Premier voyage en Inde, février-mars 2001.
27 février 2001 - 9 mars 2001 : The Desert Experience, Désert du Thar (Rajasthan)
27 février 2001 - 9 mars 2001 : The Desert Experience, Désert du Thar (Rajasthan)
Introspection, suite et fin. Septembre 2000 : depuis quelques mois, les antistes du Point Moc travaillent dur à me traîner dans la boue. Pourquoi ? Je ne leur ai jamais rien fait, à ces gens. Ils ont pourtant leurs raisons – si pathétiques, si ahurissantes soient-elles ! C'est parti de trois fois rien. D'abord, une fille de là-bas a trouvé quelques-uns de mes textes sexistes (ils ne l'étaient pas, mais on donne bien aux mots le sens que l'on veut). Alors très vite, ils se sont procuré mon recueil de nouvelles et quelques textes offerts à une amie, ils ont épluché tout cela minutieusement (sans rire !), et il a été déclaré à l'unanimité que j'étais sexiste ! C'est là mon premier péché. Mon second péché est d'être élitiste. La faute en revient cette fois-ci à la Casa Okupada. Ce n'était pourtant pas mon idée que d'en faire un squat artistique et pas un squat politique. Les gens qui étaient là-bas étaient venu me chercher pour cela, nom de de Dieu ! Mais peu importe : je suis désigné seul responsable du vol (!) d'un squat à la communauté altermondialiste au profit de l'art. Et l'art, c'est bien connu dans les milieux d'extrême-gauche, est élitiste. Mon troisième péché, tenez-vous bien, est d'être un ultralibéral ! Ah bon ? Oui, parce que pour le festival Neweden Week, nous avons fait appel à des sponsors et collé leurs logos sur nos affiches. Hors, ce n'est pas nouveau, la publicité est le pire des maux en ce bas-monde. Cet argument aurait quelque sens si nos sponsors avaient été des multinationales. Mais enfin il s'agissait de petits commerces locaux : disquaires, libraires, friperies, restaurants… Peu importe, cela fait de moi un complice éhonté du FMI, de la Banque Mondiale et du G8 ! Mon quatrième péché est un tant soi peut moins officiel, et pour cause : c'est d'avoir pour ex une fille qui sort avec un des fondateur du Point Moc. Une ex qui est devenue une bonne amie, sans qu'aucune ambivalence ne subsiste entre nous. Pour mon plus grand malheur, son nouveau mec est de loin le plus crétin de toute la bande. Incapable de supporter que sa copine m'eut aimé et me tienne en grande estime, il utilise avec ferveur les péchés un à trois pour entacher ma réputation.
S'ils ne faisaient que ne pas m'aimer, ça ne serait pas très grave. Mais en cette rentrée 2000, je sais de source sûre qu'ils me haïssent. J'ai suffisamment d'amis communs avec eux pour être bien informé : on me rapporte que ces gens-là passent des soirées entières à casser du sucre sur mon dos, à faire de moi l'incarnation du mal, et ce devant tous ceux – et il y en avait – qui passaient par là. Oh, je sais : c'est dur à croire ! Il faudrait donc qu'ils soient à ce point désœuvrés ? Et bien oui, ils le sont. Il faut comprendre que ces gens-là sont des talibans. Si vous n'épousez pas leurs idées de A à Z, vous êtes par définition leur ennemi. Et comme ils luttent (à coups de slogans, de pétards et de bières) pour le bien de l'humanité, si vous êtes leur ennemi vous êtes l'ennemi du monde. Leur radicalisme, tout infantile qu'il soit, est effrayant ! Pour
exemple, ils vont un soir jusqu'à refouler un chien (avec sa
maîtresse) d'une soirée non-mixte
parce que c'est un chien mâle
(!). C'est exactement ce genre de personnes qui, si vous les mettez au pouvoir, organisent dès le lendemain des exécutions publiques sur la grand place (c'est à peine s'ils ne s'en vantent pas, d'ailleurs) ! Et me voilà devenu la cible numéro un de ces gens-là. J'ai gagné le gros lot ! Je suis ravi !
Ce ne sont que des petits cons, certes, mais des petits cons influents : en quelques mois, ils ont acquis une influence considérable sur les milieux alternatifs lyonnais. Des phrases telles que « c'est pas vég' », « prix libre mais obligatoire » ou « les hommes comme les femmes peuvent pisser assis » sont devenues des mèmes dans le premier arrondissement de Lyon ! La plupart des jeunes babapunks écervelés, en mal de révolution et en quête d'identité, ont fait de ce petit groupe d'incultes une référence intellectuelle ! Et les mensonges qu'ils propagent à mon sujet sont du pain béni pour mes autres détracteurs (car il y en a, plus discrets et plus anciens).
Alors au début je n'y ai pas prêté grande attention, tout concentré que j'étais sur la Neweden Week. Et puis ils étaient tout sourires devant moi. Ils venaient à la Casa, j'allais à leurs apéros. Mes potes étaient leurs potes… Ils ont même obtenu un stand de propagande à la soirée de clôture de ce festival qu'ils décriaient tant (les logos sur les affiches ne les gênaient plus, tout d'un coup !). J'avais vent de nouvelles rumeurs chaque semaine mais je laissais faire. Courant juillet, j'ai commencé à trouver que ça prenait des proportions inquiétantes. À la rentrée, une goutte d'eau a fait déborder le vase et j'ai décidé qu'il était temps de contre-attaquer. La goutte d'eau, c'est une simple conversation, rapportée par des amis. La veille, mon nom est évoqué et un type que personne ne connaît intervient : « Ah ouais, j'ai entendu parler de ce mec, il paraît que c'est un sexiste ! ». Mes potes lui demandent d'où ça sort. « Ben… c'est les gens du Point Moc qui racontent ça ». Je suis fou-furieux. Ça va trop loin. En gros, chaque personne que je rencontre est susceptible d'avoir entendu et cru ce genre de conneries ! Dieu merci, je ne suis pas le seul à en avoir jusque-là de ces abrutis. J'expose mon plan à mon ami Ben T., qui est dans leurs petits papiers mais qui n'en pense pas moins. L'idée est vieille comme le monde : le cheval de Troie. Il se trouve que notre guerre est une guerre froide : à chaque soirée que nous organisons à la Casa Okupada, ils débarquent en masse pour faire de la propagande antiste. Ça soûle tout le monde, ça daube l'ambiance grave, mais comme des cons on les laisse faire. Leurs intrusions répétées dans « mon » lieu me donne pourtant l'opportunité d'infiltrer le leur. Et l'art, bien entendu, est mon arme de guerre. Il nous faut concevoir une performance qui dénonce leur comportement et, sans leur dire un mot du contenu, parvenir à la jouer au Point Moc. Ben est enthousiaste. Nous recrutons d'autres artistes : Colin Bosio, DaBoostemp, Rémy Dumont, Pierrick Maitrot, Chantal Vasseur, Florian Vidgrain et Céline Z.. Nous écrivons ensemble une pièce de théâtre parcourue de musique, de performances plastiques et de danse. Nos personnages tentent de survivre dans une dystopie où dominent les « valeurs » du Point Moc : la rumeur publique fait loi, la liberté de pensée est un crime, la bisexualité est obligatoire, l'argent est interdit, tout écart est puni de mort, etc. Les allusions sont sans ambiguïté : le Point Moc n'est jamais nommé, mais attaqué de toutes les façons convenables. Comme c'est un règlement de compte personnel, Neweden est laissé en dehors : Rumeur publique sera une performance du collectif « Rumeur Publique ». Ben et Pierrick portent le projet au Point Moc, sans dire un mot sur le propos du spectacle. Ces imbéciles acceptent. Date est posée le 3 octobre. Nous travaillons d'arrache-pied : ce n'est pas une mince affaire que de monter un spectacle d'une heure en un mois.
Le 3 octobre pourtant, nous sommes prêts. Il y a facile deux-cent spectateurs. À peine sorti de scène, je me tire : je ne mettrai plus jamais les pieds là-bas. Comme une métaphore de cette catharsis, je me mets une race au rhum et je termine la soirée en gerbant toutes mes tripes. Les gens du Point Moc, eux, étaient davantage occupés à gérer la foule qu'à regarder le spectacle, mais j'ai plus tard confirmation que bien assez de gens leur ont expliqué de quoi il s'agissait. Je viens de leur cracher au visage, chez eux. Les Pentes de la Croix-Rousse ricanent et eux, ils font mine de rien pour sauver la face. Je continue de les subir aux soirée de la Casa. Ils continuent de médire par derrière. Je continue de faire celui qui n'est pas au courant. Guerre froide.
Rumeur publique est somme toute un bon spectacle, quoique bâclé par manque de temps. En travaillant davantage, nous pourrions en faire quelque chose de viable, essayer de le jouer ailleurs. Mais nous convenons tous d'en rester là : c'était un one-shot, ce qui devait être dit l'a été, on tourne la page. Le mouvement, encore et toujours. La suite, je l'ai déjà racontée : je me recentre sur mes autres projets, je tombe amoureux de la jeune fille aux yeux de miel. Je la séduis, puis je la perds. Je décide de partir en voyage. Ma mère meurt. L'extrême est mon tapis rouge…
Et puis advient le second acte de ma guerre sainte. Ça se produit presque par hasard. Début décembre, je travaille sur le script de Small City. Les personnages doivent se livrer à de longues introspections. Je rame à trouver le ton juste, alors je décide de m'appliquer l'introspection à moi-même, juste pour m'entraîner. Il n'est pas du tout question d'utiliser le texte qui en résultera. Ce texte, Confession publique, est au bout du compte un déballage très intime, en même temps qu'un long pamphlet contre les pointmoqueurs. Je me retrouve perplexe : ça m'interpelle. J'en fais la lecture à plusieurs amis : tous sont estomaqués devant la sincérité, le radicalisme de cette mise-à-nu. Alors, je comprends qu'en plus de mon voyage, il y a un autre truc dingue à faire ! Trop de gens racontent n'importe quoi sur mon compte. Il y a des dizaines de moi imaginaires qui vivent dans les bouches des gens. Il est temps de rétablir quelques vérités. Il est temps d'assumer jusque au bout ce que suis, mon quoi, mon pourquoi et mon comment. Je me dois bien ça à moi-même !
Faute de blog, il m'arrive de coller mes poèmes sur les murs de Lyon. Ces happenings prennent parfois la forme d'un journal mural, nommé Cette fois, vous ne pourrez pas dire qu'on ne vous a pas prévenus !!!. Je réalise une couverture à la Voici, avec ma photo : « La vraie vérité sur madcap xtc [mon pseudonyme de l'époque]. Pour la première fois, il se confesse à Cette fois, vous ne pourrez pas dire qu'on ne vous a pas prévenus !!! ». Je photocopie l'ensemble (huit pages A3 !) en cent exemplaire. Quelques jours avant de prendre l'avion, je passe une nuit entière à coller ça à travers la ville ! Ce n'est pas anodin comme geste. Je raconte là-dedans des tas de choses très personnelles. Au delà de ma guérilla contre le Point Moc, c'est une immense prise de risque. On ne s'étale pas à ce point-là sans éprouver quelque frisson ! Ça passera ou ça cassera. Si ça casse, je serai la risée de la ville. Je colle mes affiches le cœur battant, mais je le fais. Pas le choix, ça fait partie de ces trucs qui s'imposent. Et pour couper court aux polémiques, je m'éclipse deux mois en Inde en songeant que la sauce sera retombée à mon retour… C'est une grande jouissance que de les priver, en plus, de leur droit de réponse ! Je
saurai à mon retour que c'est passé, que je n'ai pas été la risée
de la ville et que les antistes
étaient fous furieux.
Je
souris en repensant à tout cela. Difficile d'imaginer qu'il s'est
déjà écoulé cinq mois depuis la rentrée, depuis que j'ai déclaré
la guerre au Point Moc. Je ne devrais pas penser à cela ici,
parasiter ma retraite de ces souvenirs. Mais le désert est
impitoyable : il nous confronte à nos fantômes. À ce prix-là
seulement nous guérit-il des gens et de leurs bassesses. Comme en
août dernier, la solitude est mon médicament. Eux, en ce moment
même, sont en train de boire des bières dans leur squat glauque,
nous maudissant moi et ma Confession publique. La majesté du
désert qui m'entoure et le génie littéraire d'Ayn Rand mettent en
lumière la médiocrité, la petitesse de leurs existences… Mais
chut ! Je suis aussi là pour apprendre l'humilité et la
compassion ! Alors cessons de médire et retournons à nos
méditations !
L'air de rien, pourtant, une métamorphose s'opère en moi…
Prochaine expérience : The Desert Experience (Pt. 3).
6 commentaires:
J'y retrouve tant de choses... (à commencer par nos premiers mots écrits puis collés à la vue de tous, d'ailleurs!). C'est un véritable ravissement à moi-même et à mes mornes journée de travail acharné que de te lire... Merci mon immense ami!
Houla, quel bazar dans ta tête ! Cette histoire (dans laquelle il nous est difficile de nous impliquer autant que toi) occupe toute la place ou presque. C'est un peu normal, dans les premières expériences de désert, tout ce qui nous hante vient polluer l'espace mental et empêche l'accès à autre chose. On verra dans le prochain épisode si tu en décolle un peu.
En suivant ton périple, je suis obligée de me demander ce qui viendrait m'assaillir, à MOI, dans le désert .... Oui, pas si simple de faire le vide, ça suppose, visiblement, de dégueuler d'abord le trop-plein .... Logique, finalement.
Je me fais l'effet d'un vieux: je connais aucun des artistes que tu nommes...
Très (trop?) peuplé ce désert pour être un véritable désert. Il serait bon que tu fasses un peu le vide me semble-t-il. Tout cela me semble être des jeux d'ego.
Hé ben... Y'en a du Lyon dans le désert, j'aurais pas pensé '_'
En même temps, être seul avec soi même est une utopie je crois, on n'est vide que si l'on est amnésique !
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