Premier
voyage en Inde, février-mars 2001.
Décembre
2000 - janvier 2001 : A
Prelude 2 the India Expérience,
Lyon (France)
(Ce
qui suit est le récit d'un voyage en Inde mais, comme tout récit de
voyage digne de ce nom, c'est également le récit d'un voyage
intérieur. Ainsi, nous espérons que le lecteur nous pardonnera les
nombreuses digressions autobiographiques que comporte ce texte…)
Tout
commence au début du mois de décembre de l'an 2000. Je viens de
fêter mon vingt-quatrième anniversaire. Depuis quelques mois, mon
existence a pris une tournure un tantinet hystérique et j'y ai pris
goût. Mais j'y reviendrai, aussi n'évoquerons-nous ici que le
strict nécessaire, incontournable préambule…
Ma
production artistique, la palette de mes possibles, les champs
d'action de mon collectif d'artistes… Tout ceci s'est
considérablement enrichi. D'un coup. Très vite. Peut-être un peu
trop
vite ! Ma vie sociale également, et cela ne me plaît qu'à
moitié. Je me débats avec un statut local de personnage public qui
me rend la vie impossible. Pour autant, je ne parviens tout à fait à
m'empêcher de jeter de l'huile sur le feu. Mon cœur est hanté par
une jeune fille aux yeux de miel, qui se pose parfois dans mes bras
mais se refuse à s’y installer vraiment. Ma mère, enfin, a
arbitrairement décidé de mourir d’un cancer. Je vis tout cela de
manière effrénée, je me drogue littéralement à l’extrême de
ma propre existence, aux émotions fortes qui me traversent sans
cesse. J'adore ça ! La seconde partie de mes Fragments nocturnes
témoignera ultérieurement de cette frénésie. Je suis un jeune
homme comme les autres, avec une vie ordinaire. Je suis un jeune
homme hors du commun, avec une vie extraordinaire.
Quand
la jeune fille aux yeux de miel n’est pas là, je dors sur le
canapé. Mon grand lit ne m’inspire guère lorsqu'elle ne s’y
trouve. C'est précisément sur ce canapé que se produit le déclic,
tard dans la nuit. Une nuit d'insomnie, comme j'en connais tant. Je
songe soudainement qu’il faut que je trouve quelque chose de
nouveau à faire. Un truc complètement dingue. Un truc que je n’ai
jamais fait auparavant. La démarche peut sembler absurde mais c’est
pourtant exactement de cette manière que cela se produit. Il faut
comprendre que je suis pris dans une spirale, une dépendance à
l'extrême. Je ne peux que pousser un peu plus loin la démesure.
C'est ça ou ne plus me sentir vivre. Comme je m'interroge, la
réponse s’impose d'un coup ! Je vais partir en voyage, deux
mois, quelque part à l’autre bout du monde, quelque part où il y
a un désert. Et je vais me débrouiller pour passer un certain temps
seul au milieu du désert. Je songe à l’Australie.
Au
cours des jours suivants, la vie trouve les moyens qu’il faut pour
le guider où il faut. Ce sera l’Inde, et ce sera très bientôt.
Pourquoi l’Inde ? Pourquoi pas à vrai dire ? Peut-être
parce que la jeune fille aux yeux de miel s’y était déjà rendue
et s’apprête à y retourner. Peut-être aussi parce que mon ami
Ivan en a gardé l’un des souvenirs les plus marquants de son tour
du monde. À cette époque, rien ne m’attire spécialement vers
l'Asie : je suis loin d’imaginer que j'en tomberai amoureux et
que je finirai par m'y installer pour de bon. L'Inde présente aussi
l'avantage d'offrir un environnement culturel tout à fait différent.
Ce point la rend plus attrayante que l'Australie. Lorsque Ivan
m'explique qu'il y a un désert en Inde, l'affaire est entendue.
Le
20 décembre, j'écris ceci : « Je me demande vraiment ce
que je vais y trouver de si important, que ma voix intérieure m’y
pousse si violemment ». Je relis ces mots, dix ans après les
avoir écrits, et je souris parce que maintenant je sais.
Le
3 janvier 2001, ma mère meurt. Je suis à ses côtés au moment
précis où elle part. L’extrême, encore…
À
partir de là, tout va très vite ! Je me fixe un budget
épouvantablement drastique, bien inférieur à ce que je peux me
permettre. Marre d’être fils de riches ! J'ai envie de me
mettre un peu à l'épreuve. Pour ne pas tricher, je laisserai à
Lyon ma carte visa. Le budget drastique comprenant le prix du billet
d'avion, je panique lorsque l'agence de voyage m'annonce le prix des
vols pour l'Inde. On me suggère, en lieu et place, de prendre un
aller-retour – bien moins coûteux – pour le Pakistan voisin. La
prestation étant fournie par Turkish Airlines, elle implique deux
longues haltes à Istanbul. Je me laisse porter par ce vent étrange.
Le
23 janvier 2001, je consigne le fait que la phrase « tout est
son contraire » m'obsède depuis plusieurs jours. Quelques
heures plus tard, je tombe sur une citation de Saint-Augustin à
propos « du genre d’antithèse qui confère sa beauté à un
poème ». Dans la foulée, je prends note de ceci : « Ce
voyage, pendant lequel il va me falloir être attentif au monde qui
m’entoure, tout en regardant à l’intérieur de moi ».
Quelques
jours avant mon départ, je colle sur les murs de Lyon cent
exemplaires de ma Confession publique,
gifle assumée à mes détracteurs. Je filerai en douce avant qu’ils
n’aient le temps de réagir.
1er
février 2001. Saut
dans le grand vide. Je me réveille contrarié par un rêve idiot et
il faut bien avouer que je flippe un peu. Je peux bien me le
permettre, ceci dit. Je m’apprête à me jeter dans un inconnu plus
inconnu que tous les inconnus qui l’ont précédé. Tout le monde
m’a répété durant des semaines d’être prudent, de faire
attention. Quand on ne m’a pas carrément dit que je commettais une
folie dont je pourrais bien ne pas revenir vivant. Je n’ai que
vingt-quatre ans. On pense que je me prends pour Dieu sait quoi, mais
je sais bien que je suis encore un peu un enfant. La veille, au
téléphone, mon père qui n’a jamais voyagé m'annonce que « Ça
va être beaucoup moins facile que tu ne l’imagines ». Sauf
que je n’imagine pas que ça sera facile… D’ailleurs, je
n’imagine rien du tout. Je sais juste que je n’ai pas le choix. Je l'ignore encore mais à mon retour, je lui
dirai simplement : « Ça a été beaucoup plus facile que
je ne l’imaginais ».
Hier,
je me suis rasé le crâne à blanc, j'ai organisé chez moi une
farewell
party, je
me suis couché tard et un peu ivre. Pourtant, je n'ai jamais été
aussi réveillé que ce matin. Je bois mon café en écoutant un
quelconque CD, lorsqu’une intuition violente me monte à la tête.
Je dois
mettre la radio, là-tout-de-suite-maintenant ! La radio, je ne
l’écoute jamais, absolument jamais, mais le poste est resté réglé
sur Couleur
3.
Souvenir d’une époque déjà révolue, quand la station helvétique
diffusait l’avant-garde des musiques électroniques. Une chanson,
deux chansons, lorsque soudain une voix féminine se fait entendre.
Son monologue est au départ incompréhensible. Elle évoque des
odeurs, des sons, des couleurs, des images nouvelles et
tourbillonnantes, une expérience sensorielle enivrante… Au bout de
deux ou trois minutes, elle s’explique enfin. Elle est en voyage,
dans un pays inconnu ! Ce qu’elle décrit est exactement ce
que je connaîtrai bientôt, mais ça je ne peux pas encore le
savoir. Ce que je sais, c’est qu’une intuition m’a poussé à
allumer la radio exactement à
ce moment-là,
pour que j’entende exactement ce
discours-là.
C’est à peu près comme si Shiva en personne était apparu dans
mon salon pour me parler : « Ne
t’inquiète pas. Tout va bien se passer ! ».
Je fonds en larmes, évidemment… Mon amie Céline R. débarque et
je lui pleure dans les bras en racontant ce qui vient d'arriver.
Comme toujours, elle sourit. C’est une petite fleur et une petite
sœur, son sourire ne cessera jamais de me réchauffer le cœur.
D’autres amis la rejoignent bientôt. Comité d’adieu. On
m’encourage et on me souhaite bonne chance, puis on me conduit à
l'aéroport.
L'aventure
commence !
Prochaine
expérience : The Istanbul Experience.
24 commentaires:
(Pour moi, ce sont justement tes digressions personnelles qui sont passionnantes!) Ces débuts sont très, très excitants, je deviens déjà acco!
je fais partie des amis qui y croyaient...bises, merci...
C'est sûr que ça donne envie de connaître la suite, en plus c'est fort bien écrit, juste ce qu'il faut de pudeur, sobriété dans l'élégance. Ma seule question serait : Pourquoi l'écrire à la troisième personne et non à la première ?
Merci pour le partage ! Ton blog à l'air assez bien rempli ! Je vais lire tout ça de ce pas :D
Merci pour ce voyage en votre compagnie. Quel pouvoir merveilleux ont les mots. J'attends de vous lire encore !
Ok j'embarque. Curieuse de savoir la suite. Cela me fait penser à un mien frère.
Cela me rappelle mes "jeunes années" et mes voyages en Amérique du sud, puis en Chine. Merci de ces préliminaires au départ. Nous voici en salle d'embarquement, on attend la suite... Je ne sais pas si j'aime les voyages tant que ça finalement, l'âge venant, le grand voyage dans le temps de la vie me suffit amplement... Même s'il m'arrive encore de quitter "l'Europe aux anciens parapets"... Quoi qu'il en soit, chaque fois que je suis arrivé quelque part, je me suis toujours senti chez moi, et toujours eu envie de m'y installer. 4 ans en Guadeloupe, puis 4 ans en Chine...
Embarquée à la première lecture.....un billet pour la curiosité!
Une première étape qui donne l'envie de continuer, de rêver au fil des phrases... Je prends un billet itou !
L'écriture est alerte et nous embarque dans ce voyage. Non seulement je pardonne les "digressions autobiographiques" mais ce sont elles qui font pour le moment tout le sujet, voyage intérieur semé de désirs puissants et un peu chaotiques, et d'un élan irrésistible. Je retrouve aussi quelque choses des départs vécus au même âge. A suivre...
j'embarque avec toi sur Shaomi Airlines :-)
Moi qui n'ai pas été plus loin qu'au Portugal, je te suis jusqu'au bout de l' Inde !
Est-ce que le plateau repas est bio ? ;) J'ai peur dans l'avion, je vous suis en train + bipédie ;) C'est plein, mais ça respire.
J'ai oublié de parler de ce qui m'avait particulièrement interpellée, cette "dépendance à l'extrême". Je trouve que l'idée bien qu'apparemment simple est frappante et originale car elle dépasse une catégorie attendue (sport extrême, prise de stupéfiants...) mais on sent bien que l'on est pourtant face à quelqu'un qui le vit comme une addiction.
Contrairement à mes petits camarades, je ne vais pas partir avec toi car je n'aime pas particulièrement les voyages et déteste l'aventure. Donc je vais savourer dans mes charentaises la suite de ton épopée, un bon cigare et un Cointreau à portée de main. Le début est savoureux et j'aime justement les à coté du voyage qui le rend vivant. C'est un vrai plaisir d'imaginer un voyage bien décrit qui laisse à l'imagination le soin de faire apparaitre des mondes inconnus. L'imagination est le sens le plus fort que je connaisse.
Alors en route pour le Ramayana ! ... En espérant que tu ne sois pas obligé de passer par le"midnight express"...
C'est palpitant ce prélude au voyage. La suite! Vite ! Sinon un plan pépère avec Coltrane en background ? Moi, ça me va. Kado ! https://www.youtube.com/watch?v=59GGbOWMiYc
Reste-t-il encore quelques place dans l'avion même si je suis en retard en salle d'embarquement. J'irai même en soute pour suivre des pérégrinations orientales. Pourtant je ne suis ni grand voyageur, ni très disposé à l'égard des avions (ça m'est arrivé malgré tout de l'utiliser). Mais ton écriture et l'introduction au sujet m'invitent à te suivre.
Hello Shaomi, j'arrive (comme d'hab !) bien après le décollage...
Mais étrangement, j'ai embarqué quand même pour ton voyage loin du quotidien. Sans doute parce que ton avion a les dimensions de l'humanité ^^
Bravo d'en livrer autant sur toi, et de nous délivrer de notre occident pour quelques temps en ta compagnie ^^
J'ai lu le prélude, et il a comme un grand écho, au démarrage de mon aventure, de mon histoire.
Hâte de lire la suite ...
"Ma mère, enfin, a arbitrairement décidé de mourir d’un cancer." ... "Le 3 janvier 2001, ma mère meurt."
Cette mort vient un peu brusquement à mon goût, à peine mentionnée, presque comme mort subite, alors qu'un cancer, on ne choisit pas d'en mourir ! J'ai moi-même vécu la mort de mon grand-père comme une transition dans ma vie. Sa mort m'était comme annoncée dans mon intuition. Il a été renversé par un véhicule, le jour de mon arrivée pour l'été en Corée, il venait de m'accueillir tout joyeux de revoir sa petite-fille, il est sorti et nous sommes sortis sans lui, invités mes parents et moi à déjeuner chez l'oncle. Ce sera mon dernier été en Corée avec mes parents. Après commence ma vie d'adulte... Cette période je me souviens que mon intuition me guidait comme pour toi. Je sentais une force en moi, peut-être était-ce mon grand-père que j'aimais beaucoup qui me guidait aussi. Amicalement.
Que c'est beau ! Tu n'es pas quelqu'un d'ordinaire ... Je renifle, élégamment bien sûr.
doué le jeune Shaomi, très doué ! Je veux le livre !
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