14 octobre 2016

The China Experience – 38/ The Miao Experience (pt. 2)

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002

Décollage ici.
Expérience précédente : The Miao Experience (Pt. 1).


02 novembre 2002 – 17 novembre 2002 : The Miao Experience, de Lijiang (Yunnan) à Guilin (Guangxi), en passant par Dali (Yunnan), Xiaguan (Yunnan), Kunming (Yunnan), Guiyang (Guizhou), Kaili (Guizhou), Leishan (Guizhou), Xinjiang (Guizhou), Lengde (Guizhou), Rongjiang (Guizhou), Zhaoxing (Guizhou) et quelques autres villages dont j'ignore le nom.

Mon périple du lendemain me conduit – enfin ! – à mon premier village Miao : Xijiang (prononcer « Shidjiang »). Xijiang est assez mignonne, mais ça n'est pas encore mon fantasme de village Miao : trop gros, trop moderne, trop bétonné... Mais il faut faire une halte. Je me lie d'amitié avec deux jeunes Allemands nommés Niels et Louisa. Niels parle chinois couramment et négocie pour nous deux une chambre chez une famille Miao. Là-bas nous attend David, un Hongkongais qui vit au Canada. Nous dînons avec nos hôtes, un couple charmant qui nous sert verre sur verre d'alcool de riz. Niels étudiant les langues orientales, il s'intéresse naturellement à la langue Miao. Alors que le Chinois comporte cinq tonalités (en comptant le ton neutre), le Miao n'en comporte pas moins de dix ! Déjà qu'il est délicat pour une oreille française de saisir celles du Chinois... Niels demande à l''épouse de les réciter dans son dictaphone, et c'est plus ou moins « do ré mi fa sol la si do » ! Nous finissons la soirée ivres morts, et nous endormons paisiblement dans la confortable chambre, toute de bois, qu'on nous a attribuée.

Comme Niels et Louisa ont déjà un peu bourlingué dans les parages, ils me suggèrent d'aller à Lengde. Selon eux, ce village-ci, bien plus petit que Xijiang, devrait me convenir à merveille. Il n'y a bien entendu pas d'hôtel, mais je puis facilement loger chez l'habitant. Il me faut donc repartir dans l'autre sens, vers Kaili, et demander au chauffeur du bus de me lâcher dans le bon village. Une fois sur place, je vois qu'on ne m'a pas menti : c'est tout petit, c'est tout en pierre, c'est au bord d'une rivière entre les collines ! C'est exactement ce qu'il me fallait !

Sur la place du village, je tombe sur une classe d'étudiantes de Guiyang, venues passer quelques jours ici dans le cadre d'une sortie universitaire. Leurs professeurs les accompagnent et on me conduit dans une famille Miao où logent certaines d'entre elles. La famille est la plus riche des environs, m'informe-t-on, ce que confirme la présence d'une télévision, objet encore rare par ici. Nous dînons et je suis, très vite, l'objet d'attention principale des étudiantes et de leurs professeurs. Trois étudiantes en particulier, Ling Ling, Ai Zhu et Li Zhong, m'adoptent complètement. Je suis sur le point de fêter mes vingt-six ans et, une semaine plus tôt, Iris m'affirmait qu'elle était convaincue que j'en avais trente-six. Mes trois étudiantes, quant à elles, m'en donnent seize ! Allez comprendre... Après dîner, elles m'invitent à les accompagner pour un cours d'anglais qu'elles donnent aux villageois. L'ambiance est plus ludique que scolaire et ma présence ne fait qu'amplifier ce phénomène. Pour une raison que j'ignore, Ling Ling inscrit le mot « lesbian » au tableau et le traduit, ce qui provoque l'hilarité des villageois. Finalement, dans la grande chambre propre et confortable que l'on m'a attribuée, je savoure de me poser un peu après cinq jours de voyage ininterrompu...

Au cours du petit déjeuner, j'observe la grand-mère qui – je vous jure que c'est vrai ! – essaie de tuer un moucheron avec une serpette ! Le plus fou eut été qu'elle y parvienne et je suis presque soulagé lorsqu'elle renonce finalement. Je passe la totalité de ma première journée à Lengde en compagnie des étudiantes. L'après-midi, les villageois organisent en notre honneur une sorte de spectacle, où de jeunes hommes et femmes du village procèdent à toutes sortes de danses pendant que d'autres hommes jouent de la musique. J'ai décidément du bol, parce que n'eut été la présence des étudiantes, je n'aurais pas vu ça. La fête se poursuit tout le soir durant. La directrice de l'université de Guiyang me présente à tous les pontes du bled, et comme chacun est prié de donner de la voix sur la grand-place, on insiste pour que je chante une chanson. À vrai dire, je n'y tiens pas trop. Mais comme tout le monde me sait désormais chanteur, je suis cuit. La directrice de la fac me dit « ce sont des gens simples, n'importe quoi fera l'affaire mais vous ne savez pas le plaisir que ça leur fera. Dites juste quelques mots avant pour expliquer de quoi parle la chanson ». Pour quelque drôle de raison, les villageois de Lengde, incapables de différencier Billie Jean de La Traviatta, m'impressionnent bien davantage que les hipsters devant lesquels je me produis à Lyon. J'essaie de songer à la chanson la plus brève possible (ce qui exclue d'office les miennes), et après leur en avoir vaguement expliqué le sens, je leur sers The Question Of U de Prince (un couplet, on ne peut pas faire plus court !). Plus tard, mes trois potes me content leur quotidien, dans la plus grande ville de la plus pauvre des provinces chinoises. Je suis aussi un peu échauffé parce qu'elles sont tout simplement irrésistibles, surtout Li Zhong qui me retourne la libido avec son corps de rêve et ses sourires. Mais il n'est pas question de flirter, alors personne ne flirte...

Le lendemain, les étudiantes s'en vont. Je me retrouve seul dans un village où nul ne parle anglais. Je décide de rester encore cinq jours. Pas un touriste ne viendra troubler mon séjour. Mes rêves changent soudainement à Lengde. Je rêve trois fois de ma mère, et les trois fois je lui tiens tête lorsqu'elle veut se jeter sur moi, de sorte qu'elle bat en retraite. Je fais d'autres rêves encore, mais pour la première fois depuis mon départ de France, je n'ai plus le mauvais rôle ! Mon inconscient fait son petit chemin vers un mieux-être, semble-t-il. Je dévore Skull session avec avidité. Je relis en parallèle L'incident Œdipe, parsemant mon manuscrit de ratures supplémentaires. Je poursuis, sans conviction, mon scénario du troisième album d'Épeira et prends des notes pour Blastann Zeimer. En relisant mon roman, je me réjouis des différentes expériences que j'y ai faites. À cette époque-là, je n'ai pas encore découvert Milan Kundera (je ne me plongerai dans son œuvre que quelques mois plus tard) mais les notes que je prends à Lengde, préfigurent déjà la révélation que seront pour moi ses romans. J'écris en effet que la plupart des romans que j'ai lus dans ma vie, et j'en ai déjà lu foison, respectent avec obstination la linéarité du récit, se figent dans une unité stylistique qui se refuse à toute expérimentation. J'y vois une limite immense à l'art du roman, et c'est précisément à travers ses romans et son essai L'art du roman que Kundera viendra bientôt me conforter dans cette idée, m'encourager dans une voie sur laquelle je me sentais jusque-là bien seul...

Le reste de mes journées se passe à déambuler dans les collines, au milieu de paysages idylliques. Seul le ciel, capricieux, se fait parfois gris et triste. Comme je squatte aux abords d'une rizière, une femme Miao m'invective et je me demande si ma présence est inopportune, mais je n'en saurai pas davantage. La famille qui m'accueille est courtoise mais assez froide. On me fait à manger trois fois par jour, on me remplit un bac d'eau chaude lorsque je souhaite me laver, et c'est à peu près tout. Un soir que le fils, un gamin d'une dizaine d'années, regarde un film chinois sous-titré en anglais. Je me pose devant la télévision mais le film est tellement navrant que je m'en désintéresse vite. La nuit, ce que je suppose être des souris se baladent au-dessus de ma tête, dans le grenier. Je poursuis tout du long mon travail sur moi. J'aborde la question mon identité sexuelle, en perpétuelle fluctuation entre mâle et femelle. Depuis deux ans, le féminin avait largement pris le dessus : la moitié de Lyon me croyait gay à cause de mon look de grande folle, de ma gestuelle efféminée, de mes longues tresses violettes... Je me sentais plus femme qu'homme, en dépit de mon hétérosexualité. Je me sentais lesbienne, en somme. Les choses se sont d'un coup rééquilibrées lorsque j'ai rencontré ma princesse indienne. Avec elle, j'ai commencé à me réconcilier avec mon masculin, un travail que je poursuivrai tout au long de notre relation. J'analyse un peu le parcours qui m'a conduit à une si forte féminité. Issu d'une lignée de princesses, sans sœur pour prendre la relève. Élevé par ma mère et mes deux grand-mères, leurs discours féministes et leur mépris des hommes. Hommes faibles, lâches, idiots, brutaux parfois... Mon père, qui a dix fois moins de tempérament que ces femmes, ne risque pas d'améliorer l'image que je me fais des hommes. Mon grand-père maternel est mort lorsque j'avais deux ans, et mon grand-père paternel était de ces hommes aussi fermés qu'une porte de prison. Et puis il y a ce bébé que ma mère a perdu quatre ans avant ma naissance. Fausse couche, on ne saura jamais si c'eut été une fille ou un garçon. Mais ma mère, dans sa folie, a décrété que c'était une fille, et qu'elle eut été parfaite. Je vis dans l'ombre de cette grande sœur imaginaire, qui me surpasse en tout et qu'il me faut égaler. Bref, on a gravé dans mon subconscient que les femmes sont infiniment supérieures aux hommes. Ceci explique que j'ai tant voulu en être une. Cela explique aussi que, paradoxalement, je ne sois jamais devenu homosexuel : si les femmes sont supérieures aux hommes, comment pourrais-je jamais désirer un homme ? J'apprends à faire l'amour « comme une fille » et cela devient ma botte secrète : plusieurs filles victimes de viol viennent se guérir dans mes bras, se réconcilier avec le sexe, et me quittent ensuite pour pouvoir tourner vraiment la page... Être une lesbienne... C'est un programme un peu compliqué quand on a une paire de couilles entre les jambes. Alors je songe qu'il est temps d'accepter enfin que je suis un homme et qu'il n'y a ni de mal, ni de honte, à cela...

Je songe aussi aux six mois qui ont séparés la rouquine de la princesse indienne. Six mois de paralysie complète concernant ma capacité à, comme dirait Houellebecq, « entamer une démarche de séduction ». Cela avait commencé un peu avant, à vrai dire, après la jeune fille aux yeux de miel. Je m'étais installé définitivement sur mon canapé. Ensuite il y avait eu la Québécoise et finalement cette semaine furieuse, début septembre 2001, où cinq filles différentes s'étaient succédées dans mes bras en l'espace de quelques jours... Comme évoqué dans La Québécoise, les Islamistes en furent à ce point outrés qu'ils déboulonnèrent immédiatement le World Trade Center en représailles. Sacré responsabilité pour mes petites épaules... Et du coup plus rien, sinon un happening désespéré en décembre. La rouquine, ça aurait pu marcher mais ça n'a pas marché, et ça m'a tellement anéanti qu'à l'exception d'un nouveau happening désespéré, je m'en suis tenu là pour six mois... Il est vrai que ma meilleure amie enceinte s'était installée chez moi : pas idéal pour pêcho. Et puis je me traînais comme une épave, de soirée en soirée, hanté par la rumeur publique. Je crois que c'est ça en fait, qui m'a paralysé le plus. Il était devenu rare que je rencontre une fille qui n'ait pas déjà entendu parler de moi. Le problème c'est qu'il se disait tant de chose à mon sujet, bonnes et mauvaises, vraies et fausses, que je ne savais jamais ce que sous-entendait leur « ah... mais c'est toi Madcap ?! » (mon surnom dans la vraie vie, et mon nom de scène à l'époque). Oui c'était moi Madcap. Le problème était que, selon qui leur avait parlé de moi, je ne savais jamais trop de quel Madcap il s'agissait. Était-ce le hipster hyperactif et charismatique, l'artiste doué, le mec sympa qui se bougeait pour organiser des festivals et accueillait tout le monde dans son auberge espagnole que décrivaient certains ? Ou était-ce le salaud prétentieux, sexiste, hypocrite, mondain et superficiel que décrivaient mes ennemis auto-proclamés. Difficile de savoir. Comment aborder une fille qui porte en elle un portrait imaginaire de vous ? Et puis il y avait aussi un autre problème, qui était que tout se savait. S'il advenait que je me prenne un râteau, la ville entière le saurait ! Et le proverbe n'a pas tort : « une de perdue, dix de perdues ». Les filles sont trop fières : elles estiment dégradant de sortir avec un mec qui s'est fait moucher par une autre fille. À vrai dire je ne tentais jamais ma chance sans être certain que la porte était ouverte, de sorte que des râteaux je n'en prenais jamais. Mais je me souviens tout de même de cette fille. Et je réalise qu'en fait ma paralysie remonte à elle, pas à la jeune fille aux yeux de miel. Elle s'appelait Virginie, et je saurai plus tard qu'elle sortait avec un mec de Redbong. On s'était rencontrés en soirée, en 1998, et elle m'avait laissé son numéro de téléphone (s'abstenant de préciser qu'elle avait un mec). Elle ne m'avait jamais rappelé et j'avais lâché l'affaire après trois messages, mais j'avais su plus tard qu'elle était allé crier partout que j'étais amoureux d'elle (pour être honnête, j'avais surtout envie de la sauter) et qu'elle m'avait mis un vent (en fait nous n'en étions jamais arrivé là, encore eut-il pour cela fallu qu'on se revoit). J'avoue, j'avais vécu ça comme une implacable humiliation. « Une de perdue, dix de perdues ». Si le râteau imaginaire (mais public) d'une mythomane était parvenu à m'embarrasser, on imaginera sans peine l'effet dévastateur qu'un vrai râteau public aurait eu sur moi. Et puis j'avais simplement trop morflé, perdu toute confiance en moi. La fille aux yeux de miel, la Québécoise, la rouquine... Se faire plaquer trois fois en un an c'était juste un peu too much... Il avait beau eu s'agir de trois princesses de catégorie A, avec lesquelles tout le monde voulait être, il n'y avait guère de gloire à les avoir séduites si c'était pour ne pas parvenir à les garder. Autour de moi, les Pentes de la croix-Rousse étaient devenues une partouze incessante, ça baisait dans tous les coins et je me sentais complètement à côté de la plaque... À la fois, je n'avais plus grand intérêt pour les plans cul, j'avais juste envie d'une amoureuse... Bref, le contexte n'y était pas. Alors toute ma libido, toute ma frustration sexuelle et affective passait dans les chansons, répétitions et concerts de Shoona Sassi, et il faut bien admettre que ça donnait une certaine intensité au résultat... Il est d'ailleurs significatif, lorsque l'on sait que je serai en couple de façon quasi ininterrompue entre mi-2002 et la fin du projet fin 2005, de constater à quel point mon intérêt pour Shoona Sassi, en tant que projet, diminuerait peu à peu... Une fois, en lisant Mon nom n'est pas Tantale, une amie m'a dit « Tu veux c'que tu veux pas ». Elle avait raison.

« Ne vous attachez pas aux vues duelles, évitez soigneusement de les suivre. S'il y a la moindre trace de oui ou de non, l'esprit se perd dans un dédale de complexités. »
Arnaud Desjardins.

Je manque décidément d'entrain au travail à Lengde, préférant errer interminablement dans la campagne. Il faut dire qu'écrire des scénarios de BD fantastique et SF après un roman, c'est un peu moins excitant : il me faudra encore longtemps pour oser franchir le pas, abandonner la BD de genre pour des BD plus littéraires (et me faire dire par les éditeurs que c'est intéressant, mais justement trop littéraire), et ce n'est que ce jour-là que j'apprécierai vraiment l'exercice. Faute de socialiser avec les habitants du village qui me saluent poliment et c'est tout, j'essaie de m'intéresser aux poules, mais ces animaux stupides ont peur de moi. Je lis Louisiana de Michel Peyramaure. J'ai hérité ce bouquin de ma mère et je vois qu'il a été imprimé en juillet 2000, c'est-à-dire six mois avant sa mort. Je me demande si elle a même eu le temps de le lire... Cette semaine a Lengde est une longue méditation sur ma vie, à l'aube de mon vingt-sixième anniversaire. Je fais le point sur tout ça, me dis que décidément ça n'est pas si mal même si ça n'a pas toujours été simple. En tout cas je ne me suis jamais ennuyé. J'ai plutôt l'impression d'avoir déjà vécu plusieurs vies. Je sais en tout cas que mes années de post-adolescence sont finies. Je suis désormais plus proche des trente ans que des vingt. J'ai d'autres aspirations. Je viens de tourner une page en quittant mon appartement rue de l'Annonciade. Je réalise aussi que, dans la foule de mes connaissances et relations, il y a plein de gens que je n'ai plus envie de voir. Il faudra trier. Nous verrons bien...

Depuis quelques jours, j'ai par ailleurs un très mauvais pressentiment, qui me dicte qu'il s'est passé quelque chose, j'ignore quoi, et que ma princesse indienne a décidé de me quitter. Mais je n'ai aucun moyen d'en savoir davantage, alors je m'efforce de ne pas y penser.


Prochaine expérience : The Miao Experience (pt. 3).

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