|
(Photo : auteur inconnu) |
L'affaire
Merah déchaîne (évidemment) les passions et, comme toujours à
présent, Internet se fait le théâtre de la vindicte populaire.
Sans
surprise, il y a les croquantes et les croquants chers à Georges
Brassens, qui s'empressent de maudire l'infâme islamiste, de se
frotter les mains qu'on l'ait pendu haut et court sans autre forme de
procès et qui répandent sur la toile un flot d'injures allant de la
méchanceté gratuite à l'anti-islamisme (voire au racisme)
flagrant. De ceux-la, je ne m'occuperai pas : nous savons depuis
Brassens que ce sont des idiots.
De
l'autre côté du cyber-bar, il y une autre catégorie de gens
que je ne sais trop comment qualifier. Intellos de gauche sans
doute ; humanistes autoproclamés ; issus de milieux
populaires pour la plupart (ils n'aiment pas les riches, c'est
évident !) ; immigrés de seconde ou troisième génération
pour certains ; conspirationnistes, altermondialistes et autres
antistes, et j'en passe... Difficile de leur coller une
étiquette, mais ils sont partout !
J'en
parlais déjà ici : ils sont toujours les premiers lorsqu'il il
s'agit de colporter n'importe-quel hoax sans en vérifier les
sources. Pour exemple : il y a quelques semaines, un article a fait le tour
du web, qui expliquait que les citoyens américains seraient
contraints, en 2013, de se faire implanter une puce électronique
sous-cutanée. Information dont il était facile de vérifier qu'elle
était fantaisiste, mais qui fut pourtant reprise en chœurs et assortie de
« Oh ! » et de « Ah ! » et autres
« Quelle horreur ! », « C'est le début de la
fin ! », « Big Brother est parmi nous » et
j'en passe...
Mais
la folie ne s'arrête pas là : je le mentionnais déjà dans mon article, ces
mêmes gens qui s'empressent de colporter tout et n'importe quoi - dès-lors que cela provient d'un internaute isolé - se méfient par
contre de toute information émanant de sources « officielles ».
Friands de théories du complot, allant du faux alunissage de 1969 à
George W. Bush dézinguant lui-même le World Trade Center, ils
dénoncent sans arrêt la propagande, les manipulations, les
mensonges auxquels se livrent nos gouvernants, nos multinationales,
nos médias. Non pas qu'on nous dise toujours la vérité, mais enfin
tout de même, on ne nous ment pas tout le temps non plus !
C'est vérifiable.
Ainsi
donc, pour en revenir à l'affaire qui nous préoccupe, dont j'ai déjà causé il y a quelques jours, le web se déchaîne et l'on
peut lire à propos de Mohammed Merah toutes sortes de choses un
tantinet curieuses. Mais avant d'aller plus avant, je préciserai
prudemment ma pensée quant à quelques points (on n'est jamais trop prudent ^^) :
-
Oui, je me suis demandé comme tout le monde s'il n'y aurait pas eu
moyen de capturer Mohammed Merah vivant, d'user par exemple de gaz
soporifiques (apparemment non). J'ai déploré
qu'il ait fallu l'abattre : un procès équitable aurait été
plus profitable à la société française qu'une exécution,
fut-elle en légitime défense (ce que je ne conteste pas). Par ailleurs, j'ai déjà
exprimé ici ma position concernant la peine de mort.
-
Oui, je reconnais que la classe politique a tenté, et tentera encore
de s'approprier cette affaire en vue des élections à venir. C'est
pitoyable certes, mais cela fait partie du jeu politique. Bien sûr
que les critiques de Mme. Le Pen à l'égard de l'appareil judiciaire
et policier, qui ont laissé le loup en liberté, sont faciles. Bien
sûr que la déclaration éclair de M. Sarkozy, suite à la mort de
Merah, était ridicule. Je viens en hâte ; j'assène d'un ton
sec et empressé un speech où tout s'enchaîne en vrac ;
j'annonce ni vu ni connu qu'un nouvel arsenal juridique sera mis en
place – usant du futur et non du conditionnel, comme si en France
l'exécutif avait le pouvoir de décider de telles choses sans l'aval
du législatif, de surcroît à la veille d'un probable changement de
gouvernement ; je dis au revoir et je me casse tout aussi
empressé que je suis venu, parce que j'ai une campagne
présidentielle à poursuivre. Oh, monsieur Sarkozy !
N'étiez-vous pas censé avoir compris votre erreur, rétablir la
dignité de la fonction présidentielle ? Imaginez-vous l'un de
vos prédécesseurs faire pareil numéro devant les caméras ?
Enfin bref, tout ça pour dire que nos politiques n'ont pas fait
preuve du plus grand panache dans cette affaire, comme d'hab'.
Amen.
-
Oui, j'ai déjà affirmé sur ce blog que Mohammed Merah était un malade
mental et non l'incarnation du mal. J'ai déjà admis qu'il
n'était pas impensable de faire preuve de compassion même à
l'égard d'un meurtrier, de même qu'à l'égard de ses proches.
-
Oui, ce genre de situations, ce genre de drames, doivent nous servir
de piqûre de rappel, nous rappeler qu'il y a des points sur lesquels
la République a échoué, en matière d'intégration, d'éducation,
de pédagogie, de suivi social et psychologique, de réinsertion, de
banlieues... La société ne peut se substituer à la responsabilité
individuelle de chacun, moralement et pénalement, mais il est urgent
de réagir et de guérir nos banlieues malades, avant que ce ne
soient elles qui ne nous nettoient au Kärcher.
Ceci
étant dit...
Je
lis des choses incroyables !
Par
exemple que Mohammed Merah n'a tué personne, qu'à part lui personne
d'ailleurs n'a été tué car on n'a vu aucun corps (?), que les sept victimes n'existent donc tout simplement pas, que tout
cela a été ourdi par l'UMP afin de récupérer des électeurs et de
monter les Français contre les immigrés, que ce pauvre Momo s'est
trouvé pris dans un piège diabolique et qu'on l'a exécuté
froidement et sciemment afin qu'il ne puisse clamer son innocence...
Wow !
Plus
modérés mais à peine moins délirants, il y a ceux qui affirment
que oui, Mohammed Merah a bien tué sept personnes, qu'il a bien tiré
sur la police, mais que ce n'est pas sa faute. Pas du tout sa
faute. Il a fait tout ça parce qu'il était pauvre, parce que
les Français sont tous racistes et indifférents à la misère des
immigrés, parce que cette indifférence l'a poussé dans les bras du
Djihad. Lui c'est une victime. Les criminels ce sont tous les
autres : les sales Français, les sales Juifs, les sales
riches, les sales flics et même le graphiste Christophe Lacaux (à
en croire un commentateur anonyme de mon article précédent)... Nous devrions tous
avoir honte. Nous devrions élever un monument à la mémoire de
Mohammed Merah, tombé non pas pour mais par la France, et verser des dommages
et intérêts à sa famille, victime elle aussi de notre ignominie.
Heu...
Non
mais attendez là...
Alors
déjà il y a des vrais gens dont les proches ont été
assassinés par Mohammed Merah. Des gens qui n'avaient rien demandé.
C'est assez odieux de leur imposer ce genre de déni ! Non
non Madame : votre enfant n'est pas mort, il a pas été
assassiné, il n'a jamais existé en fait. Sans déconner ?!
Ensuite,
concernant le mensonge d'État, je veux bien qu'on nous balnave
sur des trucs comme l'Affaire Karachi ou les histoires de fric avec Liliane Bettancourt. Mais d'ici à inventer sept
cadavres, sur le sol français, dont des enfants exécutés dans une école devant témoins,
c'est un peu fort de café ! De même qu'aller fabriquer
des fausses preuves (je pense à cette voiture pleine d'armes) et
mettre en scène un siège de trente heures pour choper un innocent
qui en fait ne serait ni fou ni armé... Heu...
Non. Là, vous hallucinez les mecs. On est en France, pas en Corée du Nord. Le président est pote avec les patrons des médias,
OK, mais il y a des limites à tout.
Quant
au scénario de la victime de la société dans son ensemble à
commencer par ce pauvre Christophe Lacaux (dont j'affirme qu'il s'agit d'un type généreux, profondément humain et
certainement pas raciste !), moi je veux bien mais ça nous mène
où exactement ? Il faut toujours aller jusqu'au bout des
raisonnements que l'on prétend défendre. Toujours. Ça
permet de mesurer la portée de
ce que l'on affirme.
Sous
prétexte qu'il y a des injustice, une inégalité des chances au
départ, de l'indifférence et du racisme, de la pauvreté, toute
personne issue de l'immigration est donc totalement lavée de sa
responsabilité en cas d'acte criminel ? Érick Schmitt,
lui, c'était un sale forcené. Marc Dutroux n'en parlons pas :
un odieux pervers ! Parce qu'ils s'appelaient Schmitt et Dutroux, ils n'avaient pas d'excuses mais par contre, si tu t'appelles Merah et que
t'as grandi en banlieue, c'est pas de ta faute ? Putain mais ça
craint ce genre de dérive ! Vous feriez mieux d'aller
voter pour Marine direct, parce qu'avec des discours pareils vous lui
tendez le bâton pour se faire élire !
Dans
un cas, la dérive communico-politique justifie l'injustifiable et
transforme le meurtrier en victime dès-lors que ça passe à la
télé. Dans l'autre, les échecs socioculturels de la République
justifient l'injustifiable et transforment le meurtrier en victime
dès-lors qu'il est pauvre et/ou issu de l'immigration.
Dans
les deux cas, l'individu est déresponsabilisé. C'est pas sa faute.
C'est une victime, voire un héros, un martyr non-pas de l'islam mais
de la bienséance alterantigauchoparano.
Et
une fois encore, le citoyen qui se veut militant creuse sa propre
tombe, affirmant le contraire de ce qu'il devrait affirmer s'il
voulait être cohérent avec les idées qu'il croit défendre !
De même qu'en répandant sans discernement des infos erronées ou
mensongères, l'internaute flingue sa liberté d'expression si chérie,
c'est sa citoyenneté qu'il démolit lorsqu'il nie son propre droit à
être responsable de ses actes.
Il
faut toujours aller jusqu'au bout des raisonnements que l'on prétend
défendre. Toujours.
Ça permet de mesurer la portée de ce que l'on affirme.
Si
Mohammed Merah n'est pas responsable, si Mohammed Merah est une
victime du complot politico-médiatico-industriel ou de la société
française indifférente et raciste, alors moi non plus, toi non
plus, plus personne n'est responsable de ce qu'il dit ou fait. Nous
sommes tous des enfants. Nous sommes tous soit manipulés soit
conditionnés. Nous pouvons écrire n'importe quoi sur internet,
battre nos femmes et nos gosses, lancer des insultes racistes à nos
voisins, rouler bourrés, poser des bombes... Ce n'est pas
notre faute, c'est la faute de
la société, c'est la faute du pouvoir ! Ce que ces internautes affirment,
c'est que le citoyen français n'est pas capable
d'assumer les droits et les devoirs qui sont les siens. Ce qu'ils
affirment, c'est que le citoyen français est un enfant. Et si l'on ne parle que du Français issu de l'immigration, c'est encore pire : on retombe dans les pires heures du paternalisme colonial ! Affirmant que le pauvre Arabe (ou le pauvre Noir) n'est pas capable de porter le poids de ses problèmes (dont est responsable le Français de souche, certes, mais cela sous-entend que ce même Français de souche est de facto plus fort, plus solide), l'argument anti-raciste devient plus odieusement raciste que tout ce qu'il dénonce ! Le pauv' petit Arabe, il est pas capable de faire face. C'est un enfant.
L'enfant,
il est sous la tutelle de ses parents ou, faute de parents, de la
nation. Il n'a pas le droit de disposer de lui-même. En sombrant dans de délirantes théories du complot ou de victimisation,
l'internaute justifie donc ce qu'il voudrait
dénoncer ! Si le citoyen français (de souche ou non) est à ce point naïf, à ce
point manipulable, si peu maître de son destin, alors cela signifie
que le citoyen français est indigne des libertés qui lui sont
offertes. Indigne de voter, voire de s'exprimer librement. Ainsi
donc, il serait plus raisonnable de rétablir dès aujourd'hui un
régime autoritaire, de type fasciste ou communiste, qui prendrait en
charge la destinée des gens comme vous et moi. Plus de droit de vote. Plus de liberté d'expression. C'est pour votre bien !
Et
voilà comment, après avoir noyé leur liberté d'expression sous le
poids d'une désinformation citoyenne,
les internautes sont en train d'enterrer la démocratie sous les
décombres de la paranoïa et de la bienséance.
Heureusement,
il y a au milieu de la mêlée des tas d'autres gens raisonnables,
modérés, prudents. Je les conjure de redoubler de
vigilance. Ne soyons plus passifs face aux hoax, aux théories du complot, à la mauvaise foi. Ces spectres pas si innocents, qui n'ont pas fini de hanter
nos écrans...
C'est
que le début, d'accord d'accord...