Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002
Décollage
ici.
Expérience
précédente : The Miao Experience (Pt. 2).
02
novembre 2002 – 17 novembre 2002 : The Miao Experience, de
Lijiang (Yunnan) à Guilin (Guangxi), en passant par Dali (Yunnan),
Xiaguan (Yunnan), Kunming (Yunnan), Guiyang (Guizhou), Kaili
(Guizhou), Leishan (Guizhou), Xinjiang (Guizhou), Lengde (Guizhou),
Rongjiang (Guizhou), Zhaoxing (Guizhou) et quelques autres villages
dont j'ignore le nom.
Le
13 novembre, je quitte Langde et retourne à Kaili, d'où je prends
un autre bus qui doit me conduire à Rongjiang. Le téléviseur du
véhicule diffuse une comédie débile sous-titrée en anglais :
The sexy million dollar man,
et puis Dance of a dream
dont je ne me rappelle rien. The
sexy million dollar man
parvient tout de même à m'arracher quelques sourires. Le film
commence sur le réveil du héros, un jeune milliardaire qui vit dans
une somptueuse villa à Hawaï. À
son lever, une horde de serviteurs se présente. On lui donne un
verre de lait. Le lait n'est pas à son goût et il le recrache sur
le lit, après quoi il s'exclame : « Changez les draps !
Non ! Changez le lit
entier ! Balancez
celui-là et achetez-en un nouveau ! ». Il saute ensuite
de la fenêtre et atterrit dans la piscine, où l'attend et l'acclame
une armada de major babes
en bikini. Là-dessus, un
hélicoptère passe le prendre et c'est comme ça tout du long,
jusqu'à-ce qu'un accident obligent les médecins à le transformer
en cyborg, et remplacent son pénis par un tuyau de douche. Il
obtient en contrepartie des super-pouvoirs, dont celui de se
transformer en n'importe quoi (y compris un tube de dentifrice
géant), et il y a toutes sortes de clins d'œil à Pulp
Fiction, Terminator
3, Alien
5, Jurassic
Park 4 (oui je sais, aucune
de ces trois séquelles n'existaient à l'époque !). Et tout ça
bien entendu jusqu'au combat final contre quelque méchant
surpuissant...
J'arrive
à Rongjiang après le crépuscule. À
peine ai-je posé un pied hors du bus qu'un jeune Chinois me demande
où je vais. Comme je lui explique que je cherche un hôtel, il hèle
un rickshaw,
monte dedans avec moi, me dépose devant un hôtel, paie le chauffeur
et disparaît en me souhaitant un bon voyage en Chine. Comme ça !
La chambre d'hôtel est minuscule mais propre, j'y avale un bolino
de nouilles. J'allume la télévision et tombe en contemplation
devant un opéra Chinois sur CCTV 11. Je ne comprends rien à
l'histoire mais je regarde jusqu'à la fin. C'est tout simplement
fascinant : les costumes colorés (l'un des personnages possède
de grandes antennes sur la tête, avec lesquelles il joue sans
cesse), les danses qui flirtent avec les arts martiaux, la musique
trop chelou...
Tout est si étrange et abstrait qu'en lieu et place d'une œuvre
classique, j'ai le sentiment d'assister à une performance d'art
contemporain. Après cela, un film retrace la vie de Mao. L'acteur
lui ressemble à s'y méprendre et je n'ai pas besoin de comprendre
le Chinois pour saisir que le dictateur est ici représenté comme le
« bon petit père du peuple ». Une scène est à la
limite du ridicule : alors qu'il roule au milieu de nulle part
dans sa limousine noire, Mao voit un paysan qui peine à porter
quelque lourd fardeau. Il ordonne alors à son chauffeur de
s'arrêter, descend du véhicule, déleste le paysan de son fardeau
et le porte lui-même jusqu'au village. On y croit ! Pour le
reste, c'est à croire que Mao passait sa vie à caresser
affectueusement le crâne des enfants qui venaient l'acclamer et lui
offrir des fleurs et, bizarrement, on ne le voit jamais déflorer une
vierge ! Après le film, un documentaire interviewe les acteurs,
de toute évidence très honorés d'avoir participé à cette
mascarade.
Le
lendemain, je passe l'essentiel de mon vingt-sixième anniversaire
dans un bus. Avant d'embarquer, je dégotte un cybercafé et y trouve
un email de ma princesse indienne, qui me souhaite un joyeux
anniversaire. Son message est froid comme la mort : elle
s'adresse à moi sur le ton formel d'une relation lointaine, me
souhaite de trouver le bonheur durant l'année qui vient comme s'il
était évident qu'on ne se reverrait plus, etc. Je lui renvoie un
message aussi gentil que possible, m'efforçant d'éveiller en elle
quelque sentiment d'humanité. Je décide de ne pas tirer de
conclusions hâtives. Entre ma forte intuition depuis Lengde et ces
deux derniers messages, il serait facile de céder à la panique. Il
est certes évident que quelque chose cloche. Mais je n'ai pas non
plus de preuve qu'une catastrophe majeure est en train de se jouer.
Peut-être est-elle juste mal lunée. Peut-être attend-elle juste
que je rentre pour qu'on s'explique sur notre échange de mails un
peu houleux à Lijiang, affaire que je pensais pourtant réglée.
Bref, je prends la résolution de ne pas me formaliser et
d'attendre... Les routes du Guizhou ne sont décidément pas en
meilleur état que celles d'Inde et de Mongolie. Mais j'aime le bruit
des matériaux du bus qui vibrent et j'aime avoir le droit de fumer à
la fenêtre en contemplant les paysages. Le bus me dépose dans un
hameau sans nom et il me faut marcher une heure pour atteindre le
village Dong de Zhaoxing (prononcer « Djaoshing »). Mon
sac à dos pèse une tonne, mais c'est avec entrain que je parcours
la route isolée sur fond de coucher de soleil. Il m'est agréable
d'être de nouveau un backpacker,
de voyager « à la dure ». La nuit tombée, j'aperçois
au loin des lumières. Peu à peu, je devine un grand village, tout
illuminé en effet, d'allure hospitalière. Je trouve sans peine une
guest-house,
où l'on me prépare à manger.
Le
lendemain, après avoir rêvé que je me trouvais au milieu d'une
épidémie de démence ultra-violente, quelque part entre Démons
2 et 2000
maniaques, je fais le tour du
bled. Blotti entre des collines, Zhaoxing me semble un lieu très
vivant après Lengde. Un peu partout, des femmes s'échinent à
aplatir des tissus à coups de marteaux (pourquoi ?). À
la sortie de l'école, des gamins s'intéressent à moi et à mon
cahier. Hormis flâner, il n'y a pas grand-chose à faire et je songe
qu'il est temps de gagner Guilin puis Yangshuo. J'étais venu
expressément pour trouver la sérénité auprès des Miaos et des
Dongs, mais c'est finalement à Lijiang, chez les Naxis, que cela
s'est fait ! Le soir, j'écris la chanson Maman sur un instrumental de DaBoostemp, dans ma chambre d'hôtel. Ce sera la dernière chose que j'écrirai
au sujet de ma mère. Il semble que, enfin, j'ai vidé mon sac... Ce
texte, qui fait état de ses nuits d'ivresses ultra-violentes,
réveille en moi des souvenirs douloureux. J'avais presque oublié à
quelle point la garce prenait plaisir à me martyriser. Alors que je
suis généralement soulagé de la savoir morte, j'éprouve une
passagère frustration. Morte, elle est hors de portée de toutes
représailles : je voudrais pouvoir la pourrir, l'insulter, lui
en mettre plein la gueule. J'ai déjà essayé de régler mes comptes
avec elle, quelques années avant sa mort, mais elle n'a jamais rien
admis. Elle était Sainte-Jacqueline. Tout ce qu'elle a fait était,
au pire, inventé par moi et, au mieux, la faute des autres (ou la
mienne) qui l'avaient poussée à bout. Et de toute façon ça
n'était « pas si grave ». Des fois c'était même « pour
rire » (par exemple la fois où elle m'avait étranglé jusqu'à
suffocation, ainsi d'ailleurs que les attouchements sexuels – ma
mère avait beaucoup d'humour, j'avais cette chance !). Bref, la
lutte était vaine : jamais je n'aurais pu lui faire admettre
quoi que ce soit. Mais ce soir-là, très brièvement, j'éprouve un
immense désir de vengeance (ou de justice). La violence que cette
femme m'a infligée m'a rendue insupportable la violence du monde en
général. Je me demande ce que je ferai, quand je n'en pourrai plus
de supporter cette violence. Ou plutôt ces
violences, toutes ces petites violences quotidiennes que les gens
s'infligent entre eux. Sans compter ma propre capacité, humain trop
humain, à déverser mon agressivité sur les autres. Que ferai-je
alors, le jour où je n'en pourrai plus ? Me retirerai-je tout à
fait du monde ? Quitterai-je ma princesse indienne ? Ou
parviendrai-je à surmonter ma peur et à continuer de vivre avec mes
semblables ? Nous verrons bien...
Là-dessus,
je rêve de trucs bizarres : une amie se présente chez moi,
m'avoue qu'elle est dépressive, se déshabille et sort nue dans la
rue. Je pars à sa recherche, j'atterris dans un parking souterrain
où des gens se bastonnent à tout venant. J'en réchappe et rentre
bredouille chez moi, où je suis pris d'une envie irrésistible de
renifler la petite culotte que mon amie a abandonnée là (!).
Finalement, elle revient : il ne lui est rien arrivé, elle va
mieux et tout le monde est content.
Puis
vient le temps de quitter le monde hors du monde des minorités. Un
bus me conduit loin de Zhaoxing et me dépose sur le bord d'une
route. On me fait comprendre qu'un autre bus passera, Dieu sait
quand, qui me conduira Dieu sait où. L'endroit n'est rien d'autre
qu'un carrefour, loin de toute ville ou village, juste quelques
échoppes. Je tente d'obtenir quelque information de la part des
riverains et tous semblent certains que oui, un bus viendra. Comme
personne ne parle un mot d'anglais, j'ai quelques doutes mais
j'attends. Les heures passent et pas de bus. Je commence à me
demander ce que je vais faire, où je vais manger, où je vais
dormir... J'aime cette incertitude. Si nul bus ne vient, ce sera
l'occasion d'autres aventures, d'autres rencontres, d'autres
découvertes, et je trouverai bien moyen d'aller à Guilin le
lendemain. Mais au bout de trois ou quatre heures, un véhicule se
présente enfin, qui devrait me rapprocher de Guilin.
Je
me retrouve dans une petite ville moche, dont j'ignore le nom. Je
trouve une chambre minable dans un hôtel miteux, où je bataille
longuement avec une chasse d'eau sauvage. Le combat s'achève sur un
statu-quo (ni la chasse d'eau ni moi ne venant tout à fait à bout
de l'adversaire), et je me laisse hypnotiser par un autre opéra
chinois sur CCTV 11. Suit une fiction sous-titrée en anglais sur la
résistance de Taiwan contre l'occupant hollandais au dix-neuvième
siècle, dont le héros se nomme « Imperial Namekeeper ».
Et en ce dernier soir d'exil dans les terres perdues du Guizhou, je
termine ma lecture de Louisiana,
récit d'un autre exil, celui d'une petite communauté française
dans une Amérique à peine conquise.
Il
se trouve, dans cette ville sans nom, des véhicules en partance pour
Guilin. Aussi je salue bien bas le Guizhou et retourne, en quelque
sorte, à la civilisation.
Prochaine
expérience : The Guilin Experience.
1 commentaire:
De la belle lecture ! Merci Shaomi !
Enregistrer un commentaire