19 septembre 2016

The China Experience – 37/ The Miao Experience (pt. 1)

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002

Décollage ici.
Expérience précédente : The Lijiang Experience (Pt. 25).


02 novembre 2002 – 17 novembre 2002 : The Miao Experience, de Lijiang (Yunnan) à Guilin (Guangxi), en passant par Dali (Yunnan), Xiaguan (Yunnan), Kunming (Yunnan), Guiyang (Guizhou), Kaili (Guizhou), Leishan (Guizhou), Xinjiang (Guizhou), Lengde (Guizhou), Rongjiang (Guizhou), Zhaoxing (Guizhou) et quelques autres villages dont j'ignore le nom.

À onze heures cinquante précises, le bus démarre. Je vois défiler les immeubles et ça devient carrément un exploit de ne pas me mettre à chialer, mais je ne veux pas me donner en spectacle. Je me lie d'amitié avec trois Chinois et deux Coréens, qui partagent comme toujours tout ce qu'ils grignotent avec moi (parmi lesquelles des choses fort mystérieuses et assez infectes, mais pas que...).

Le bus me dépose à Dali vers seize heures. En dépit des éloges que l'on m'a fait de la petite ville, je la trouve tout à fait quelconque, du moins comparée à Lijiang. C'est assez moche, c'est assez crade, et surtout le comportement des gens est tout à fait différent. Là où, à Lijiang, on vous fiche une paix royale, les habitants de Dali vous abordent à tour de bras pour vous vendre ceci ou cela, au point qu'on se croirait en Inde ! Une vieille femme insiste tant pour m'attirer dans son magasin que j'accepte, et on me traîne avec d'autres touristes dans l'arrière-boutique. Sur une table trône une quantité effarante d'herbe. L'odeur a beau être aguichante, je m'empresse de filer, craignant une descente de police qui pourrait me coûter cher alors même que je n'ai rien acheté. Je me dégote un lit à la Guesthouse No. 4 (c'est son nom, ne me demandez pas où sont les trois premières...). Le grand jardin, très joli, est appréciable, mais l'immense dortoir où je suis censé dormir est assez repoussant : c'est une grande salle tout en longueur, obscure et dénudée. L'air de Dali a cette épaisseur tropicale dont, pour cause d'altitude, Lijiang était démunie. La végétation aussi est différente.

Je me pose un temps dans le jardin de la guest-house et, inévitablement, j'évoque par écrit mes meilleurs souvenirs de la Lijiang Experience, toutes ces rencontres, toute cette humanité... Déjà je suis nostalgique. Je fais ensuite la connaissance d'un couple hollandais d'une cinquantaine d'années, qui m'apprend que les Hollandais ont dix semaines de congés payés par an ! Voilà un pays civilisé !

Je m'enferme finalement dans un troquet sombre et vaguement branché, où un DJ mixe du trip-hop. En fait, entre ma nuit blanche et mon départ de Lijiang, je suis complètement déprimé, alors je décide de noyer mon chagrin dans la bière et de n'aller m'écrouler que complètement sec. Une fois atteint un degré d'ébriété raisonnable, j'écris un très mauvais poème nommé Comment & pourquoi je me suis bourré la face à Dali un samedi soir, dont les quelques fragments récupérables finiront eux-aussi dans Lijiang, Yunnan. Lorsque je n'en puis plus, je rentre m'effondrer dans le dortoir. Je m'assoupis sans peine malgré les ronflements intempestifs de mon voisin et le happening d'un Chinois obèse, qui débarque en parlant tout seul, se cognant dans tous les lits.

J'émerge en fin de matinée. Il y a un jeune Chinois accroupi à côté de ma table de nuit, en train d'ausculter mes lunettes avec fascination, qui s'enfuit dès qu'il réalise que je l'observe ! Bon... Je bois deux cafés d'affilée dans le jardin, il y a deux flics en uniforme qui jouent au ping-pong. La vendeuse du magasin d'à côté, à qui j'achète une bouteille d'eau, tient à son tour à me convaincre de lui acheter de l'herbe. Cet endroit décidément ne m'inspire rien. Je file dès que possible sur Kunming. Cela implique une halte dans une cité nommée Xiaguan (prononcer « Shiaguan ») et normalement je devrais attraper un train pour Guiyang dans la foulée. Mais un accident routier nous bloque longuement sur la route, et je me retrouve contraint de dormir à Kunming. Un taxi refuse de me prendre (!), et un autre me dépose devant un hôtel recommandé par le Lonely Planet. Je me retrouve devant un immeuble qui semble désaffecté, et grimpe trois étages, tout ça pour qu'un type m'annonce que l'hôtel est fermé (l'incident se reproduira, avec un autre hôtel, en 2009 : ne croyez jamais votre Lonely Planet s'il s'agit de trouver un hôtel à Kunming !). L'homme me donne la carte d'un autre établissement où je ne me rendrai jamais. À la place, j’erre jusqu'à en trouver un qui me convienne, sur Beijing Lu. Kunming est comme toutes les grandes villes chinoises, polluée et bétonnée dans tous les sens. Mais comme ailleurs, les habitants paraissent détendus. Il y avait, parait-il, une vielle ville plutôt charmante autrefois, mais les délires du Maoisme l'ont rasée au profit des HLM...

Je dîne et m'installe au Camel Bar, un pub à l'occidentale. À peine arrivé, je tombe nez-à-nez sur... Jenny, la patronne du Prague Café ! Elle est revenue superviser le chantier de son nouveau troquet et nous conversons cinq minutes. Je prends note de quelques considérations sur l'état (déplorable) du monde en buvant de la bière. À la table d'à côté se sont installées quatre jeunes filles, qui acceptent volontiers que je me joigne à elles. Il y a deux Canadiennes (dont une Melissa), une Américaine et une Japonaise et nous papotons un long moment en picolant. Vers une heure du matin, bien raide, je rentre à la guest-house. Je trouve un homme assoupi dans le second lit de la chambre et c'est à la lueur de ma lampe de poche que je consigne « souviens-toi du regard de Melissa ! » sur mon cahier. Après quoi je m'écroule en bonne et due forme.

Le regard de Melissa... Elle était belle, Melissa, mais plus que son physique, c'est son regard qui m'a fasciné. Un regard « yeux-plissés-joues-rentrées », qui hurlait « Mate-moi ! Mate-moi comme je suis belle et surtout intelligente ! ». Le genre de regard qui vous perd dans d'interminables jeux de séduction. Le lendemain, je prendrai note de tout ce qu'éveille en moi ce regard, que je sais pratiquer lorsqu'il le faut, que d'autres pratiquent en permanence. Un regard too much. Trop too much, je crois, pour exprimer l'assurance naturelle. Plutôt l'expression triomphante, jubilatoire, d'une timidité enfin domptée. Ceux qui n'ont jamais été timides ne peuvent pas, en tout état de cause, jouir à ce point de ne pas l'être. Je ne saurai jamais ce qu'il en est pour Melissa, mais je n'oublierai jamais ses yeux ce soir-là.

Je me réveille avec ma seconde gueule de bois consécutive et un roommate iranien en train de bloquer sur MTV. C'est un homme charmant, très raffiné, à l'énergie féminine agréable. Au bar de l'hôtel, je rencontre un professeur d'anglais américain élevé au Zimbabwe, la cinquantaine et bon-vivant. Il bégaye, chose un peu curieuse pour un prof de langues, et sous-entend qu'il peut payer son pétard. Mais je suis assez dans les choux comme ça sans aller m'enfumer par-dessus le marché. J'ai tout une journée à tuer alors j'explore le quartier, et consulte mes mails. Ma princesse indienne m'adresse une missive assez glaciale pour me dire qu'elle a appelé ma régie, qu'ils sont fort mécontents, qu'elle est elle-même assez fâchée d'avoir eu à parler à ces gens odieux, et c'est tout. Je lui réponds un email gentil pour la remercier, glandouille un peu sur internet, puis à nouveau au Camel Bar où je suis le seul client. Devant moi, un panneau indique qu'il est interdit de danser ! OK, je n'en avais pas vraiment l'intention de toute façon. Je termine enfin La pierre angulaire et, à la nuit tombante, je file à la gare. Un train m'emporte vers Guiyang.

Au petit matin, je découvre Guiyang et apprends que je dois attendre midi pour attraper un bus. Je dépose mon sac à la consigne et m'en vais voir à quoi ressemble la capitale du Guizhou. Je ne suis pas déçu ! Bien plus arriérée que Kunming, Guiyang est plus proche de la reculée Hothot, mais dans un tout autre genre : plutôt qu'une urbanité laissée à l'abandon c'est davantage d'une urbanité mal pensée qu'il s'agit. La métropole semble issue de l'imagination d'un architecte dément des années soixante-dix. On y trouve des bâtiments de toutes les formes, des « tunnels aériens » qui relient des immeubles entre eux par le haut, des couleurs bleues et orange à tire-larigot... Yanli m'avait déjà confié son aversion pour cette ville, le trou du cul de la Chine à l'en croire, mais en fait c'est plutôt drôle d'être là. On a l'impression de faire un bond dans le temps, de se retrouver en 1972 ! Dans un petit parc, j'assiste à la urban dancefloor guerilla d'une cinquantaine de vieillards. Au lieu de pratiquer le traditionnel qi-cong, ils dansent ! Une petite sono répands dans l'air de douces mélodies orientales (dont une chanson hypnotique, une sorte de ballade synthpop qui m'évoque le Too Shy de Kajagoogoo mais avec une touche totalement chinoise – je donnerais n'importe-quoi pour avoir ça en mp3 mais c'est un morceau que, malheureusement, je ne retrouverai jamais !) et les couples se font et se défont au gré des chansons. C'est très touchant, je les regarde faire en pensant aux petits vieux français qui vivent souvent isolés dans leurs appartements. Que n'avons-nous, en France, ces traditionnels mini-bals que les Chinois pratiquent au matin ou au soir, dans les rues, dans les parcs... Cela au moins créé du lien social pour les personnes âgées !

Mon bus, évidemment, part en retard, puis me dépose dans la petite ville de Kaili. En route, le chauffeur diffuse un Bollywood doublé en chinois, une espèce de film d'action avec un héros syndicaliste, des bagarres, des méchants, des chansons et deux superbes héroïnes. Lorsque la copine du héros fait sa déclaration d'amour, on obtient une Indienne qui dit « wo ai ni » à un Indien, et c'est assez grotesque. Après ça, j'ai droit à un sitcom Chinois où tout tourne autour d'un gros et d'un restaurant. Moi, je ne me nourris plus que de nouilles chinoises en bolino.

Un second bus m'abandonne ensuite un peu au milieu de nulle part, dans un endroit nommé Leishan. Leishan et Kaili sont deux petites villes fort laides, mais les paysages qui les séparent sont ébouriffants : collines taillées de rizières en terrasses, petits ponts de pierre qui enjambent les cours d'eau... Le Guizhou me séduit... Mon hôtel se trouve au bord d'une route, un peu en dehors de la ville. La douche ne marche pas et ça me navre au plus haut point, mais la chambre est très propre. J'entame la lecture de Skull session, un thriller fantastique de Daniel Hecht récupéré à Lijiang, qui me happe dès les premières pages.

Demain, je vais enfin voir les Miaos ! J'étais, après tout, venu pour ça.


Prochaine expérience : The Miao Experience (pt. 2).

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