29 octobre 2011

Gobe, l'ami, gobe !

« Attention, à compter du premier janvier 2012, Facebook va devenir payant ! Seul moyen de bloquer cette future fonction : mettre ce message en statut avant le 31 décembre à minuit ! Si tu copies ça sur ton mur, ton icône sera bleu et ce sera sans danger pour toi mais sinon, tu devras payer ! Alors attention fais passer ce message sinon... !!! (PS: c'est du sérieux, l'icône devient bleu alors copie sur ton mur). »

« J'ai reçu un appel téléphonique la soirée passée d'un individu s'identifiant comme étant au service de France Télécom qui effectuait un essai sur les lignes téléphoniques. Il mentionne que pour compléter l'essai, je dois appuyer sur le neuf (9), le zéro (0), la touche carré (#) et puis raccrocher. Heureusement, j'étais méfiante et j'ai refusé. En contactant la compagnie de téléphone, j'ai été informée qu'en appuyant sur les touches (9, 0, et #) vous donne entièrement accès à l'individu de se servir de votre ligne téléphonique et vous lui permettez de faire des appels interurbains qui seront facturés à votre numéro de téléphone de la maison. J'ai également été informée que cette fraude provient de plusieurs prisons locales. Le service de sécurité de France Télécom demande à ce que je partage cette information avec tous ceux et celles que je connais. »

« Un garçon de 14 ans a été tiré dessus a six reprises par son beau-père, le garçon était en train de protéger sa soeur de deux ans qui était sur le point d'être violée. rien est arrivé a la petite grâce au courage de son frère. Tout cela est arrivé alors que la mère était au travail, ce brave jeune homme se bat pour la vie, mais les médecins disent qu'il ne survivra pas sans une opération. Opération qui est très chère et que sa mère ne pouvait pas se permettre. Facebook et les entreprises acceptent de faire don de 45cents pour chaque fois que quelqu'un publiera ce message sur son profil, SVP ça prends 2 secondes. »

Nous avons tous lu ce genre de messages sur Facebook, ou sur notre boite mail. Les trois exemples ci-dessus (rédigés dans un français lamentable), sont totalement faux et pourtant, je les vois se répandre comme des trainées de poudres. Sommes-nous en 1997, aux premières heures d'internet ? Non : nous sommes en 2011 ! Pourtant, le phénomène se poursuit sans cesse, j'en vois des exemples tous les jours...

Commençons – avec un peu de bon sens – par une analyse des trois messages ci-dessus :

1) Le modèle économique de Facebook est – par définition – basé sur la gratuité et la publicité. Devenir payant serait, pour Facebook, un suicide commercial (ne serait-ce que parce que d'autres entreprises, par exemple Myspace ou Google +, s'empresseraient de récupérer toute la clientèle « gratuite » de Facebook). De surcroit, Facebook ne permettrait pas à certains abonnés de conserver la gratuité, et moins encore en copiant-collant un statut (c'est idiot, et c'est surtout techniquement impossible à comptabiliser, d'autant moins que le message sera modifié et traduit en plusieurs langues). Pourtant, nombre de mes amis ont copié ce statut sur leur mur ou l'on fait suivre par mail, en toute sincérité.

2) Le second message est totalement délirant : s'il était possible de « s'approprier » la ligne téléphonique de quelqu'un juste en tapant un code, la démarche la plus simple serait, pour l'opérateur, d'annuler la fonction qu'il a créée (dans quel but, d'ailleurs, la fonction aurait-elle été créée ?). Dans tous les cas, les opérateurs seraient juridiquement en tort, puisque responsables de l'existence d'une manipulation permettant l'utilisation frauduleuse d'un service payant. Pourtant, nombre de mes amis ont copié ce statut sur leur mur ou l'on fait suivre par mail, en toute sincérité.

3) Le troisième message est à peine moins invraisemblable : il est toujours impossible de comptabiliser les copier-coller de statut ou les envois de mails ; le message ne contient nulle date (le message continuerait donc de circuler cent ans après l'opération de l'enfant) ; et en outre l'affaire serait désastreuse en termes d'image pour Facebook et les entreprises concernées (le « marketing » consistant à dire que si des tas de gens copient un message, on opère le gamin, mais que si personne ne le copie, on le laisse crever et on s'en lave les mains alors que de toute façon on a le fric pour le sauver !). Pourtant, nombre de mes amis ont copié ce statut sur leur mur ou l'on fait suivre par mail, en toute sincérité.

Ouais, c'est assez fou, mais avant même de se livrer à ces petites analyses, il suffit simplement de procéder à deux mesures de vérification :
- Le texte contient-il un lien vers un site internet caritatif, une entreprise avérée, un article de presse officiel ? Si ce n'est pas le cas, on peut être sûr que le message est faux.
- Copier-coller le contenu du message en question sur Google : on sera systématiquement renvoyé vers un site du type Hoaxbuster, qui nous apprendra que le message est une farce éhontée.

D'une manière générale, tous les message « viraux » de ce genre (et je dis bien TOUS !) sont faux, qu'ils circulent par email ou sur Facebook ou ailleurs. Dans le doute, il suffit d'utiliser les méthodes de vérification ci-dessus.

Maintenant, me direz-vous, tout ceci n'est pas très grave ! Après tout cela ne coûte rien, il ne faut envoyer d'argent nulle part, cela prend deux minutes à copier-coller. Bref, on s'en fout un peu si c'est vrai ou non, ce ne sont que d'innocentes farces...

Ouh-la-la... OUH-LA-LA !!!

Ben... heu... en fait, si : c'est assez grave !

Il me semble que, dans une société d'information et à l'ère d'internet, il est vital de s'attacher à la vérification des informations que l'on fait suivre, sans quoi c'est ouvrir grand la porte à toutes les formes de manipulation de masse. Certes, on a a confiance en la personne qui a posté ce message, qui elle-même avait confiance dans la personne qui l'avait posté avant, etc. Oui, bien sûr. Maintenant, imaginons que je sois malhonnête, ou juste un peu taquin (ça arrive), ou juste un militant socialiste prêt à tout pour que Sarko ne soit pas réélu, ou encore quelqu'un qui est naïf et qui a cru un truc entendu ici ou là... Je poste un message disant « Attention ! Nicolas Sarkozy a annoncé qu'il proposera, lors de son prochain mandat, un projet de loi visant à rétablir la peine de mort en France et dans l'Union Européenne ! S'il te plait fais suivre ce message afin de protéger les droits de l'homme en Europe ! ». Les gens qui me font confiance, habitués à faire suivre tout et n'importe quoi, vont s'empresser de répandre mon message. Après une semaine, cette information totalement fausse aura été reproduite à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires et traduite dans plusieurs langues. Elle fera potentiellement perdre des voix à Nicolas Sarkozy, parce que nombre de gens qui votent à droite sont contre la peine de mort, et elle ternira l'image de la France à l'international. L'équivalent est évidemment possible à propos de François Hollande ou n'importe qui ou n'importe quelle cause et – dès-lors – l'habitude intempestive (je vois ça tous les jours sur Facebook et ça me rend dingue) de faire suivre N'IMPORTE-QUOI sans vérifier devient un véritable pouvoir de désinformation, avec de réelles conséquences politiques. Non pas pour dire qu'il faut voter Sarkozy, c'était juste un exemple, mais je vois régulièrement des gens s'enflammer (vraiment !) pour des causes... totalement imaginaires !

Et ce sont souvent les mêmes gens qui protestent contre la désinformation des médias et les mensonges des hommes politiques et des grandes entreprises, qui clament que Ben Laden n'est pas mort, que George W. Bush a commandité les attentats du 11 Septembre ou que l'on n'est jamais allé sur la lune...

Nous obtenons donc des individus polarisés entre un doute (légitime, quoi que frisant souvent la paranoïa) vis-à-vis de toute information émanant des gouvernements, médias et entreprises « officiels », mais prêts à gober toute information dès-lors qu'elle est diffusée sur internet, par un individu isolé. L'absence de jugement est totale, les informations les plus abracadabrantes sont véhiculées sans la moindre hésitation par des citoyens qui ne vérifient rien, qui ne se donnent même plus la peine de réfléchir à la vraisemblance des histoires démentielles qu'ils colportent, ni de s'assurer qu'elles sont authentiques...

Vous direz ce que vous voudrez, c'est très inquiétant...

22 octobre 2011

Pauvre UMP...

Cette semaine, Jean-François Copé se lamente. Je cite : « Il faut mesurer ce que ça a été d'être sorti de fait du débat pendant deux mois, des plateaux télé où il n'y avait que des gens de gauche, des gens du PS autour de la table ! ».

Que l'UMP proteste d'avoir été un temps éclipsé par son adversaire politique, amen. Ce sont ici les termes employés qui m'interpellent : le fait qu'il « faille mesurer ce que ça a été » implique que ça a été vraiment, mais alors vraiment terrible, une souffrance si insupportable qu'il ne s'agirait pas de la minimiser, de la considérer comme un détail anodin.

Il y a des tas d'autres gens qui se plaignent, dans ce pays : par exemple les chômeurs longue durée, les mères célibataires, les sans-papiers, les professeurs de collèges en banlieue, les ouvriers qui passent leur vie dans une usine, les SDF, et j'en passe... Le discours de Copé est sans ambivalence : les gens de l'UMP ont souffert, et les Français doivent « mesurer » l'intensité des épreuves que vient de traverser leur gouvernement ! Imaginez un peu ce que ça peut faire à un homme ou à une femme, d'être « sorti des plateaux télé pendant deux mois »... Ça c'est du drame humain, du vrai ! Et imaginez qu'en plus, pendant ce temps, il n'y ait « que des gens du PS autour de la table » ! Vos adversaires politiques se pavanent sur le petit écran, et vous on ne vous invite plus ! C'est tout simplement atroce ! Pauvre Jean-François ! Pauvre UMP ! Il faudrait se mettre un peu à leur place, au lieu de pleurnicher pour vos retraites et votre pouvoir d'achat !

Et ce sont ces gens-là qui accusent le PS d'être « déconnecté de la réalité »...

Sans déconner...

2 octobre 2011

The India Experience - 9/ The Jaisalmer Experience (Pt. 1)

Premier voyage en Inde, février-mars 2001.

Décollage ici.
Expérience précédente : The Pushkar Experience (Pt. 3).


23 février 2001 - 26 février 2001 : The Jaisalmer Experience, Jaisalmer (Rajasthan)

Jusque-là, j’étais en fait assez renfermé sur moi-même. Besoin d’intérioriser, de me reposer des êtres humains, de m’habituer à cet environnement nouveau. Dans le bus qui m’entraîne vers Jaisalmer, je décide qu’il est temps de m’ouvrir davantage aux gens. Je sympathise donc avec mes compagnons de voyage, surtout Rotem, un Allemand avec qui je resterai en contact par la suite.

Jaisalmer est une petite ville fortifiée, à proximité de la frontière pakistanaise. Rotem et moi choisissons l’hôtel Anurag, tenu par des musulmans aux surnoms inoubliables (« Thomas Cook », « Fried Chicken »…). Le prix des chambres est ridiculement bas, mais il est une option moins chère encore : dormir à la belle étoile, sur le toit-terrasse. Là, j'adopte en guise de lit une sorte de banc. J'y connaîtrai deux réveils brusques. La première nuit, Rotem débarque complètement paniqué, me supplie de l'aider. Je me demande s’il s’est fait piquer par un scorpion ou quoi, mais en fait il tape juste un bad trip, à cause d’une violente et fiévreuse gastro-entérite. Je le rassure : il ne va pas mourir cette nuit. Je lui refile en bonus un Doliprane et du Smecta. Plus tard, je me retourne dans mon sommeil et m'écrase un mètre plus bas, sur le sol bétonné. Cette expérience fort douloureuse me convainc de m'installer par terre.

Jaisalmer est une cité pleine de vie, grouillante de touristes et d'Indiens affairés, aussi j'y rencontre tout un tas de gens. Il y a cette Américaine qui a décidé d’offrir six mois de voyage en Inde à ses filles Simone (six ans), Brownwin (huit ans) et Mistral (dix ans), avec l’aval du papa et la conviction qu’elles « apprendront davantage ici qu’à l’école ». Les gamines, en effet, sont incroyablement éveillées pour leur âge. Elles copinent beaucoup avec les enfants indiens. Eux, je les aperçois dans les arrière-boutiques, passionnés par des jeux vidéo : des vieux jeux des années 80 en 8 bits, sur des consoles d'époque ! Il y a aussi les innombrables marchands, qui veulent tous m'offrir le chai. J'annonce dès le départ que je n'achèterai rien et je passe aussitôt de la catégorie « portefeuille sur pattes » à la catégorie « personne avec qui l’on discute pour le plaisir de discuter ». Nous papotons ainsi des heures durant. Ils m’expliquent leurs vies, leurs familles, leurs mariages, leurs espoirs, leurs craintes. J'en fais autant. Nous goûtons à ces échanges culturels avec une curiosité réciproque. Nous médisons ensemble sur les vieux touristes, qui visitent l’Inde comme on visite un zoo. Je les vois faire : ils défilent dans les boutiques en s’offusquant des prix « exorbitants » de marchandises qu'ils paieraient dix à vingt fois plus cher dans leur pays d’origine ! Les Français, comme par hasard, sont les pires.

J'aborde à chaque fois la question du mariage arrangé. Mes interlocuteurs ne vivent pas cela comme une contrainte. D'une part, pour eux cela est normal : la vie est ainsi faite et c'est intégré dès le plus jeune âge. D'autre part, ils font aveuglément confiance à leurs parents, qui choisiront (ou ont déjà choisi) une partenaire de qualité. Le concept de mariage arrangé est une abomination pour nous autres Européens mais il a sa logique. D'abord cette idée que les parents, plus expérimentés, font un choix plus sage que ne le pourrait leur jeune progéniture. Mais surtout, le mariage à l'indienne procède d'une vision de l'amour radicalement différente de la nôtre. La passion, m'explique-t-on, n'a rien de bon. Elle se consume et s'éteint. Elle condamne à une vie de désillusions. L'amour est quelque chose qui se construit sur la durée, un sentiment qui se consolide progressivement. Les couples indiens, qui se découvrent au jour des épousailles, apprennent donc à s'aimer au fil des années, et cela fait des couples plus heureux, du moins est-ce la théorie (en pratique c'est évidemment moins miraculeux). Le mariage arrangé disparaîtra tôt ou tard ici comme il a disparu ailleurs, mais l'idée de cet amour qui se construit pas à pas me plaît. En Europe, nous sommes passé d'un extrême à l'autre en l'espace de deux générations. Ça n'est pas nécessairement plus brillant. Nous consommons de l'histoire d'amour. On rencontre un(e) inconnu(e), on se précipite dans ses bras, on passe des présentations au sexe en une ou deux soirées et le lendemain on forme un couple. À chaque nouvelle relation, nous jurons à notre entourage que cette fois c'est la bonne, qu'il ou elle est formidable, que nous sommes fous d'amour. Au bout de quelques semaines, quelques mois, plus rarement quelques années, c'est la débâcle. On se déchire, puis on se sépare, non sans maudire celui ou celle que nous encensions auparavant. J'avais lu que l'homme est un « monogame à répétitions », que ce nouveau paradigme correspond à notre nature comportementale. C'est peut-être vrai, mais alors pourquoi passer par tant de violence affective, pleurer tant de larmes ? Je dis cela et je fais comme tout le monde… Mais cette idée d'apprendre longuement à se connaître, de laisser les sentiments s'installer, me paraît sensée. Je me demande s'il est possible de la mettre en pratique dans le contexte de la frénésie française…

Un autre de ces boutiquiers me demande si j'ai un walkman. J'en ai un, mais je viens de le casser. Certain de parvenir à le réparer, il m'offre deux taies de coussin en échange. Ces taies sont très jolies, c'est un travail délicat, ornementé avec soin. Alors je file chercher mon walkman et repars satisfait de la transaction. Fried Chicken me dit que je me suis fait arnaquer. Peut-être, mais ce genre de taies valent bien cent balles pièce en France, et mon walkman pourri (et cassé) m'a coûté cent balles : j'estime m'en tirer à bon compte…

Je dois aussi m'organiser pour la Desert Experience. Je sais désormais que je ne peux transporter de l’eau que pour cinq jours. Et que je ne suis pas capable d’aller suffisamment loin à pieds pour m’isoler totalement. Il me faut donc un chameau ! Les safaris de chameaux sont ici chose courante. J'ai donc en tête de profiter d'un safari pour me faire conduire et déposer quelque part où l’on me fichera la paix, et de m'y faire récupérer dix jours plus tard. J’en parle à deux ou trois agences : toutes refusent. On m'affirme comme à Pushkar que je suis fou à lier, que je vais me faire attaquer par des voleurs ou mordre par un serpent. Un seul veut bien céder, mais à condition que son neveu, un adolescent de treize ans, reste avec moi pour ma « protection » (!). Je refuse fermement malgré tous ses arguments (« il restera à l’écart », « il ne parlera pas avec toi »). En dehors d'une authentique et totale solitude, l'expérience n'a aucun intérêt. Ce sont finalement les gens de mon hôtel qui se laissent convaincre.

Thomas Cook, le camel driver de l’hôtel, me permet de résoudre le problème majeur de l’alimentation. Étant donné qu'il est impossible de conserver du Laxmi Bread au soleil pendant dix jours (et puis j'en ai jusque-là du Laxmi Bread !), je dois cuisiner. Cook le bien nommé m’explique donc comment faire du feu avec des branches sèches (le Thar n’est pas le Sahara, il y a des buissons çà et là). Il me suffit de protéger mon foyer du vent, avec un cercle de cailloux, qui servira en outre de support pour ma casserole. Nous allons ensemble acheter du riz, du dahl, du sel, de l’huile, une casserole, une assiette, une cuillère à soupe et une fourchette, et me voilà équipé ! L'hôtel me fait également rédiger une attestation : ils ne sont pas responsables de moi entre le moment où ils me posent et le moment où ils me reprennent. À force d’entendre les Indiens s’exclamer que je cours au suicide, je m'arrange avec Rotem : s'il n’a pas de mes nouvelles par email d'ici deux semaines, il devra contacter ma famille en France et les autorités ici.

Je m'endors serein. Je me suis rouvert aux autres comme je le souhaitais, et je vais enfin réaliser mon rêve de désert. Si d'aventure je dois y laisser ma peau, comme on me l'a tant prédit en France et ici, ma foi… J'aime autant mourir dans le désert qu'ailleurs…


Prochaine expérience : The Desert Experience (Pt. 1).
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