27 juin 2011

The India Experience - 2/ The Istanbul Experience

Premier voyage en Inde, février-mars 2001.

Expérience précédente : A prelude 2 the India Experience.


1er février 2001 - 5 février 2001 : The Istanbul Experience, Istanbul (Turquie). 

À quinze heures, l’avion décolle. Il me dépose un peu plus tard à Istanbul. Pour la première fois, je sacrifie à ce rituel auquel je prendrai tant goût : bagages, passeport, change, sauter dans un bus ou un taxi, qui nous conduit on ne sait trop où.

J’ai trois journées complètes à passer à Istanbul, avant de me ré-envoler pour le sous-continent indien. Ma première découverte, c'est que les Turcs n'utilisent pas de taxis : ils prennent le taksi. Je n'ai rien, sur le principe, contre une admission de la Turquie dans l'Union Européenne. Toutefois, bien plus que le respect des droits de l'homme, la reconnaissance du génocide arménien et l'abolition de la peine de mort, il me paraît fondamental qu'ils apprennent à écrire « taxi » correctement. À cette condition, et à cette condition seulement, leur candidature obtiendra mon soutien !

Comme pour me signifier dès le départ que mon séjour ici n'aura rien de romantique, la première personne à m'adresser la parole est une prostituée. Du moins est-ce que je suppose, lorsqu'une jeune femme s'arrête en voiture et m'adresse la parole. Je lui donne entre vingt-cinq et trente ans, elle est assez jolie. Il fait nuit et je cherche désespérément un hôtel indiqué dans le Lonely Planet, qui semble introuvable. Elle parle à peine anglais et me demande où je vais. Je lui montre l'adresse de l'hôtel. « Come, I'll take you there ». Je n'ai rien à perdre, je monte dans le véhicule. J'essaie de discuter mais son anglais est vraiment trop nul. Elle me fait comprendre qu'elle peut m'emmener chez elle si je veux. J'hésite. Elle insiste, semble proposer de m'héberger par bonté d'âme. Je songe que c'est peut-être une bonne samaritaine. Mes amis voyageurs m'ont souvent raconté comment, lorsqu'ils étaient perdus, de bonnes âmes les avaient pris en charge : peut-être ai-je mal interprété et n'est-elle pas du tout prostituée. La voiture est imposante : c'est une grosse berline noire du dernier cri, pas le genre d'une pute. Ses vêtements, élégants, ne sont pas non plus de ce genre-là. Une nymphomane égarée, qui sait ? Après tout, ça m'est déjà arrivé en France, de me faire brancher par une inconnue qui me trouvait à son goût, alors pourquoi pas à Istanbul ? Je songe aussi que peut-être je risque de me faire détrousser par son mac ou son mec. Mais elle m'inspire confiance : je ne ressens chez elle aucune malveillance. De toute façon, je n'ai rien à me faire voler. Presque pas de liquidités, pas de carte bleue (que des travellers cheques), pas d'appareil photo… Je ne risque pas grand chose à accepter, étant donné que ça ne ferait pas de mal à mon portefeuille d'économiser une nuit d'hôtel. J'insiste bien, pour lui faire comprendre que je suis pas un « client », sur le fait que je veux dormir chez elle. Je ne peux pas être trop explicite non plus, par peur de l'insulter si elle n'est pas prostituée. Elle semble comprendre, m'assure qu'il s'agit bien de dormir. Alors je dis « OK », et m'enfourne ainsi dans la première péripétie de mon voyage !

Nous arrivons chez elle. Elle vit dans un petit appartement un peu minable mais propre. La déco fait très « années folles ». Elle m'invite à me mettre à mon aise, puis se jette littéralement sur moi. Elle est très douce dans sa fougue, mais je recule. Certes, elle me plaît. Mais d'une part, je n'ai pas l'habitude de coucher comme ça avec la première venue, sans faire un tant soi peu connaissance auparavant : nous pourrions au moins commencer par boire un verre ! D'autre part, je ne fréquente pas les prostituées : je ne vais pas prendre le risque de coucher avec elle et de me faire réclamer de l'argent ensuite. Comme elle pose ma main sur son décolleté, je la repousse délicatement et lui fait comprendre qu'il y a un problème. Nous finissons, enfin, par dégrossir le malentendu. Elle est bien prostituée et je peux bien dormir là gratuitement, mais pas avant d'avoir payé et baisé. Ça serait tentant, puisque je suis là, puisqu'elle est là, parce qu'elle me plaît, parce qu'elle m'offre l'hospitalité ensuite. Mais je sais bien que j'aurais du mal à me regarder dans un miroir ensuite, alors je décline poliment, exprime mes regrets et le désir de repartir en quête d'un hôtel. Elle semble ennuyée et me branche de nouveau alors, pour en finir, je vide mes poches devant elle. Comme je m'y attendais, mes quelques billets sont bien en dessous de son prix. Elle comprend cette fois-ci. Elle ne semble pas du tout fâchée d'avoir perdu son temps, me signifie qu'elle ira même jusqu'à me conduire à mon hôtel.

En chemin, elle demande sa route à un homme, qui m'interroge en anglais : est-ce que je veux aller à l'hôtel ou chez la femme ? Il me prend pour un client. Je réponds « à l'hôtel », et tente de clarifier la situation en même temps qu'elle lui reparle en turc. L'homme alors me tance d'un ton très agressif : « The lady is speaking to me, be polite ! ». Il en a jusque-là de ces pourris d'Européens qui viennent consommer de la pute turque. Il est prêt à me donner une bonne leçon si besoin. Je m'écrase et il indique la direction à prendre. La jeune femme, que je remercie chaleureusement pour sa patience, m'y dépose avec un sourire. Le propriétaire est un homme élégant, qui parle un français parfait. La chambre est propre et agréable, mais le lit est dur comme du bois.

Je ne m’attarderai guère sur les trois jours qui suivent. Je les passerai seul, à errer sans but sous la pluie battante. Il fait un froid de canard, le ciel est inlassablement gris… Je visite le souk, c'est à peu près le seul endroit charmant que je puisse dégoter. Je m'amuse à me perdre dans les quartiers populaires, au point de devoir rentrer en taksi. Je caresse des dizaines de chats errants en mal d'affection. Je m'attendais à la cité des mille et une nuits, à un peu d'exotisme… Je tombe des nues ! Istanbul est semblable aux métropoles européennes : Britney Spears en PLV dans les vitrines, le dernier Morcheeba qui résonne un peu partout, les mêmes jeunes branchés, les mêmes marques de voitures… Je tombe même sur un disque de mes voisins de paliers, le groupe lyonnais High Tone : c'est dire le dépaysement !

Au final, je trouve Istanbul et ses habitants déplaisants au possible. Le type qui m'a incendié le premier soir est, en fait, assez représentatif de ses compatriotes. Les commerçants sont désagréables. Les restaurateurs sont désagréables. Les chauffeurs de taksi sont désagréables. Je m'efforce d'être humble et souriant, mais tout le monde fait preuve à mon égard d'une froideur qui flirte avec l'impolitesse. L'homme turc est exactement à l'opposé de l'homme indien (je serai en mesure de faire la comparaison dans quelques jours). L'homme indien est efféminé, raffiné, doux. Même lorsqu'il est énervé, il paraît tout à fait inoffensif. L'homme turc, à l'inverse, est un homme ultra-viril, un guerrier duquel émane une brutalité inhérente. C'est limite s'ils ne me font pas un peu peur ! Les femmes d'Istanbul, quant à elles, sont pour la plupart repoussantes. Jamais je n'ai vu autant de femmes laides au mètre carré. En cela, elles sont également aux antipodes des femmes indiennes, plus magnifiques et délicates les unes que les autres ! Je ne prétends pas que trois jours à Istanbul m'ont permis de me faire une opinion définitive des Turcs et je n'ai absolument rien contre eux. Mes lecteurs, d'ailleurs, savent que je n'ai pas pour habitude de porter des jugements sur les autres cultures, préférant m'attaquer à la mienne. Mais c'est ainsi que, subjectivement, j'ai vu et vécu les choses à l'époque. Puissent mes lecteurs turcs me pardonner d'en faire le constat dans ces pages.

Ainsi donc cette ville si peu hospitalière, ordinaire, glaciale et pluvieuse, ne m’inspirera rien d’autre que le début de la chanson Vacances (inédite), qui énumère mes galères de voyage. Je trouve quand même quelque joie grâce aux délicieuses et très sucrées pâtisseries locales.

Mais le voyage n’a pas encore vraiment commencé, alors je ne suis pas plus déçu que cela. Mon Inde m'attend, et avant elle le Pakistan. Là-bas, que j'aime ou que je n'aime pas, le dépaysement, la décontextualisation, seront complets !

Ce qui nous amène au 5 février 2001. Un autre avion décolle. Je sais que cette fois-ci c’est le grand saut, le vrai.

Alors je saute.


Prochaine expérience : The Pakistan Experience.

23 commentaires:

Manoé a dit…

Mama mia...quelle épopée, je n'imaginais pas autant de femmes laides au mètre carré moi non plus! par contre "taksi" je trouve que c'est correct...je te suis Sha'...je te suis! merci pour le partage, j'adore...;-)

Élaine Germain a dit…

La suite, la suite, la suite!!!! Viiiiiite!

Sigouline a dit…

Après cette lecture, on n'a pas trop envie de se perdre dans Istanbul. Tu racontes parfaitement cette aventure, tu donnes envie de te suivre. C'est un vrai journal de bord raconté de façon réaliste sans afféteries, sans concessions, mais sans amertume

Jmemêledetout a dit…

Pas le temps de lire en ce moment, mais je mets ..é pour plus tard, parce que j'aime beaucoup tes écrits et leur élégance légère, des mots qui parlent sans peser.

Denise Lassartesse a dit…

J'ai été prévenue. J'ai lu. J'ai beaucoup aimé.

SETI a dit…

Je suis très surpris sur l'appréciation des turcs, turques et stamboulliotes. Je suis allé pas mal de fois en Turquie et notamment à Istamboul et je n'ai pas du tout cet avis.

Jean-Michel Leboulanger a dit…

Bonjour. J'ai commencé à lire India Experience, et tout de suite je me suis senti emporté. Je sens que je vais devenir fan :-) Bonne journée

Yopito a dit…

Remarque, à l'Ouest rien de nouveau non plus :

Chair Okie.... .. ..
Route de Claremore à Miami Oklahoma ;
Blafarde balafre dans la nuit dangereuse.
Relais routier, pick-up prostitué
Accidentel exode de moi et ses fantômes.
Autos ivres frôlant le sacrifice, chars antiques de courses
Précipités en ellipses, désarroi des essieux hissés par de
Souveraines adolescences. ..
.... ..
Témoin gênant à veste de jean fourré, le col offert
Aux marnes des fossés printaniers
Les paupières fermées balayées du jaune filament
Et la torche guettant le moindre geste à menotter
Au pays de la liberté
Les fils de fer barbelés de chaque cotés
Les attroupements bovins dont le charme agressif
Je le vengerai dans mon assiette

Quel accueil voyageur
Si mes mains prodigues se voulaient
Exercer
Aucun doute au pays de la foi
Je serai essoré
Cela serait versé comme pièce à mon dossier ..
.... ..
Les taudis solaires des villes abandonnées
Restent propriété des crises
Et l’hystérie est garantie
Par un mustang hurlant
Récalcitrant j’autorise à mes yeux un dernier souvenir
A l’ombre des chardons et des trèfles de plus en plus violents. ..
.... ..
Souillé de gas-oil mon sac s’exaspère
Deux jours sans repos
Mais le fromage pimenté fondant
Accompagné de Budweiser près de la voie ferrée

Echangés les couteaux aux crosses de bakélite
Crépusculaires, japonaises enfouies et la mémoire réconciliée. ..
.... ..
Okies hoboes OK gypsies les cadeaux
Volontiers, égarés au futur.
Les rails croisent une résignée volonté.
Et si l’on fumait près d’un musée militaire.
Atterrée la serveuse de la ville désolée
De sentir qu’il est possible de sortir d’un cimetière
Mais elle n’osera pas aller plus loin que chez le bijoutier
Pour y enfouir presque tout son salaire. ..
.... ..
Blafarde balafre dans la nuit meurtrière
C’est les indiens qui m’ont sauvé
Pas la cavalerie qui n’aime les vestes de jean au col noirci de marne et de fumée. Cherokee. ..
.... ....yopito-syho..

Fabrice Brunet a dit…

Pas une super expérience^^

L'itinérante a dit…

J'ai été traumatisée par Midnight express alors j'ai un regard certainement faussé. Puisque tu ajoutes de l'eau à mon moulin, je n'ai décidément pas envie d'y aller...

GIBBON a dit…

Je suppose qu'il y a du second degré dans ton récit... Certains passages pourraient sembler "indélicats" ...

Cachou a dit…

Alors bon, permets-moi de te dire que tu es charmant mais plein de subjectivité. Car enfin, je vois bien que ce sont les taksi qui t'ont énervés, et que cela a suffi à te rendre négatif sur tout. Indéfectiblement négatif ... Aucune rencontre,aussi belle et désintéressée soit-elle, n'a pu te faire oublier cet affront !! Décidément, un seul X vous manque et tout est dépeuplé.
Par contre, pourquoi tu as écrit à chaque fois "prostituÉ" ? Du coup, j'ai craint pour toi ... comment dirais-je ... une "autre" chute !!!

Stiane a dit…

Idem comme L'itinérante... je n'ai pas du tout envie de me déplacer vers ce pays. Mais je prends plaisir à lire ce récit de voyage !

boudune a dit…

J'ai été là-bas à trois reprises, il ya plus de dix ans, il est vrai. Taksi m'avait attendrie, rien de plus normal qu'un mot universel récupéré dans le langue du lieu... Si tu as fait attention, il y a aussi FOTOKOPI, TUVALET (toilettes)... et plein d'autres mots français "turkisés". Istambul est une ville pleine de mystères. Il faut prendre le temps, tu ne 'lavais sans doute pas. Mais je trouve dommage de se faire une idée générale sur un pays par rapport à des détails périphériques. Même si second degré il y a. Bon, j'attends la suite quand même.

Claude Hersant a dit…

Il y avait beaucoup de lieux à découvrir dans cette ville, et peut-être éviter de tomber dans des pièges tellement évidents. Sinon d'accord avec Gibbon ( je l'aurais dit de façon moins nuancée !)

Gévé a dit…

Ah !... Comment peut-on être turc ? Rien n'a changé depuis Montesquieu...

SergentPoivre a dit…

Même ressenti que certain-es concernant cette description négative et générale dont tu accables les stambouliotes. Elle est sans doute due au temps pourri que tu as subi pendant 3 jours qui a noyé ton discernement.
Mais le style d'écriture perdure, alerte, généreux. alors continuons le voyage.

Claude Hersant a dit…

Bien vu le com de Geve! ^_^

Mauron a dit…

Finalement, comme souvent, tu as eu beaucoup de chance le premier soir, sans le savoir, la prostituée au grand cœur est la meilleure rencontre que tu aies faite... Mais je suis un peu d'accord avec les autres, au bout de trois jours, crois-tu qu'il soit raisonnable de généraliser et de dire "les Turcs sont ceci, cela"?...

Bladala a dit…

Hello, je lis avec intérêt les aventures d'un jeune homme français, un peu stéréotype peut-être, qui dans un terrain inconnu s'accroche à ce qu'il connaît, car il aime écrire : " il me paraît fondamental qu'ils apprennent à écrire « taxi » correctement"; il est romantique : "mon séjour ici n'aura rien de romantique"; bon samaritain :"c'est peut-être une bonne samaritaine."; économe :"ça ne ferait pas de mal à mon portefeuille d'économiser une nuit d'hôtel"; prévenant : "Je ne peux pas être trop explicite non plus, par peur de l'insulter"; poli : "alors je décline poliment"; il aime le dépaysement : "c'est dire le dépaysement !", la raison probable de son voyage; émotif :"C'est limite s'ils ne me font pas un peu peur !"; esthète :"aux antipodes des femmes indiennes, plus magnifiques et délicates les unes que les autres"; gourmand : "Je trouve quand même quelque joie grâce aux délicieuses et très sucrées pâtisseries locales.". Amicalement

Patatartiner a dit…

Alors, de mon point de vue, ce voyage a des airs de déception salutaire, puisqu'il t'a préparé un émerveillement à la hauteur de ta désillusion !
Je reviendrai pour le lire ^^

Satya Santini a dit…

Et bien j'espère qu'il n'y a pas de turcs parmi nous! looooooool

Claude Curutchet a dit…

Dépaysement garanti ! Clichés sur Istambul dégommés ! Toujours autant de plaisir à te lire. Merci Shaomi

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