Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002.
Décollage
ici.
Expérience
précédente : The Lijiang Experience (Pt. 17).
07
octobre 2002 – 02 novembre 2002 : The Lijiang Experience,
Lijiang (Yunnan).
Dix-huitième
jour. Je fouille mes poches : force est de constater que je me
retrouve sans un sou. Je demande à Yanli de me faire une ardoise, le
temps que l'argent de Western Union ne me parvienne enfin (en 2002,
il faut encore près d'une semaine à un virement pour traverser le
monde !). Je décide aussi que je n'ai simplement pas envie de
partir d'ici ! Il me reste largement assez de temps pour voir
les Miaos et les Dongs plus tard. Et puisque je suis coincé par
cette histoire de fric, autant prolonger mon séjour à Lijiang
autant que possible ! Ainsi donc, pour quelques jours au moins,
je cesse de me répéter chaque jour que je pars le lendemain !
Ming
Xia arrive toute honteuse au Prague Café : elle est très
embarrassée d'avoir ainsi craqué devant tout le monde la veille. Je
la rassure, lui explique que ça n'est pas grave, que je n'étais pas
très frais moi non plus, que ce sont des choses qui arrivent et
qu'on a bien le droit de pleurer de temps à autre. Par contre, je
suis moi-même un peu gêné par autre chose : j'ignore s'il
était convenable de la prendre dans mes bras pour la consoler. En
Inde, la chose eut été scandaleuse. Ming Xia me rassure : ici,
c'est un comportement acceptable, mon attitude amicale était
bienvenue. Yanli nous écoute nous démêler de nos embarras
réciproques avec un amusement non dissimulé. Même en Chine, où
les gens sont très émotifs en comparaison des Européens, Ming Xia
et moi atteignons des sommets. Nous nous attaquons à notre seconde
leçon de français puis, lorsque arrive Yosuke, à la fameuse
lettre. Et c'est ainsi que parviendra à Grenoble une lettre écrite
en chinois par une Chinoise, traduite du chinois à l'anglais par un
Japonais, puis de l'anglais au français par un Français. Lost
in translation. Pour faire
bonne mesure, nous insérons les trois versions dans l'enveloppe.
Ming Xia est ravie. C'est un vrai plaisir que de la voir retrouver sa
légèreté.
Photo : Dr. Ma Pingke |
S'ensuit
ma quotidienne déambulation dans les ruelles de la vieille ville,
que je commence à connaître par cœur sans parvenir à m'en lasser.
À
mon retour, une des serveuses du Prague Café vient me voir en
rougissant. Il est vrai que je n'ai rien dit des deux autres
serveuses : Ying et Ding sont deux jeunes filles qui parlent mal
anglais, de sorte que nos échanges sont assez limités. Pourtant,
nous cohabitons pour ainsi dire : Yanli loue une chambre
ailleurs en ville, mais ces deux filles-là dorment à l'étage,
au-dessus du bar. Chaque soir, je les entends là-haut, qui regardent
des films chinois. Ainsi donc, Ding s'approche timidement et demande
si, puisque j'aide Ming Xia avec son français, je voudrais bien
l'aider elle avec son anglais. J'accepte de bon cœur et nous voilà
flanqués de deux
cours de langue quotidiens. La prononciation de l'anglais, je le
verrai, n'est guère plus facile pour les Chinois que celle du
français.
En
parlant de prononciation, un couple de Français s'arrête pour un
verre au Prague Café et nous échangeons sur nos voyages, une petite
heure durant. Je réalise alors que ma prononciation, mes
intonations, la musique de ma voix… Tout cela est bizarre.
Je ne parle pas comme d'habitude. Je fais mes comptes et il s'avère
que cela fait plus d'un mois que je n'ai pas parlé un mot de
français ! J'ai écrit en français. J'ai pensé en français.
Mais à l'exception des bribes que j'ai enseignées à Ming Xia, je
n'ai pas parlé
français en cinq semaines ! Et je me rends compte que j'ai en
quelque sorte oublié. Je veux dire, mon corps a oublié comment on
fait. Pour mes interlocuteurs, c'est sans doute anodin, ils doivent
penser que c'est mon accent régional. Mais en fait je prononce tout
bizarrement ! Je me reprends petit à petit, et au bout d'une
demi-heure je finis par retrouver une locution tout à fait
naturelle ! C'est une expérience pour le moins troublante que
de s'entendre parler avec l'accent de quelqu'un d'autre !
Comme
j'ai terminé un obscur roman d'aventures historiques dégoté au
Prague Café, j'entame la lecture de La
pierre angulaire de Zoé
Holdenbourg : « seul celui qui ne se protège pas est
fort ».
Prochaine
expérience : TheLijiang Experience (Pt. 19).
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