Je suis toujours très étonné, en tant que végétarien, de la violence de la réaction de certains omnivores face à un mode de vie certes affiché, mais jamais de façon militante. Régulièrement, des gens à qui je ne demande rien tentent de me démontrer l'absurdité de mes habitudes alimentaires. Les arguments rivalisent alors de mauvaise foi, avec en tête de file cette phrase qui revient sans cesse : « c'est pas naturel ».
Ainsi donc le végétarisme serait « mal » parce que l'homme est naturellement omnivore et qu'il serait « néfaste » de s'éloigner de notre comportement « animal ». Lorsque l'on sait les dégâts causés à l'environnement par l'industrie agroalimentaire, sans parler du fait que cet argument provient de gens qui vivent en ville, portent des vêtements, se chauffent en hiver, conduisent des voitures, utilisent des contraceptifs et ont toutes sortes de comportements qui n'ont pas grand chose de « naturels », j'ai déjà du mal à être réceptif.
Mais cette argument ouvre surtout la porte d'un raisonnement qui, vous le verrez, est une véritable boite de Pandore !
Manger de la viande pour obéir à ses instincts, pourquoi pas ? Mais où s'arrête-t-on ? Parce que, si l'on creuse un peu, on se rend compte que le meurtre et le viol sont également des comportements naturels de l'homo sapiens sapiens en tant qu'espèce. Leur pénalisation serait donc tout aussi anti-naturelle que le végétarisme, et devrait de fait être remise en cause.
Je vous vois déjà pousser des cris et vous dire intérieurement que je raconte n'importe quoi, et pourtant si vous regardez l'espèce humaine du point de vue d'un zoologiste : c'est vrai !
Il existe très peu d'espèces dont les individus tuent les membres de leur propre espèce, mais il en existe (je pense entre autre aux coqs ou à certaines araignées) et l'homme en fait partie. Sans le cadre de la loi, sans le poids de la morale et de l'éducation, sans la peur de la sanction, l'homme peut très facilement céder à ses pulsions meurtrières et l'Histoire comme l'actualité nous montrent chaque jour qu'il ne s'en prive pas, malgré la loi, la morale, l'éducation et les sanctions. Ces choses n'existent pas chez les loups, leur nature leur dicte de ne pas s'entretuer. L'homme, lui, tue l'homme pour un oui ou pour un non (et plus souvent pour satisfaire à une pulsion que pour des raisons idéologiques). Se laisser aller à certains comportements sous prétexte qu'ils sont naturels devrait donc nous conduire à la légalisation du meurtre, que l'on considèrerait alors comme un débordement fâcheux mais acceptable.
Il en va de même du viol : l'acte sexuel imposé par la force existe également chez certaines espèces animales (les guépards, par exemple). Là encore l'Histoire et l'actualité nous montrent que le mâle humain a une propension non négligeable à ce comportement et que le moindre prétexte (de la guerre aux effets de l'alcool en passant par l'espoir de ne pas être pris) est bon à prendre pour abuser sexuellement d'une femme. Donc la soumission de l'être humain à sa nature devrait nous conduire à une légalisation immédiate du viol !
Alors il va de soi que la plupart des êtres humains admettent l'idée que certaines pulsions doivent être réfrénées pour le bien commun, que les comportements énoncés plus hauts sont inacceptables et doivent être combattus. Mais alors on se rend compte que l'argument « ce n'est pas naturel » ne tient pas : tout n'est qu'affaire de choix éthiques. La plupart des individus et des civilisations estiment que la morale nous dicte de ne pas nous entre-tuer, de ne pas abuser sexuellement de nos prochains (ce dernier point étant déjà beaucoup plus flou dans nombre de sociétés, à commencer par la nôtre), mais que la torture et le meurtre de membres d'autres espèces à des fins alimentaires (voire récréatives) est un comportement parfaitement acceptable. C'est un choix moral qui consiste à faire preuve de compassion dans un cas, et à s'en montrer incapable dans l'autre. Je m'interroge d'ailleurs sur le bien fondé de notre compassion dans le cas numéro un : est-ce réellement de la compassion ou simplement le choix d'interdire quelque chose qui pourrait nous arriver à tous (alors que l'on a assez peu de chance d'être mangé par un autre être humain) ?
Cela peut être sujet à discussion, mais la morale et la compassion ne sont - a priori - pas des comportements naturels. Ce sont des comportements induits par des valeurs acquises et un consensus social. Pour ne citer qu'un exemple (mais il y en aurait bien d'autres), l'esclavage des Noirs n'émouvait pas grand monde à une certaine époque. Les Noirs étaient des animaux, ou du moins des sous-hommes, et par conséquent ils n'avaient aucun droit et leur vie n'avait aucune valeur. Des millions de gens de par le monde trouvaient cela parfaitement normal... et naturel.
Alors si vous voulez bouffer de la viande, bouffez de la viande. Testez éventuellement votre compassion et vos choix moraux en regardant des vidéos d'abattoirs (Youtube en regorge) ou en égorgeant vous même un lapin mais si après avoir fait l'un ou l'autre vous considérez toujours que manger les autres est votre droit, ou que votre plaisir à le faire vaut plus que la souffrance de ceux qui sont mangés, alors ma foi faites-le.
Mais ne venez pas m'emmerder avec mon végétarisme, parce qu'il ne s'agit pas de « nature » mais d'éthique. L'éthique des Talibans leur dicte que lapider une femme est naturel. Votre éthique vous dicte que manger de la viande est naturel. Mon éthique me dicte que ne pas en manger est aussi naturel que ne pas égorger mes voisins (et pourtant Dieu sait qu'ils m'emmerdent) !
De ces trois éthiques, laquelle est la plus juste ? Ce n'est qu'une affaire de points de vue et la « nature » s'en contrefiche.
Mais s'il advient que l'Histoire avance dans le sens du progrès moral et de l'égalité des droits, il est vraisemblable que nos lointains descendants seront végétariens. Leur regard sur l'homme du XXIème siècle sera alors aussi sévère que notre regard sur les esclavagistes du XVIème siècle.