Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002.
Décollage
ici.
Expérience
précédente : The Lijiang Experience (Pt. 22).
07
octobre 2002 – 02 novembre 2002 : The Lijiang Experience,
Lijiang (Yunnan).
Vingt-troisième
jour. Je retrouve Yosuke à l'heure du café, lui demande s'il va
finalement partir aujourd'hui. Avec l'air d'un homme soumis et
satisfait de l'être, il me répond « je ne pense pas »
et me retourne la question. « Je ne pense pas ». Nous
commençons alors à nous demander si nous parviendrons jamais à
quitter cette ville, où si nous sommes « condamnés » à
y passer le restant de nos jours. Je lui décris mes craintes,
similaires, à Erlian, ajoutant que la perspective était autrement
plus effrayante. Nous rions.
Je
commence, pourtant, à ressentir une certaine lassitude. Dans chaque
voyage vient une intuition, qui dicte que l'on a fait notre temps à
tel endroit, qu'il est temps de passer à l'expérience suivante. Je
sens que cette fois-ci, il va vraiment falloir m'extraire de cette
ville dont j'ai déjà fait le tour cent fois. C'est devenu un gag à
répétition, mais je me fais le serment de filer le lendemain.
Évidemment, je suis un peu embêté : je voudrais régler les
choses avec ma princesse indienne avant de partir, parce que ce n'est
pas chez les Miaos et les Dongs que je pourrai me connecter à
internet. Mais pourtant il faut y aller, ne fut-ce que pour me
remettre à travailler sérieusement à mes scénarios. Je repense à
Rilke, et me prépare à une nouvelle période de solitude… J'ai
décidé de visiter un village Miao nommé Xinjiang, dont j'ignore
tout sinon qu'il est totalement coupé du monde, perché quelque part
sur une colline brumeuse, loin des sentiers battus… Je donne son
cours à Ming Xia et me réfugie ensuite au Mishi Mishi. Sur fond de
tubes des années 80, je continue d'y écrire de la poésie en vrac,
et cela aussi sera recyclé pour former Lijiang, Yunnan. L'allusion au Mishi
Mishi y est conservée, ainsi que bien d'autres allusions à ce que
vous venez de lire. C'est un poème à clés, et les clés sont ici.
Après
avoir donné son cours d'anglais à Ding, je dîne encore avec Iris.
Elle me fait part de son mépris pour la classe dirigeante chinoise,
qu'elle a beaucoup fréquentée. « Tu n'imagines pas à quel
point ces gens sont riches. Ils dégoulinent de fric ! »
Elle me raconte son effroi lorsque, en France, elle a vu un
documentaire sur le massacre de la place Tian’anmen. Bien
qu'évoluant dans les élites, elle n'avait jamais
rien su, sinon que des
manifestations avaient été réprimées « sans violence ».
En voyant les images de ses concitoyens flingués à bout portant,
elle avait fondu en larmes devant son écran : ce fut un choc absolu.
Nous parlons aussi de Mao, fascinant Mao. Tout comme Lu, elle affirme
que Mao était comme les anciens empereurs de Chine. Elle me parle de
son énergie vitale, son Qi,
disproportionné. Elle me raconte son appétit sexuel infatigable,
les jeunes vierges qu'on lui présentait sans cesse. Lorsqu'elle me
voit écœuré par ce que j'assimile à un viol rituel, elle me
détrompe : « La plupart de ces filles ne vivaient pas du
tout cela comme un viol ! Au contraire, c'était un immense
privilège que d'être ''honorée'' par ''l'empereur'' » .
Mao, tel que le décrit Iris, était un monstre d'une insatiable
voracité, qui consuma son pays de la même manière qu'il consumait
la jeunesse de ces jeunes filles. Nous évoquons ma familiarité avec
la Chine et, pour quelque raison, Iris est convaincue que j'ai bien
davantage été Indien que Chinois dans mes vies antérieures.
Photo : Dr. Ma Pingke |
En
rentrant, je trouve dans ma boite mail une bonne et deux mauvaises
nouvelles. La bonne c'est que ma princesse s'excuse à son tour,
reconnaît avoir exagéré, et semble décidée à repartir du bon
pied. La première mauvaise nouvelle, c'est que la jeune fille aux
yeux de miel m'annonce qu'elle ne se plaît pas dans mon appartement
et qu'elle a donné sa dédite pour le premier décembre ! Je
rentre le 25 novembre : cela signifie que je disposerai de cinq
jours pour trouver un endroit où stocker tous mes cartons et tous
mes meubles ! Et on parle d'un appartement de quatre-vingt-cinq
mètres carrés, plein à craquer ! La garce ! Elle aurait
certainement pu attendre un mois de plus, n'en doutons pas !
Mais non, ce serait (encore) trop lui en demander ! La seconde
mauvaise nouvelle, c'est que la régie m'a tout simplement arnaqué
sur l'état des lieux, prétend de surcroît que je n'ai pas payé
les deux derniers mois de loyer alors que je les ai payés, et me
réclame près de deux-mille-cinq-cent euros ! Impuissant à
régler tous ces problèmes de là où je suis, je ne peux que
demander à ma princesse de les appeler pour leur dire d'attendre mon
retour. La nouvelle devrait m'abattre (deux-mille-cinq-cent euros,
c'est une somme ! Sans parler du risque de me retrouver avec mes
affaires à la rue !), mais il s'avère que sur le coup je m'en
fiche éperdument. Il sera temps d'angoisser quand je serai en mesure
d'y comprendre quelque chose et de voir s'il y a moyen de m'en tirer
à bon compte. Pour le moment, je suis en Chine et ce qui importe
c'est que je puisse partir serein dans le Guizhou, réconcilié avec
ma princesse… Et au moins tournerai-je définitivement la page de
cet appartement, dans lequel j'ai vécu bien des choses
extraordinaires, mais qui a fait son temps. Comme en atteste ce que je viens d'écrire,
je suis en quête d'un renouveau complet, d'un nouveau départ, d'une
réinvention de moi-même et surtout d'une rupture entre vie privée
et vie publique (qui ira jusqu'à l'adoption du « nom de
plume » que je porte encore aujourd'hui). Mes années Pentes de
la Croix-Rousse se terminent en même temps que ce premier roman, qui
en parlait tant. J'ai ma princesse indienne, j'ai des projets plein
les mains, j'entre dans la seconde partie de la vingtaine…
Veille
du départ, espoir ?
Prochaine
expérience : The Lijiang Experience (Pt. 24).
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