comme
hier, tu rentres de l'école
comme
demain, la peur au ventre
peut-être
maman sera une maman
peut-être
pas
c'est
encore quand elle dort que tu la préfères, maman
tu
l'aperçois dans un recoin de la cuisine
même
sans la bouteille à moitié vide, posée sur la table
tu
saurais à sa voix
tu
saurais à son sourire
tu
saurais
alors,
c'était quoi ta journée ?
comme
un passage obligé, le même petit jeu pervers
(maman
sait que tu sais)
viens
donc manger c'est prêt
(maman
aimes que tu saches)
ce
soir, on va s'en mettre jusque-là
tu
avales en silence
tu
avalerais n'importe quoi sans protester
maman
te nourrit bien c'est important
maman
te nourrit bien c'est
son devoir
maman
ne mange pas (elle te
regarde)
elle
savoure ta peur
tu
vas déguster mais c'est elle qui va se régaler
en
attendant, tu peux aller jouer
dans
ta chambre, tu ne joues pas
dans
ta chambre, tu attends
tu
attends (tu sais ce qui
t'attend)
tu
attends (tu sais ce qui
t'attend)
tu
attends (tu sais ce qui
t'attend)
petit
cassandre cassé
la
porte s'ouvre avec un hurlement
maman
t'arrache à ta chaise
tu
valses dans les airs et la chaise aussi
tu
cries mais maman crie plus fort
et
tous ces cris couvrent le bruit des coups
et
c'est parti pour des heures (et c'est parti pour des heures)
et
c'est parti pour des heures (et c'est parti pour des heures)
et
il n'y a rien
que
tu puisses dire ou faire (tu
dois payer)
tu
dois payer pour tout le mal que les autres ont fait à maman (la
note est salée)
elle
énumère les chefs d'accusation
sur
ton visage, la pluie acide
de
ses postillons fermentés
maman
ma p'tite maman s'ennuie alors pour tromper son ennui elle s'est mise
à picoler
maman
ma p'tite maman est malheureuse alors faut bien qu'elle se défoule
sur son bébé
maman
ma p'tite maman dit qu'ell' m'aime et qu'c'est pour ça qu'elle est
obligée d'me tabasser
évidemment,
tu chiales
tu
ne peux plus te retenir après la deux-cent-dixième baffe
en
vingt-et-une minutes
elle
dit : tu es un monstre (tu
es un monstre)
elle
dit : tu es un enfant de salaud (tu
es un enfant de salaud)
elle
dit : tu n'as jamais aimé ta mère (tu
n'as jamais aimé ta mère)
et
pourtant
tu
l'aimes tant
cette
salope
son
genou se plante comme un dard
dans
ton ventre
ta
tempe claque contre le cadre de la porte
tout
devient noir mais
tu ne vas pas t'en tirer à si bon compte
si
tu t'écroules, elle te relèvera
autant
de fois qu'il le faudra
son
pied s'écrase contre ton tibia
maman
hurle
maman
s'est foulé l'orteil
c'est
de ta faute (petit
salaud)
maman
jure
c'est
de ta faute (petite
ordure)
tu
as les os trop durs
tu
es par terre, en position fœtale
maman
te crache dessus
sa
salive purulente te dégouline sur le visage
tu
es par terre, en position fœtale
ça
lui rappelle quand tu étais dans son ventre
ça
lui rappelle que tu aurais dû y rester
et
que c'est si douloureux d'accoucher
rien
que pour ça, tu mérites une correction
elle
cogne et cogne et cogne et tu n'es plus rien
plus
rien qu'un tout petit bout
petit
bout de chair meurtrie
petite
poupée vivante
à
sa disposition
tu
as douze ans
maman
ma p'tite maman s'ennuie alors pour tromper son ennui elle s'est mise
à picoler
maman
ma p'tite maman est malheureuse alors faut bien qu'elle se défoule
sur son bébé
maman
ma p'tite maman dit qu'ell' m'aime et qu'c'est pour ça qu'elle est
obligée d'me tabasser
il
est tard, et les voisins sont assoupis
lorsqu'ils
appellent la police, de toute façon
maman
n'ouvre pas
il
est tard, et les voisins sont dans le coma
ou
peut-être font semblant
il
ne reste que deux fous qui dansent
jusqu'à
l'aube ou presque (sur
le pont d'avignon...)
des
fois, maman fatigue
maman
n'a plus vingt ans
elle
te laisse en plan
ébahi
dans un champ de ruine
ta
chambre
jouets
cassés livres déchirés posters arrachés tout éparpillé
jouets
cassés livres déchirés posters arrachés tout éparpillé
et
si tu la tuais (et
si...?)
tout
doucement, presque coupable
tu
fermes cette porte, dont elle a confisqué la clé
tu
éteins la lumière, parce que
la lumière brûle
tu
te réfugies sous la couette
tout
entier
comme
si les ténèbres et la porte et la couette
pouvaient
te
protéger
les
ténèbres
et
la porte
et
la couette
tu
écoutes en priant
pour qu'elle ne revienne pas
tu
écoutes
pour savoir quand elle va revenir
tu
écoutes
ses pas qui se rapprochent
la
porte s'ouvre
(quelle
heure est-il ?)
la
lumière s'allume
(quel
âge as-tu ?)
tu
t'agrippes à la couette
et
ça ne change rien
maman
rigole en te traînant par les cheveux
maman
rigole en te traînant jusqu'à sa chambre
tu
te demandes pourquoi c'est sur son lit à elle
qu'elle
choisit de t'étrangler
pourquoi
n'a pas de sens dans l'absence de maman
sur
ce lit elle t'a conçu
sur
ce lit elle te tue
c'est
logique
et
comme ses mains te broient la trachée
tu
te dis qu'au moins, ça va s'arrêter
tu
suffoques
enfin,
tu vas crever (quelle
heure est-il ?)
tu
suffoques
enfin,
ça va cesser (quel âge
as-tu ?)
et
puis la pression se relâche
maman
n'est pas si clémente
elle
dit : c'était pour rire (c'était
juste pour rire)
elle
dit : tu vivras
elle
dit : tu souffriras
ce
n'est pas comme si j'en avais
déjà
fini
avec
toi
maman
ma p'tite maman s'ennuie alors pour tromper son ennui elle s'est mise
à picoler
maman
ma p'tite maman est malheureuse alors faut bien qu'elle se défoule
sur son bébé
maman
ma p'tite maman dit qu'ell' m'aime et qu'c'est pour ça qu'elle est
obligée d'me tabasser
tu
vis
tu
souffres
maman
t'a expliqué qu'un jour
un
jour quand tu seras grand
ce
sera à ton tour
de
faire souffrir ceux que tu aimes
tu
vis
tu
souffres
maman
t'a expliqué fièrement
qu'elle
sait comment faire
pour
ne pas laisser de marques
pas
vue, pas prise
ne
pas laisser de marques ?
les
marques sont à l'intérieur
maman
est si douce
Inédit
de novembre 2002, composé dans une chambre d'hôtel à Zhaoxing
(Chine).
À
l'origine destiné
à être mis en musique dans le cadre du groupe Shoona Sassi.
29 commentaires:
Oui, une musique rock très sourde, comme ses coups...
Avec des basses toniques et une guitare saturée comme ses (tes) pensées l'ont été.
Poignant, forcement, vu le sujet...
Et terribles ces mots d'un amour qui n'a su s'exprimer qu'en faisant souffrir. Et pas que pour l'enfant, même s'il aura à vivre plus longtemps avec :(
Tiens ... Voilà qu'arrivée au bout de ce texte terrible, je croise ma fille !
Tu as parlé, ici, de ta mère. No comment. Alors oui, il faut bien que la musique rendent les coups ...
On entoure les enfants de jouets, mais parfois, derrière ce rempart, la solitude est effroyable....
Ce n'est pas à la portée de tout le monde d'avoir des enfants. Cet enfant qu'elle martyrise, c'est la seule façon qu'elle a de se venger de la vie qu'elle a eu. C'est un cercle infernal immonde comme seule l'humanité peut en créer. Celle qui est censée prendre soin détruit. Elle est responsable mais elle n'est qu'un maillon, l'enfant lui est une pure victime. C'est comme un sacrifice. C'est à vous dégoûter de tout ton texte.
Ton texte me fait à chaque fois penser au début de l'excellent film "1, 2, 3, soleil" de Bertrand Blier (pas pu trouver l'extrait ici, sinon, tu penses bien...).
ben je n'ai pas de mots, suis une idiote congénitale et tout ça me touche et me perturbe beaucoup, c l'exacte réplique (en moins bien, les miens) des écrits que je n'ai jamais mis en ligne.. Fort t'es trop fort. Allez je file.
ouch il n'y a pas que des parents aimants
:(
Hé merde ...
TERRIFIANT ! Mais quelle écriture !
Thanks god my mum dont look like that!
..pas de mots..
:(
intense !
Ce texte est... J'ai mal au ventre, au coeur, aux yeux... Je pense a toi...
Ouch...
Tu as toujours autant de talent, Shaomi.
J'aurais voulu protéger l'enfant que tu étais...
terrifiante ogresse
<3 tu as beaucoup de courage de témoigner de ça. Tu as beaucoup de force :)
Est témoin celui qui en revient ; en revenir, souvent c'est à travers la dimension de l'art et de la foi
:(
bain d'acide......
Terrifiant oui, et très bien écrit, oui aussi. Que dire de plus.
Depuis mon retour chez moi, je profite de la solitude pour mieux lire! J'aime beaucoup ce texte qui me remue et qui à la fois m'intéresse par sa forme. Dans mon milieu sans problème ou presque, j'ai connu cette relation entre ma mère et mon frère! Tendrement, ils se sont haï jusqu'à se détruire! Et je regardais, et mon père constatait, et notre milieu se taisait! Oui, je regardais, et j'attendais le bas de la tempête pour vivre un peu. Avant de fuir! Il fallait du courage pour écrire ce texte! Bravo!
Un texte coup de poing et un texte coup de théâtre qui consiste à faire du beau avec du laid, car l'enfant qui parle ne le fait pas n'importe comment, il dit tant de choses d'autres que les coups !
Bonjour Shaomi, très touché par vos écrits que je découvre, mention spéciale à Confluences 6.
<3
xx
Très très beau texte...à lire avec modération!!!!
C'est magnifique ! Un texte très fort, en totale correspondance avec la photo. Un texte sublime fait d'un mélange de noirceur et d'amour. Faire quelque chose de beau, d'aussi poétique avec de la violence et de la douleur c'était assez culotté et surtout vraiment réussi. On comprend tout de suite, bien avant d'arriver à la fin du texte, que c'est conçu comme une chanson ; avec des pensées lancinantes, comme des refrains tournant en boucle, qui viennent suspendre le présent.
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