Premier
voyage en Inde, février-mars 2001.
1er
février 2001 - 5 février 2001 : The
Istanbul Experience,
Istanbul (Turquie).
À
quinze heures, l’avion décolle. Il me dépose un peu plus tard à
Istanbul. Pour la première fois, je sacrifie à ce rituel auquel je
prendrai tant goût : bagages, passeport, change, sauter dans un
bus ou un taxi, qui nous conduit on ne sait trop où.
J’ai
trois journées complètes à passer à Istanbul, avant de me
ré-envoler pour le sous-continent indien. Ma première découverte,
c'est que les Turcs n'utilisent pas de taxis : ils prennent le
taksi.
Je n'ai rien, sur le principe, contre une admission de la Turquie
dans l'Union Européenne. Toutefois, bien plus que le respect des
droits de l'homme, la reconnaissance du génocide arménien et
l'abolition de la peine de mort, il me paraît fondamental
qu'ils apprennent à écrire « taxi » correctement. À
cette condition, et à cette condition seulement, leur candidature
obtiendra mon soutien !
Comme
pour me signifier dès le départ que mon séjour ici n'aura rien de
romantique, la première personne à m'adresser la parole est une
prostituée. Du moins est-ce que je suppose, lorsqu'une jeune femme
s'arrête en voiture et m'adresse la parole. Je lui donne entre
vingt-cinq et trente ans, elle est assez jolie. Il fait nuit et je
cherche désespérément un hôtel indiqué dans le Lonely
Planet,
qui semble introuvable. Elle parle à peine anglais et me demande où
je vais. Je lui montre l'adresse de l'hôtel. « Come, I'll take
you there ». Je n'ai rien à perdre, je monte dans le véhicule.
J'essaie de discuter mais son anglais est vraiment trop nul. Elle me
fait comprendre qu'elle peut m'emmener chez elle si je veux.
J'hésite. Elle insiste, semble proposer de m'héberger par bonté
d'âme. Je songe que c'est peut-être une bonne samaritaine. Mes amis
voyageurs m'ont souvent raconté comment, lorsqu'ils étaient perdus,
de bonnes âmes les avaient pris en charge : peut-être ai-je
mal interprété et n'est-elle pas du tout prostituée. La voiture est
imposante : c'est une grosse berline noire du dernier cri, pas
le genre d'une pute. Ses vêtements, élégants, ne sont pas non plus
de ce genre-là. Une nymphomane égarée, qui sait ? Après
tout, ça m'est déjà arrivé en France, de me faire brancher par
une inconnue qui me trouvait à son goût, alors pourquoi pas à
Istanbul ? Je songe aussi que peut-être je risque de me faire
détrousser par son mac ou son mec. Mais elle m'inspire confiance :
je ne ressens chez elle aucune malveillance. De toute façon, je n'ai
rien à me faire voler. Presque pas de liquidités, pas de carte
bleue (que des travellers cheques), pas d'appareil photo… Je ne
risque pas grand chose à accepter, étant donné que ça ne ferait
pas de mal à mon portefeuille d'économiser une nuit d'hôtel.
J'insiste bien, pour lui faire comprendre que je suis pas un
« client », sur le fait que je veux dormir
chez elle. Je ne peux pas être trop explicite non plus, par peur de
l'insulter si elle n'est pas prostituée. Elle semble comprendre,
m'assure qu'il s'agit bien de dormir. Alors je dis « OK »,
et m'enfourne ainsi dans la première péripétie de mon voyage !
Nous
arrivons chez elle. Elle vit dans un petit appartement un peu minable
mais propre. La déco fait très « années folles ». Elle
m'invite à me mettre à mon aise, puis se jette littéralement sur
moi. Elle est très douce dans sa fougue, mais je recule. Certes,
elle me plaît. Mais d'une part, je n'ai pas l'habitude de coucher
comme ça avec la première venue, sans faire un tant soi peu
connaissance auparavant : nous pourrions au
moins commencer par boire un verre ! D'autre part, je ne fréquente pas les
prostituées : je ne vais pas prendre le risque de coucher avec
elle et de me faire réclamer de l'argent ensuite. Comme elle pose ma
main sur son décolleté, je la repousse délicatement et lui fait
comprendre qu'il y a un problème. Nous finissons, enfin, par
dégrossir le malentendu. Elle est bien
prostituée et je peux bien dormir là gratuitement, mais pas avant
d'avoir payé et baisé. Ça serait tentant, puisque je suis là,
puisqu'elle est là, parce qu'elle me plaît, parce qu'elle m'offre
l'hospitalité ensuite. Mais je sais bien que j'aurais du mal à me
regarder dans un miroir ensuite, alors je décline poliment, exprime
mes regrets et le désir de repartir en quête d'un hôtel. Elle
semble ennuyée
et me branche de nouveau alors, pour
en finir, je vide mes poches devant elle. Comme je m'y attendais, mes
quelques billets sont bien en dessous de son prix. Elle comprend
cette fois-ci. Elle ne semble pas du tout fâchée d'avoir perdu son
temps, me signifie qu'elle ira même jusqu'à me conduire à mon
hôtel.
En
chemin, elle demande sa route à un homme, qui m'interroge en
anglais : est-ce que je veux aller à l'hôtel ou chez la
femme ? Il me prend pour un client. Je réponds « à
l'hôtel », et tente de clarifier la situation en même temps
qu'elle lui reparle en turc. L'homme alors me tance d'un ton très
agressif : « The lady is speaking to me, be polite ! ».
Il en a jusque-là de ces pourris d'Européens qui viennent consommer
de la pute turque. Il est prêt à me donner une bonne leçon si
besoin. Je m'écrase et il indique la direction à prendre. La jeune
femme, que je remercie chaleureusement pour sa patience, m'y dépose
avec un sourire. Le propriétaire est un homme élégant, qui parle un français parfait. La chambre est propre et
agréable, mais le lit est dur comme du bois.
Je
ne m’attarderai guère sur les trois jours qui suivent. Je les
passerai seul, à errer sans but sous la pluie battante. Il fait un
froid de canard, le ciel est inlassablement gris… Je visite le
souk, c'est à peu près le seul endroit charmant que je puisse
dégoter. Je m'amuse à me perdre dans les quartiers populaires, au
point de devoir rentrer en taksi.
Je caresse des dizaines de chats errants en mal d'affection. Je
m'attendais à la cité des mille et une nuits, à un peu d'exotisme…
Je tombe des nues ! Istanbul est semblable aux métropoles
européennes : Britney Spears en PLV dans les vitrines, le
dernier Morcheeba qui résonne un peu partout, les mêmes jeunes
branchés, les mêmes marques de voitures… Je tombe même sur un
disque de mes voisins de paliers, le groupe lyonnais High Tone :
c'est dire le dépaysement !
Au
final, je trouve Istanbul et ses habitants déplaisants au possible.
Le type qui m'a incendié le premier soir est, en fait, assez
représentatif de ses compatriotes. Les commerçants sont
désagréables. Les restaurateurs sont désagréables. Les chauffeurs
de taksi
sont désagréables. Je m'efforce d'être humble et souriant, mais
tout le monde fait preuve à mon égard d'une froideur qui flirte
avec l'impolitesse. L'homme turc est exactement à l'opposé de
l'homme indien (je serai en mesure de faire la comparaison dans
quelques jours). L'homme indien est efféminé, raffiné, doux. Même
lorsqu'il est énervé, il paraît tout à fait inoffensif. L'homme
turc, à l'inverse, est un homme ultra-viril, un guerrier duquel
émane une brutalité inhérente. C'est limite s'ils ne me font pas
un peu peur ! Les femmes d'Istanbul, quant à elles, sont
pour la plupart repoussantes. Jamais je n'ai vu autant de femmes
laides au mètre carré. En cela, elles sont également aux antipodes
des femmes indiennes, plus magnifiques et délicates les unes que les
autres ! Je ne prétends pas que trois jours à Istanbul m'ont
permis de me faire une opinion définitive des Turcs et je n'ai
absolument rien contre eux. Mes lecteurs, d'ailleurs, savent que je
n'ai pas pour habitude de porter des jugements sur les autres
cultures, préférant m'attaquer à la mienne. Mais c'est ainsi que,
subjectivement, j'ai vu et vécu les choses à l'époque. Puissent
mes lecteurs turcs me pardonner d'en faire le constat dans ces pages.
Ainsi
donc cette ville si peu hospitalière, ordinaire, glaciale et
pluvieuse, ne m’inspirera rien d’autre que le début de la
chanson Vacances
(inédite), qui énumère mes galères de voyage. Je trouve quand
même quelque joie grâce aux délicieuses et très sucrées
pâtisseries locales.
Mais
le voyage n’a pas encore vraiment commencé, alors je ne suis pas
plus déçu que cela. Mon Inde m'attend, et avant elle le Pakistan.
Là-bas, que j'aime ou que je n'aime pas, le dépaysement, la
décontextualisation, seront complets !
Ce
qui nous amène au 5 février 2001. Un autre avion
décolle. Je sais que cette fois-ci c’est le grand saut, le vrai.
Alors
je saute.