qui règne dans ma tête. Je rédige un véritable mémoire, avec une structure argumentative, des parties, des sous-parties, des petits trucs à faire pour la faire craquer. Cela peut sembler calculateur, inhumain, incompatible avec la spontanéité que l'on voudrait prêter à l'amour. C'est juste une stratégie de survie. Compte-tenu des enjeux, je ne peux rien laisser au hasard dans cette affaire ! Et puis ma princesse est complètement paumée, en plein délire : nous avons une vie à vivre ensemble, je dois la sauver d'elle-même ! À ce stade, j'ignore tout de mon rival, je ne peux donc que miser sur mes points forts et ceux de notre relation. Je trouverai plus tard les éléments pour le miner. Je connais ma princesse, je sais qu'une fois devant elle, je lirai en elle comme dans un livre ouvert. Cette empathie me permettra d'ajuster ma stratégie à ses réactions en temps réel, et ce qu'elle me révèle ou non ses pensées. Lorsque j'ai tout écris, j'apprends mon plan par cœur. J'écris aussi que je suis épuisé de mener une vie aussi hystérique, que je ne peux pas continuer à vivre dans l'extrême comme ça, que j'ai besoin de me poser, d'avoir la paix !

Je parviens à Francfort : plus que quatre heures. Deux heures d'attente, une heure d'avion jusqu'à Lyon, une demi-heure de trajet, et je serai en mesure de passer à l'action. Il est convenu qu'on s'explique dès mon arrivée. Elle m'a au moins accordé ça. Je prends conscience que je suis en Europe. Cette pensée me fait tout bizarre.

Horreur ! Le vol pour Lyon est annulé ! Il y a grève des aéroports. Ces enculés de Lufthansa m'expliquent qu'ils peuvent me payer une chambre d'hôtel jusqu'à-ce que le trafic reprenne et que cela peut prendre des jours, mais que si je décide de prendre le train, ils ne paieront pas le billet. Comment rester dans cette attente ? J'appelle mon meilleur ami qui devait venir me chercher à l'aéroport et lui dis de laisser tomber. J'appelle ma princesse indienne et nous convenons que je la rappelle le lendemain matin, dès que je saurais à quelle heure nous pouvons nous voir. Elle est d'une froideur encore plus insupportable que l'autre jour. Je fonce à la gare et saute dans un train pour Paris (Dieu merci, il y en a un tout de suite !). Là, je parle avec un Black pendant dix minutes et je m'endors comme une pierre sur ma couchette. Dormir, enfin !

J'arrive à Paris vers huit heures du matin. Je suis un peu reposé mais comme en état de choc. J'écris que mon âme est tuméfiée. Lorsque j'essaie de prendre un billet de train pour Lyon, la machine refuse ma carte bleue : il me restait juste de quoi payer mon billet Francfort-Paris. Qu'ils aillent au diable ! Je n'ai jamais fraudé dans le train de ma vie mais je n'ai guère le choix. Je rappelle ma princesse. Ce n'est plus de la froideur cette voix, c'est la banquise. Ça ne lui coûterait pourtant rien d'être aimable, ce serait même la moindre des choses ! J'ai envie de la gifler pour son attitude glaciale ! J'appelle aussi ma meilleure amie pour lui demander de venir me chercher à la gare. Je suis à ce point abattu que je ne me sens même plus la force d'aller seul jusque chez elle. Dans le train, le contrôleur me met une prune. Ma carte d'identité indique mon ancienne adresse. Je ne recevrai jamais l'amende, je l'attends toujours. Je passe les deux heures de trajet à ressasser mon plan de reconquête. Mon cerveau tourne en circuit fermé, en boucles infernales, ça ne peut plus durer, il faut que j'agisse.

Dans la station de métro de la gare Lyon Perrache, une femme s'approche de moi, avec un bébé dans les bras. Ma meilleure amie. Son regard bienveillant est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis une semaine. Et ce bébé, qui me contemple un peu étonné. Mon filleul, que j'ai tant attendu, à peine eu le temps de connaître avant de partir. Mon amie sait, bien-sûr, dans quel calvaire je suis embarqué. Enfin une bouée de sauvetage, quelqu'un de proche à qui parler ! Je les serre longuement dans mes bras, et nous allons chez elle. Dans moins d'une heure, j'ai rendez-vous avec ma princesse.


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