On
peut être pour ou contre le concept d'Union Européenne, ou d'Europe
Fédérale, je ne vais pas me lancer là-dedans parce que tout a déjà
été dit et je ne changerai l'avis de personne. J'ai juste un truc à
dire.
Avant d'en venir à ce truc à dire, j'ai quand même envie de rappeler, en préambule, qu'à l'origine le projet
européen reposait sur une idée simple et forte : le maintien
d'une paix durable après la tragédie des deux guerres mondiales. On
l'oublie trop souvent, mais c'est largement aussi important que la
libre circulation des biens et des personnes, la nécessité de peser
face aux géants économiques de demain et le reste. L'Europe, comme
l'ONU, est un projet à échelle humaine. C'est un modèle qui a,
aurait, pourrait avoir vocation à se répandre sur d'autres continents.
Vivant
en Asie, je suis souvent rappelé, avec une surprise toujours
renouvelée, au fait que les pays d'Asie ont des conflits
frontaliers. L'inde et le Paksitan, l'Inde et la Chine, le
Cambodge et la Thaïlande, etc. De temps en temps quelques soldats se
tirent dessus pour quelques kilomètres de cailloux, et les relations
diplomatiques sont constamment tendues. Pour dire le délire que
c'est, les guides Lonely Planet sont obligés de mettre un
disclaimer sur certaines cartes pour dire que les frontières
indiquées sont sujettes à débat, histoire de ne froisser
personne ! Pour l'européen de génération X/Y que je suis,
tout ça semble tellement années 30. Inconcevable.
Bon,
on a nos problèmes aussi : la merde en Belgique, des velléités
indépendantistes çà et là (encore que les Corses et les Basques
se sont calmés), le conflit irlandais qui n'est pas si loin... Mais
quand même : j'ai du mal à imaginer nos soldats s'écharper
avec leurs homologues espagnols pour un kilomètre de Pyrénées, si
vous voyez ce que je veux dire. Et ça, c'est en grande partie grâce
au projet européen.
Mais
ce n'est pas de ça que je voulais parler.
Ce
que je voulais, c'est répondre à l'argument selon lequel « on
a essayé et on voit bien que ça ne marche pas » (parce que
pas assez de démocratie ni de transparence, trop de bureaucratie et
d'élites, une incapacité des dirigeants à se mettre d'accord, une
Europe trop libérale, etc.). Cet argument est souvent repris par des
gens qui, à la base, étaient ou auraient été plutôt
pro-Européens. Des gens qui trouvent que si c'est bon pour
l'économie, si ça facilite le voyage et l'expatriation, si ça
maintient une paix permanente sur le continent, le concept est bon.
Mais pas sa réalisation. Ça fait soixante-huit ans qu'on a
commencé, vingt-trois ans que l'UE existe en l'état : si ça
avait dû marcher ça aurait marché. Donc tant pis, dommage, il faut
tout arrêter, le modèle national marche mieux finalement.
Je
voudrais mettre les choses un peu en perspective.
L'espèce
humaine a, sous sa forme actuelle, deux-cent mille ans.
La
civilisation (sédentarisation, agriculture, domestication, villes,
écriture...) a plus ou moins douze-mille ans.
La
plupart des gens, finalement, ont tendance à croire que l'histoire
de l'humanité a commencé par leurs arrières grands-parents. Et
qu'elle se terminera par leurs arrières petits-enfants. C'est
humain, on ne vit que brièvement, c'est dur de se figurer dix-mille
ans, sans parler de deux-cent mille.
Mais
n'empêche, pour en arriver à Shaomi qui tape cet article sur un PC
pour le poster sur un blog, il a fallu deux-cent mille ans. Allez,
disons douze-mille pour vous faire plaisir vu qu'on n'a pas fait tant
de trucs que ça pendant les cent-quatre-vingt-huit-mille premières
années.
Maintenant,
imaginez ce qui a pu se dire de la démocratie, au début. « On
a essayé, vous voyez bien que ça ne marche pas. » Cet
argument fut, évidemment, avancé par nombre de régimes
totalitaires au cours des deux derniers siècles.
Pourtant,
mis à part quelques véritables demeurés, je n'entends jamais les
détracteurs de l'UE demander un retour à la monarchie absolue, au
fascisme ou au communisme. On se plaint plutôt d'un manque de
démocratie, mais on ne conteste plus son évidence en tant que
système politique. C'est parce qu'elle a, non sans embûches certes,
fini par faire ses preuves. Et tant mieux !
L'EU,
elle est tout bébé. C'est une expérience unique, sans précédent,
dans cette longue histoire de l'humanité. Ça ne pouvait pas, ça ne
peut pas être parfait du premier coup. Encore moins en
absorbant toute l'Europe de l'Est d'un coup ou presque (on était
tellement bien à quinze !). Vouloir l'enterrer en 2016 sous
prétexte qu'on a essayé et que ça ne marche pas, c'est se
comporter comme un Britannique qui aurait souhaité rétablir la
monarchie absolue en 1850, sous prétexte que la démocratie était
alors inégalitaire et réservée aux classes supérieures.
C'est
faire preuve d'une absence totale, aveugle, de perspective
historique.
C'est
nier aux européens de 2100 le droit de jouir d'une UE prospère et
pacifique, après un siècle et demi de travail pour la rendre
viable.
Alors
voilà. C'est bien dommage que les Anglais soient partis en tout
cas...