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septembre 2002 : The
Out-of-time Experience,
de Hohot à Erenhot (Mongolie Intérieure).
Après
deux jours solitaires, j’embarque pour Erenhot, à la frontière,
d’où je pourrai rejoindre la Mongolie. Ce train-ci ressemble bel
et bien aux trains indiens : vieux, sale, inconfortable,
charmant… Le trajet dure dix heures, le convoi s’arrêtant dans
chaque petit bled que nous traversons (et Dieu sait qu’il y en
a !). Un panneau très visible indique en chinois et en anglais
qu’il est « interdit de fumer, de cracher et de jeter des
détritus au sol ». Dix heures durant, le wagon tout entier ne
cessera un seul instant de fumer, de cracher et de jeter des détritus
au sol.
Mes
compagnons de voyage sont toujours aussi chaleureux. Certains
s’obstinent, avec enthousiasme, à m’expliquer tout un tas de
choses en dépit du fait que je ne comprends pas un traître mot de
ce qu’ils me racontent. Ils sont aussi fort amusés par mon crâne
rasé, la pilosité de mes bras, mon acharnement à prendre
d’interminables notes sur mon cahier. Je m’amuse de les voir
amusés et me voir ainsi amusé les amuse encore davantage :
sans posséder un seul mot en commun, nous créons petit à petit un
échange, une complicité, la joie simple de partager ce moment pour
ce qu’il est… Je me décide pourtant à dégainer mon phrasebook
anglais-chinois, car le jeune Meng Niu semble particulièrement
désireux de communiquer moins superficiellement. Lui possède un
anglais très rudimentaire et oralement incompréhensible, aussi
communiquons-nous par écrit, sur mon cahier. Il trouve les mots
anglais qui lui manquent dans le phrasebook
et écrit ses questions, auxquelles je réponds également par écrit,
le tout complété par un langage des signes improvisé. Après un
long moment à converser de la sorte, Meng Niu descend du train. Le
wagon se vide progressivement, au fil des heures et des villages.
Les
deux dernières heures de ce voyage sont d'une étrangeté
savoureuse, hors de l'espace et du temps. Je ne suis plus entouré
que d’une quinzaine de passagers, qui se sont habitués à ma
présence et ne me prêtent plus grande attention. Les petits hauts
parleurs distillent de délicieuses mélodies orientales kitsch et
tendres. Au dehors, la steppe a cédé au désert de Gobi. La
poussière de la plaine s’infiltre finalement dans le wagon, de
sorte que nous nous retrouvons au milieu d’un nuage ocre qui donne
à la scène un aspect irréel. Dehors, l’immensité est magnifique
et pourtant, il y a dans ces plaines quelque chose de vraiment
désolé. Je n’avais pas ressenti cela dans le chaud désert du
Thar, en Inde. Le Gobi semble hanté par une présence inquiétante
et ancienne. Sont-ce les spectres de ces dinosaures dont les
carcasses, paraît-il, sont ici abondantes ?
La
quinzaine de passagers est détendue : d'aucuns jouent aux
cartes, d’autres papotent. Une mère s’amuse des « meyyou »
répétés de son fils (la phase du « non » n’est donc
pas l’apanage des petits Occidentaux). L'enfant est magnifique, les
traits lisses et réguliers, le regard malicieux… Je songe que si
un jour nous devions en avoir un avec ma princesse indienne, je
voudrais qu’il lui ressemble… Durant quelques minutes, il y a
quelque chose de magique dans l’air : le temps s’est figé
dans le wagon plein de poussière. Il semble que tout le monde
expérimente ensemble un instant de sérénité absolue. La mère et
son petit, les joueurs de cartes, ceux qui observent en silence
l’immortel Gobi : chacun goûte à la magie du sable qui
caresse les peaux, chatouille les narines, danse autour des voyageurs
sur les notes malicieuses d’une chanson populaire enfantine et
gaie.
Je
note finalement tout cela sur mon cahier et, pour une fois, personne
ne vient lire par-dessus mon épaule. Je crois que mes compagnons de
voyages sont, en cet instant précis, respectueux de ma découverte.
Tel un charmeur de serpent, le Grand Gobi m’a délivré du poids de
mes pensées. Il me semble même surprendre quelques regards
attendris, posés sur moi : l’étreinte du Gobi, eux la
connaissent depuis toujours, ils savent son pouvoir sur l’âme
humaine.
Prochaine
expérience : The Erlian Experience.
3 commentaires:
J'aime bien ton blog, j'ai pas tout lu seulement le récit sur la chine
et la nouvelle qui suit puis je me suis baladé dans tes textes, photos
mais je reviendrai.
Je me répète : que c'est bien écrit ! Tellement vivant, avec l'impression d'être du voyage. Merci Shaomi
les moments de sérénité absolue sont si rares.... ;)
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