23 mars 2015

The China Experience - 4/ The Out-of-time Experience

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002.

Décollage ici.
Expérience précédente : The Hohot Experience.


10 septembre 2002 : The Out-of-time Experience, de Hohot à Erenhot (Mongolie Intérieure).

Après deux jours solitaires, j’embarque pour Erenhot, à la frontière, d’où je pourrai rejoindre la Mongolie. Ce train-ci ressemble bel et bien aux trains indiens : vieux, sale, inconfortable, charmant… Le trajet dure dix heures, le convoi s’arrêtant dans chaque petit bled que nous traversons (et Dieu sait qu’il y en a !). Un panneau très visible indique en chinois et en anglais qu’il est « interdit de fumer, de cracher et de jeter des détritus au sol ». Dix heures durant, le wagon tout entier ne cessera un seul instant de fumer, de cracher et de jeter des détritus au sol.

Mes compagnons de voyage sont toujours aussi chaleureux. Certains s’obstinent, avec enthousiasme, à m’expliquer tout un tas de choses en dépit du fait que je ne comprends pas un traître mot de ce qu’ils me racontent. Ils sont aussi fort amusés par mon crâne rasé, la pilosité de mes bras, mon acharnement à prendre d’interminables notes sur mon cahier. Je m’amuse de les voir amusés et me voir ainsi amusé les amuse encore davantage : sans posséder un seul mot en commun, nous créons petit à petit un échange, une complicité, la joie simple de partager ce moment pour ce qu’il est… Je me décide pourtant à dégainer mon phrasebook anglais-chinois, car le jeune Meng Niu semble particulièrement désireux de communiquer moins superficiellement. Lui possède un anglais très rudimentaire et oralement incompréhensible, aussi communiquons-nous par écrit, sur mon cahier. Il trouve les mots anglais qui lui manquent dans le phrasebook et écrit ses questions, auxquelles je réponds également par écrit, le tout complété par un langage des signes improvisé. Après un long moment à converser de la sorte, Meng Niu descend du train. Le wagon se vide progressivement, au fil des heures et des villages.

Les deux dernières heures de ce voyage sont d'une étrangeté savoureuse, hors de l'espace et du temps. Je ne suis plus entouré que d’une quinzaine de passagers, qui se sont habitués à ma présence et ne me prêtent plus grande attention. Les petits hauts parleurs distillent de délicieuses mélodies orientales kitsch et tendres. Au dehors, la steppe a cédé au désert de Gobi. La poussière de la plaine s’infiltre finalement dans le wagon, de sorte que nous nous retrouvons au milieu d’un nuage ocre qui donne à la scène un aspect irréel. Dehors, l’immensité est magnifique et pourtant, il y a dans ces plaines quelque chose de vraiment désolé. Je n’avais pas ressenti cela dans le chaud désert du Thar, en Inde. Le Gobi semble hanté par une présence inquiétante et ancienne. Sont-ce les spectres de ces dinosaures dont les carcasses, paraît-il, sont ici abondantes ?

La quinzaine de passagers est détendue : d'aucuns jouent aux cartes, d’autres papotent. Une mère s’amuse des « meyyou » répétés de son fils (la phase du « non » n’est donc pas l’apanage des petits Occidentaux). L'enfant est magnifique, les traits lisses et réguliers, le regard malicieux… Je songe que si un jour nous devions en avoir un avec ma princesse indienne, je voudrais qu’il lui ressemble… Durant quelques minutes, il y a quelque chose de magique dans l’air : le temps s’est figé dans le wagon plein de poussière. Il semble que tout le monde expérimente ensemble un instant de sérénité absolue. La mère et son petit, les joueurs de cartes, ceux qui observent en silence l’immortel Gobi : chacun goûte à la magie du sable qui caresse les peaux, chatouille les narines, danse autour des voyageurs sur les notes malicieuses d’une chanson populaire enfantine et gaie.

Je note finalement tout cela sur mon cahier et, pour une fois, personne ne vient lire par-dessus mon épaule. Je crois que mes compagnons de voyages sont, en cet instant précis, respectueux de ma découverte. Tel un charmeur de serpent, le Grand Gobi m’a délivré du poids de mes pensées. Il me semble même surprendre quelques regards attendris, posés sur moi : l’étreinte du Gobi, eux la connaissent depuis toujours, ils savent son pouvoir sur l’âme humaine.


Prochaine expérience : The Erlian Experience.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime bien ton blog, j'ai pas tout lu seulement le récit sur la chine
et la nouvelle qui suit puis je me suis baladé dans tes textes, photos
mais je reviendrai.

Claude Curutchet a dit…

Je me répète : que c'est bien écrit ! Tellement vivant, avec l'impression d'être du voyage. Merci Shaomi

Mandy Rukwa a dit…

les moments de sérénité absolue sont si rares.... ;)

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