Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002
Expérience
précédente : The Yangshuo Experience (Pt. 2).
18
novembre 2002 – 24 novembre 2002 : The
Yangshuo Experience,
Yuangshuo (Guangxi)
Cinquième
jour. Au matin, je n'y tiens plus. Je téléphone à ma princesse. Je
dois savoir de quoi il retourne. Elle décroche et me réponds d'une
voix glaciale, très mal à l'aise. Cette froideur, Seigneur !
Il y a des filles qui, lorsqu'elles vous annoncent qu'elles vous
quittent, essaient au moins d'être bienveillantes, de prendre des
gants pour vous blesser le moins possible. Qui vous signifient au
moins que vous avez compté et qu'elles se font quand même un peu de
souci pour vous. Là, rien. Elle est brièvement estomaquée lorsque
je lui parle du rêve parce que oui, elle m'a bel et bien quitté
pour un autre. Je ne suis donc pas fou à lier. Elle se reprend vite,
m'assène qu'elle n'est absolument plus amoureuse de moi et très
amoureuse de l'autre, qu'elle l'a en effet rencontré très
récemment, que sa décision est définitive et irréversible, que je
dois l'accepter et que ça n'est pas
si grave en fait.
Sa voix est cassante, limite méprisante ! Je crois halluciner,
ou peut-être parler à une autre femme. Mais non, c'est bien elle.
Je ne sais plus trop ce que je lui dis, ce qu'elle me dit, mais nous
parlons une heure durant (ce qui entame dangereusement mes dernières
économies). Je sais simplement qu'à un moment je lui dis d'un ton
très assuré : « Non. Tu ne peux pas faire ça. Tu es en
plein délire parce que c'est moi
que tu aimes. Je vais rentrer, nous allons discuter et tu vas le
quitter. Je suis l'homme de ta vie, tu es la femme de ma vie, tu
m'aimes encore, et nous n'avons pas le choix ». Ce n'est pas
l'ordre d'un homme possessif : c'est un constat
que je fais de l'avenir, une évidence. Elle m'affirme que je suis en
plein délire et comme j'insiste, elle campe d'autant plus fermement
sur ses positions. Pourtant, je décèle un tremblement dans sa voix.
Elle n'est peut-être pas si indifférente qu'elle veut me le laisser
croire. Elle se protège. Peut-être. Et elle ose me dire qu'elle est
désolée. Ils sont tous désolés, tout le temps. Si elle était
vraiment désolée, elle aurait pris sur elle et elle ne l'aurait pas
fait.
Résultat des courses : je suis complètement dévasté pour
le reste de la journée. Il ne reste rien de la détermination à la
récupérer dont j'ai fait preuve au téléphone. Je l'ai perdue,
elle m'a filé entre les doigts, définitivement. La douleur se fait
implacable. Mon esprit retourne le problème dans tous les sens, je
me torture des heures durant. Je voudrais ne pas savoir. Je voudrais
que cela ne soit pas. Je voudrais crever. N'importe quoi pourvu que
la douleur cesse. Je rêve de m'exiler à jamais dans le désert du
Thar, ou du moins de tout plaquer et de vivre à Lijiang. Le flûtiste
fou continue de me persécuter. S'il me restait davantage d'argent,
je donnerais cent yuans à ce fils de pute pour qu'il aille jouer
ailleurs !
Je
commence à picoler scandaleusement tôt. J'atterris encore au Happy
Star Café. Fou de dépit, prêt à sombrer dans les pires excès et
déjà passablement ivre, je branche ouvertement Sunny. Elle me remet
gentiment à ma place et je me sens minable de m'être rabaissé au
niveau de ces innombrables Occidentaux qui viennent ici sauter de la
Chinoise naïve et impressionnable. Un groupe d'une dizaine de
touristes débarque, m'absorbe tout naturellement en son sein. Il y a
parmi eux une ambiance bizarre. Ce sont pour la plupart des
trentenaires. Il y a un Black dont j'ai oublié le nom et un
Américain nommé Scott, qui sont vraiment cool. Je leur explique mon
drame, ils tentent comme ils peuvent de me remonter le moral. Scott
me répète, et va même jusqu'à écrire sur mon cahier : « DO
NOT WORRY ABOUT WHAT YOU CAN NOT CONTROL! ». Il a raison :
il n'y a rien à faire, en tout cas pas avant d'être en France,
alors je devrais me détendre, mais j'en suis franchement incapable !
Je leur expose longuement ma théorie sur les Tabukis, mon sentiment
d'être seul au monde, de chercher désespérément mes semblables.
Toute cette histoire de Tabukis pourrait prêter à rire, mais ils
prennent mes propos très au sérieux. Ils savent qu'ils ont affaire
à un homme au bord du gouffre, et se montrent plein de compassion à
mon égard.
La
plupart des autres membres du groupe sont glauques. Sans raison
apparente hormis le fait que la bière coule à flots et que nous
sommes tous ivres morts, deux d'entre eux me prennent en grippe.
D'abord une jeune Chinoise, qui sort avec un des mecs. Elle décrète
que je la trouve irrésistible et ne cesse de venir vers moi en me
disant « Je sais que tu veux me baiser, mais je ne t'aime pas !
Je ne coucherai pas avec toi, je ne coucherai jamais avec toi ! ».
Elle me répète ça inlassablement comme si je lui avais fait la
moindre avance, ce qui n'est pas le cas. Elle est assez jolie à vrai
dire, mais il se dégage d'elle quelque chose de tellement morbide
qu'il ne me serait vraiment pas venu à l'idée de coucher avec elle,
quand bien même elle m'y eut invité ! Bêtement, je rentre
dans son jeu, je lui répète à mon tour qu'elle ne me plaît pas,
que même si elle me suppliait à genoux je ne coucherais pas avec
elle. Elle insiste « Si : tu coucherais avec moi. Je
n'aurais qu'un mot à dire. Mais je ne le ferai jamais, jamais ! ».
Je m'efforce de prendre cette joute verbale comme un jeu mais rien
n'y fait et le ton monte. Le Black me pose la main sur l'épaule et
me dit avec une sincère gentillesse : « Tu sais, elle est
un peu conne ce soir, mais c'est notre amie, alors tu devrais arrêter
de rentrer dans son jeu. Parce que si ça continue on va être
obligés de prendre parti, et on sera obligé de prendre parti pour
elle, donc de te demander de partir. » Ce n'est pas une menace,
juste un constat bienveillant. Je suis sec, mais assez lucide pour
comprendre. Je ne réagis plus aux provocations de la fille et elle
passe rapidement à autre chose. Après cela c'est au tour d'un type
d'une cinquantaine d'année de s'en prendre à moi : une espèce
de vieux poivrot, probablement prof d'anglais comme tout le monde à
cette table. Il est vrai que je n'ai guère payé que quelques bières
au départ, mais j'ai expliqué à Scott et au Black qu'il me restait
juste de quoi survivre jusqu'à l'avion et tout le monde était
content. Alors qu'il ne m'a pas dit un mot de la soirée, le vieux
m'invective d'un coup. Il m'accuse de boire leurs bières sans rien
apporter à la soirée en contrepartie, de profiter. Là, je sors de
mes gonds, et le lui crie dessus de ne pas me faire la morale. Le
vieux, voyant qu'il a dépassé les bornes, n'insiste pas. Là-dessus,
Scott me dis gentiment : « Tu n'es pas Tabuki. Tu viens de
hurler sur quelqu'un. » Comme je reste stupéfait, il
continue : « je ne t'accuse de rien. Je sais que tu
essaies
d'être Tabuki, que tu y travailles dur et c'est tout à ton honneur.
Mais tu n'es pas encore Tabuki, parce qu'un Tabuki n'aurait pas crié
sur ce type, peu importe la provocation ». Je ne peux que
m'incliner, lui dire qu'il a raison et le remercier de me l'avoir
fait remarquer. J'ai beau avoir atteint les bas-fonds du pathétique,
je suis encore capable de faire preuve d'honnêteté intellectuelle.
Peu après, le bar ferme et tout le monde s'en va. Scott me fourre un
billet de cent yuan dans les mains (environ quinze euros). Comme je
proteste il me dit : « Écoute, tu n'as presque plus
d'argent et tu t'es ruiné pour téléphoner à ta copine, alors
prends ça. Moi je gagne bien ma vie avec mon boulot de prof, j'en
n'ai pas besoin de ces cent yuans. Toi tu en auras peut-être besoin
alors prends-les sans discuter. » Face à tant d'autorité, je
m'incline et dis adieu à Scott le sage. Ses cent yuans me seront
utiles, comme nous le verrons.
Je
me réfugie dans une ruelle isolée. À
l'abri des regards, je reste longtemps là à pleurer. J'atterris
dans mon lit à six heures du matin et mets longtemps à m'endormir.
C'est insupportable d'être dans ce dortoir sombre, entouré de
dormeurs, sans pouvoir ni lire ni écrire ni rien faire d'autre
qu'attendre le sommeil. Lorsque je parviens enfin à sombrer dans les
bras de Morphée, certains déjà se lèvent. Je dors une heure,
peut-être deux.
Sixième
et dernier jour. Mon réveil est épouvantable et la journée qui
suit tout autant. Je traîne ma nausée et ma douleur, j’erre en
ville comme un damné. Je n'ai jamais eu aussi mal. Je suis une plaie
béante. Je n'imaginais pas, à vrai dire, qu'il fut possible de
souffrir à ce point. La rouquine, la jeune fille aux yeux de miel :
tout ça était de la pacotille en comparaison.
En
parlant de la jeune fille aux yeux de miel, je note qu'à chaque fois
que je pars en voyage il faut qu'une meuf vienne me casser mon plane
au moment où tout va bien !
Je
téléphone à Iris. Je lui dis que je ne vais pas très bien et que
je lui expliquerai, lui demande si je peux débarquer le lendemain.
Dieu soit loué, elle s'en réjouit et me dis que je suis le
bienvenu.
Je
me demande que faire des cent yuans de Scott et conçois l'idée
d'acheter quelque chose à ma princesse. Un cadeau d'adieu. Un cadeau
de reconquête peut-être. Je flashe sur deux petites statuettes :
un dragon et un phénix, en pierre blanche. La vendeuse m'explique
que l'union de ces deux créatures mythiques symbolise celle de
l'homme et de la femme dans ce qu'elle a de plus pur. Ça tombe
bien ! J'offrirai les deux à ma princesse.
Je
vais aussi dire au revoir à Sunny, et surtout m'excuser d'avoir été
lourd la veille. Elle me dit que ce n'est pas grave et me donne son
email, mais elle ne répondra jamais au message que je lui enverrai
plus tard.
En
milieu de soirée, un bus m'arrache à Yangshuo. Je ne me sens pas un
poil mieux, mais je suis soulagé de quitter cet endroit où j'ai
traversé l'enfer.
Le
trajet dure toute la nuit et malgré ma couchette, je ne parviens pas
à fermer l'œil. Je m'occupe en écoutant les cassettes de Da
Boostemp, que je connais par cœur. Les douze heures de voyage sont
un véritable enfer. Je suis en plein délire : j'ai des sortes
de flashes relatifs à ma princesse indienne. Des images de vies
antérieures. Des images de nous deux autrefois. Des images de
l'avenir, de nous deux dans l'avenir. Je ne
sais si je suis en train de de devenir medium ou fou. Je commence,
toutefois, à entrevoir une lueur d'espoir. Et cette lueur d'espoir,
c'est mon intelligence. Je me mets alors, pas à pas, à élaborer un
plan.
Ah
oui, j'oubliais ! Ce trou du cul, avec lequel mon Indienne s'est
tirée. Je l'apprendrai à mon retour : c'est un musicien. Un
flûtiste !
Prochaine
expérience : The Longest Way Home Experience.
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