Il y avait un nouvel élève. Il se prénommait Myrack. C'était un grand gaillard de quinze ans, maigre comme un clou, dégingandé, d'allure revêche. Il appartenait à la Minorité et venait donc, comme le voulait le bon sens, des quartiers Est. Il y avait trois autres garçons de la Minorité dans la classe. Leurs familles avaient depuis longtemps gravi l'échelle sociale et intégré la communauté locale, tout ceci avec un succès remarquable et remarqué.
La professeure de géographie intima
Myrack de se présenter à ses camarades. Personne ne venait jamais
s'assurer que le programme scolaire était suivi à la lettre, il y
avait donc du temps à perdre et la cohésion du groupe était une
priorité. L'influence des Soviétiques, sans doute. Comme Myrack baissait la tête, tétanisé, les adolescents
furent chargés de l'interroger. On lui demanda son nom, son âge et la profession du
père (comptable dans une administration à
usage indéfini, pour Myrack plus encore que pour nul autre). Une
jeune fille lui intima ensuite de décrire ses hobbies (mot
qu'elle prononça en anglais dans
le texte,
non sans une pointe de fierté).
Myrack parlait avec le lourd accent des quartiers Est, ce qui le
rendait légèrement difficile à comprendre, d'autant qu'il était
timide et avalait la moitié de ses mots avant d'en recracher l'autre
moitié. Myrack dit qu'il aimait jouer
aux billes. Il y eut quelques
ricanements car c'était une activité fort immature pour un garçon
de son âge. La jeune fille n'était pas satisfaite : Myrack ne
pouvait, en tout état de cause, se contenter d'un seul hobby (elle répéta le mot, des fois que quelqu'un l'aurait raté la
première fois). Myrack dit qu'il
aimait tirer les cheveux.
Tout le monde se regarda, le regarda, regarda la professeure. Elle exigea que Myrack précise sa pensée, car on avait certainement mal
compris. On n'avait pas mal compris : Myrack aimait tirer
les cheveux.
Il illustra son propos d'un geste
sans équivoque. Tout le monde se regarda, le regarda, regarda la
professeure. Elle affirma haut et fort qu'il n'existait de tel hobby
nulle part sur terre, pas même dans les invraisemblables quartiers
Est. Convaincue qu'on se moquait d'elle, elle ordonna aux trois
autres garçons issus de la Minorité d'obtenir une explication. Les
quatre élèves échangèrent des propos dans l'inintelligible et
méprisable patois des quartiers Est et firent toutes sortes de
grands gestes. Piteux, les trois garçons furent contraints de
confirmer que oui, Myrack aimait bel et bien tirer
les cheveux des gens, les arracher même
si possible. C'était, là d'où venait Myrack, une activité
ordinaire pour les adolescents. Myrack rit,
soudain tout excité. La professeure eût, à la rigueur, pu admettre
qu'elle avait affaire à un attardé. Par contre, l'idée même que
le tirage de cheveux
puisse constituer un loisir collectif lui était intolérable, fusse
dans les quartiers Est où se passaient pourtant des choses plus
scandaleuses que cela. Myrack, pourtant, insista de son accent
boueux : ils tiraient les cheveux
en bande et c'était rudement amusant !
Il y eut alors un
de ces longs silences que toute personne saine de corps et d'esprit
abhorre, puis quelques rires étouffés de la part des filles et de
nombreux chuchotements dans les rangs des garçons. Finalement, la professeure fut assaillie de regards suppliants : on
attendait d'elle qu'elle mette un terme à cet intolérable
embarras. Aguerrie au métier, elle déclara tout-de-go qu'il
était temps de démarrer la leçon et se mit à disserter sur les bienfaits de la collectivisation agricole. Myrack lança des regards
inquiets çà et là mais ne trouva que des visages fermés.
De la
journée, personne n'adressa la parole à Myrack. À quinze heures,
les cours se terminèrent et chacun rentra chez soi. Les douze
garçons de la classe – parmi eux Jakob – suivirent Myrack,
s'abattirent sur lui et le battirent à mort. Les trois garçons
issus de la Minorité furent ceux qui tapèrent le plus fort. C'est
l'un d'entre eux qui, les yeux révulsés, l'écume aux lèvres,
donna le coup de pied fatidique dans la tempe du nouveau, le
coup qui lui ôta la vie pour de bon.
La police déclara que le pauvre garçon souffrait de
dépression (qui ne souffrait pas de dépression dans les quartiers
Est ?) et conclut au suicide. Nul ne mentionna plus jamais Myrack,
à commencer par ses parents et ses deux sœurs, qui furent
d’ailleurs bientôt exclues de l'établissement pour mauvaise
tenue.
L'année
scolaire qui s'ensuivit fut ordinaire, donc radieuse.
Extrait possible et en friche de Ce que font les morts, roman en cours de gestation.
9 commentaires:
Quelle histoire !
Allégorie, poussée à la limite, de ce qui se passe dans la réalité ordinaire
Belle allégorie, monde glauque et inquiétant, j'ai pensé parfois un peu à Henri Michaux, il convient d'être sévère avec le réel, en effet, et de le prendre au mot, comme on prend à la gorge. Le coup de pied à la tempe est aussi, peut-être, un coup de pied au temps.
La peur née de l'incompréhension et la violence née de la peur... et l'incompréhension face de la violence... :-(
Etc, etc, etc...
La dernière phrase, comme un couperet.
En friche, disais-tu ?!!!
"...cet intolérable embarras..." ;)
Et "hobby" aussi.
Et puis bon, tu me dis si ça te soûle que je relève les coquilles... ;)
Pauvre Myrack, il ne saura jamais qui est Taylor Swift. O_o
woaw
(c'est pas juste, maintenant j'ai envie de lire la suite >_< !!! )
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