23 octobre 2016

The China Experience – 39/ The Miao Experience (pt. 3)

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002

Décollage ici.
Expérience précédente : The Miao Experience (Pt. 2).


02 novembre 2002 – 17 novembre 2002 : The Miao Experience, de Lijiang (Yunnan) à Guilin (Guangxi), en passant par Dali (Yunnan), Xiaguan (Yunnan), Kunming (Yunnan), Guiyang (Guizhou), Kaili (Guizhou), Leishan (Guizhou), Xinjiang (Guizhou), Lengde (Guizhou), Rongjiang (Guizhou), Zhaoxing (Guizhou) et quelques autres villages dont j'ignore le nom.

Le 13 novembre, je quitte Langde et retourne à Kaili, d'où je prends un autre bus qui doit me conduire à Rongjiang. Le téléviseur du véhicule diffuse une comédie débile sous-titrée en anglais : The sexy million dollar man, et puis Dance of a dream dont je ne me rappelle rien. The sexy million dollar man parvient tout de même à m'arracher quelques sourires. Le film commence sur le réveil du héros, un jeune milliardaire qui vit dans une somptueuse villa à Hawaï. À son lever, une horde de serviteurs se présente. On lui donne un verre de lait. Le lait n'est pas à son goût et il le recrache sur le lit, après quoi il s'exclame : « Changez les draps ! Non ! Changez le lit entier ! Balancez celui-là et achetez-en un nouveau ! ». Il saute ensuite de la fenêtre et atterrit dans la piscine, où l'attend et l'acclame une armada de major babes en bikini. Là-dessus, un hélicoptère passe le prendre et c'est comme ça tout du long, jusqu'à-ce qu'un accident obligent les médecins à le transformer en cyborg, et remplacent son pénis par un tuyau de douche. Il obtient en contrepartie des super-pouvoirs, dont celui de se transformer en n'importe quoi (y compris un tube de dentifrice géant), et il y a toutes sortes de clins d'œil à Pulp Fiction, Terminator 3, Alien 5, Jurassic Park 4 (oui je sais, aucune de ces trois séquelles n'existaient à l'époque !). Et tout ça bien entendu jusqu'au combat final contre quelque méchant surpuissant...

J'arrive à Rongjiang après le crépuscule. À peine ai-je posé un pied hors du bus qu'un jeune Chinois me demande où je vais. Comme je lui explique que je cherche un hôtel, il hèle un rickshaw, monte dedans avec moi, me dépose devant un hôtel, paie le chauffeur et disparaît en me souhaitant un bon voyage en Chine. Comme ça ! La chambre d'hôtel est minuscule mais propre, j'y avale un bolino de nouilles. J'allume la télévision et tombe en contemplation devant un opéra Chinois sur CCTV 11. Je ne comprends rien à l'histoire mais je regarde jusqu'à la fin. C'est tout simplement fascinant : les costumes colorés (l'un des personnages possède de grandes antennes sur la tête, avec lesquelles il joue sans cesse), les danses qui flirtent avec les arts martiaux, la musique trop chelou... Tout est si étrange et abstrait qu'en lieu et place d'une œuvre classique, j'ai le sentiment d'assister à une performance d'art contemporain. Après cela, un film retrace la vie de Mao. L'acteur lui ressemble à s'y méprendre et je n'ai pas besoin de comprendre le Chinois pour saisir que le dictateur est ici représenté comme le « bon petit père du peuple ». Une scène est à la limite du ridicule : alors qu'il roule au milieu de nulle part dans sa limousine noire, Mao voit un paysan qui peine à porter quelque lourd fardeau. Il ordonne alors à son chauffeur de s'arrêter, descend du véhicule, déleste le paysan de son fardeau et le porte lui-même jusqu'au village. On y croit ! Pour le reste, c'est à croire que Mao passait sa vie à caresser affectueusement le crâne des enfants qui venaient l'acclamer et lui offrir des fleurs et, bizarrement, on ne le voit jamais déflorer une vierge ! Après le film, un documentaire interviewe les acteurs, de toute évidence très honorés d'avoir participé à cette mascarade.

Le lendemain, je passe l'essentiel de mon vingt-sixième anniversaire dans un bus. Avant d'embarquer, je dégotte un cybercafé et y trouve un email de ma princesse indienne, qui me souhaite un joyeux anniversaire. Son message est froid comme la mort : elle s'adresse à moi sur le ton formel d'une relation lointaine, me souhaite de trouver le bonheur durant l'année qui vient comme s'il était évident qu'on ne se reverrait plus, etc. Je lui renvoie un message aussi gentil que possible, m'efforçant d'éveiller en elle quelque sentiment d'humanité. Je décide de ne pas tirer de conclusions hâtives. Entre ma forte intuition depuis Lengde et ces deux derniers messages, il serait facile de céder à la panique. Il est certes évident que quelque chose cloche. Mais je n'ai pas non plus de preuve qu'une catastrophe majeure est en train de se jouer. Peut-être est-elle juste mal lunée. Peut-être attend-elle juste que je rentre pour qu'on s'explique sur notre échange de mails un peu houleux à Lijiang, affaire que je pensais pourtant réglée. Bref, je prends la résolution de ne pas me formaliser et d'attendre... Les routes du Guizhou ne sont décidément pas en meilleur état que celles d'Inde et de Mongolie. Mais j'aime le bruit des matériaux du bus qui vibrent et j'aime avoir le droit de fumer à la fenêtre en contemplant les paysages. Le bus me dépose dans un hameau sans nom et il me faut marcher une heure pour atteindre le village Dong de Zhaoxing (prononcer « Djaoshing »). Mon sac à dos pèse une tonne, mais c'est avec entrain que je parcours la route isolée sur fond de coucher de soleil. Il m'est agréable d'être de nouveau un backpacker, de voyager « à la dure ». La nuit tombée, j'aperçois au loin des lumières. Peu à peu, je devine un grand village, tout illuminé en effet, d'allure hospitalière. Je trouve sans peine une guest-house, où l'on me prépare à manger.

Le lendemain, après avoir rêvé que je me trouvais au milieu d'une épidémie de démence ultra-violente, quelque part entre Démons 2 et 2000 maniaques, je fais le tour du bled. Blotti entre des collines, Zhaoxing me semble un lieu très vivant après Lengde. Un peu partout, des femmes s'échinent à aplatir des tissus à coups de marteaux (pourquoi ?). À la sortie de l'école, des gamins s'intéressent à moi et à mon cahier. Hormis flâner, il n'y a pas grand-chose à faire et je songe qu'il est temps de gagner Guilin puis Yangshuo. J'étais venu expressément pour trouver la sérénité auprès des Miaos et des Dongs, mais c'est finalement à Lijiang, chez les Naxis, que cela s'est fait ! Le soir, j'écris la chanson Maman sur un instrumental de DaBoostemp, dans ma chambre d'hôtel. Ce sera la dernière chose que j'écrirai au sujet de ma mère. Il semble que, enfin, j'ai vidé mon sac... Ce texte, qui fait état de ses nuits d'ivresses ultra-violentes, réveille en moi des souvenirs douloureux. J'avais presque oublié à quelle point la garce prenait plaisir à me martyriser. Alors que je suis généralement soulagé de la savoir morte, j'éprouve une passagère frustration. Morte, elle est hors de portée de toutes représailles : je voudrais pouvoir la pourrir, l'insulter, lui en mettre plein la gueule. J'ai déjà essayé de régler mes comptes avec elle, quelques années avant sa mort, mais elle n'a jamais rien admis. Elle était Sainte-Jacqueline. Tout ce qu'elle a fait était, au pire, inventé par moi et, au mieux, la faute des autres (ou la mienne) qui l'avaient poussée à bout. Et de toute façon ça n'était « pas si grave ». Des fois c'était même « pour rire » (par exemple la fois où elle m'avait étranglé jusqu'à suffocation, ainsi d'ailleurs que les attouchements sexuels – ma mère avait beaucoup d'humour, j'avais cette chance !). Bref, la lutte était vaine : jamais je n'aurais pu lui faire admettre quoi que ce soit. Mais ce soir-là, très brièvement, j'éprouve un immense désir de vengeance (ou de justice). La violence que cette femme m'a infligée m'a rendue insupportable la violence du monde en général. Je me demande ce que je ferai, quand je n'en pourrai plus de supporter cette violence. Ou plutôt ces violences, toutes ces petites violences quotidiennes que les gens s'infligent entre eux. Sans compter ma propre capacité, humain trop humain, à déverser mon agressivité sur les autres. Que ferai-je alors, le jour où je n'en pourrai plus ? Me retirerai-je tout à fait du monde ? Quitterai-je ma princesse indienne ? Ou parviendrai-je à surmonter ma peur et à continuer de vivre avec mes semblables ? Nous verrons bien...

Là-dessus, je rêve de trucs bizarres : une amie se présente chez moi, m'avoue qu'elle est dépressive, se déshabille et sort nue dans la rue. Je pars à sa recherche, j'atterris dans un parking souterrain où des gens se bastonnent à tout venant. J'en réchappe et rentre bredouille chez moi, où je suis pris d'une envie irrésistible de renifler la petite culotte que mon amie a abandonnée là (!). Finalement, elle revient : il ne lui est rien arrivé, elle va mieux et tout le monde est content.

Puis vient le temps de quitter le monde hors du monde des minorités. Un bus me conduit loin de Zhaoxing et me dépose sur le bord d'une route. On me fait comprendre qu'un autre bus passera, Dieu sait quand, qui me conduira Dieu sait où. L'endroit n'est rien d'autre qu'un carrefour, loin de toute ville ou village, juste quelques échoppes. Je tente d'obtenir quelque information de la part des riverains et tous semblent certains que oui, un bus viendra. Comme personne ne parle un mot d'anglais, j'ai quelques doutes mais j'attends. Les heures passent et pas de bus. Je commence à me demander ce que je vais faire, où je vais manger, où je vais dormir... J'aime cette incertitude. Si nul bus ne vient, ce sera l'occasion d'autres aventures, d'autres rencontres, d'autres découvertes, et je trouverai bien moyen d'aller à Guilin le lendemain. Mais au bout de trois ou quatre heures, un véhicule se présente enfin, qui devrait me rapprocher de Guilin.

Je me retrouve dans une petite ville moche, dont j'ignore le nom. Je trouve une chambre minable dans un hôtel miteux, où je bataille longuement avec une chasse d'eau sauvage. Le combat s'achève sur un statu-quo (ni la chasse d'eau ni moi ne venant tout à fait à bout de l'adversaire), et je me laisse hypnotiser par un autre opéra chinois sur CCTV 11. Suit une fiction sous-titrée en anglais sur la résistance de Taiwan contre l'occupant hollandais au dix-neuvième siècle, dont le héros se nomme « Imperial Namekeeper ». Et en ce dernier soir d'exil dans les terres perdues du Guizhou, je termine ma lecture de Louisiana, récit d'un autre exil, celui d'une petite communauté française dans une Amérique à peine conquise.

Il se trouve, dans cette ville sans nom, des véhicules en partance pour Guilin. Aussi je salue bien bas le Guizhou et retourne, en quelque sorte, à la civilisation.


Prochaine expérience : The Guilin Experience.

1 commentaire:

Claude Curutchet a dit…

De la belle lecture ! Merci Shaomi !

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