24 mars 2012

Nicolas Fargues

Petit retour sur One man show et Beau rôle, deux romans de l'écrivain Nicolas Fargues que j'ai beaucoup aimés. Il y a de la finesse dans ces deux livres, une finesse d'analyse à propos de la fausseté, des compromis, de la manière dont un être humain se met en scène. C'est très bien écrit (on serait tenté de dire que c'est la moindre des choses pour un auteur publié mais ça n'est pas toujours si évident que ça) et c'est surtout radical : Fargues tape là où ça fait mal.

One man show et Beau rôle ont en commun d'être racontés à la première personne par leurs protagonistes. L'un est écrivain, l'autre est acteur. Tous deux sont en proie aux vicissitudes d'un succès modeste, mais suffisamment important pour affecter leur quotidien. Tous deux sont empêtrés dans un réajustement constant du « personnage » qu'ils s'efforcent de composer. Tous deux sont sans cesse pris en otage entre, d'un côté, l'envie et l'admiration des « anonymes » et, de l'autre, le mépris condescendant de ceux qui sont plus célèbres qu'eux.

Les deux personnages sont des monstres d'hypocrisie, des calculateurs qui dissimulent leurs insécurités derrière des manœuvres incessantes, toutes destinées à susciter l'approbation des gens qu'ils rencontrent. Quoi qu'il arrive, quoi qu'ils disent ou fassent, il faut qu'on les approuve. Ce qui les différencie d'autres créatures littéraires « superficielles », par exemple des héros hallucinés de Bret Easton Ellis, c'est qu'ils font preuve d'une lucidité totale, d'une honnêteté absolue envers le lecteur-confesseur. Ils mentent à tout le monde, mais à nous, ils disent tout. Ils nous expliquent comment, pourquoi et qui ils embobinent. Ils nous livrent le compte-rendu détaillé de leurs intrigues et de leurs stratégies mesquines. Ils nous confient leurs (innombrables) frustrations. Il en résulte que ces personnages a priori détestables deviennent touchants : ils sont plus pathétiques que méchants. Ils sont surtout désespérés.

Christophe Hostier, le « héros » de One man show, est à ce point embourbé dans sa lâcheté, dans ses manœuvres minables, qu'on finit par se sentir très mal à l'aise. On est embarrassé pour lui, on a honte pour et de lui, on a honte à travers lui. D'une part, ses mensonges nous renvoient aux nôtres, nous rappellent à l'ordre. D'autre part, ses stratégies sont d'une précarité branlante : il risque sans cesse de basculer dans l’abîme sans fond de l'humiliation. Page après page, on a peur de basculer avec lui. Le frisson est autrement plus grand qu'à la lecture d'un roman d'espionnage : on sait qu'au bout du compte James Bond ne meurt jamais, mais les antihéros de Nicolas Fargues, eux, peuvent sombrer à tout moment dans le ridicule.

Et ils y sombrent ! Sans arrêt ! Leurs velléités manipulatrices échouent les unes après les autres ! À chaque naufrage, le lecteur est terrifié, attend que le ciel lui tombe sur la tête et... il ne se passe rien ! Absolument rien. Toute la tension dramatique accumulée tombe à l'eau, parce que les vies de ces hommes sont trop insignifiantes pour que leur destin puisse basculer tout à fait. Leur statu quo existentiel est trop fade pour que rien ne parvienne à le bouleverser vraiment. C'est le grand tour de force de Nicolas Fargues, ces flops dramaturgiques qui, au lieu de nous frustrer, soulignent le propos de l'auteur : la vanité est vaine. Ça n'a l'air de rien mais comme technique littéraire, c'est très fort, cet art du « bide maîtrisé ». Il n'est pas donné à n'importe quel écrivain de planter le lecteur au moment où le suspense est à son comble et, ce faisant, de réussir un pari poétique !

Mis à part ça, c'est truffé de petites remarques cinglantes sur l'ego des artistes, sur la psychologie humaine, sur l'art du dialogue, sur l'âge et le temps qui passe, sur l'immigration, sur ce que l'on pourrait qualifier de médiocrité française. Toutes choses qui font que ces deux romans, comme la plupart des bons romans, remettent tout en cause.

Alors voilà...

8 commentaires:

stiane a dit…

Un livre de lui m'est tombé des mains don t j'ai oublié le titre.On y trouvait nommé l'actuel président. A part ça, c'est un beau gosse avec une voix de fausset qui sait se vendre !

Manoé a dit…

tu as titillé mon imagination avec tes remarques, je croiserai bien volontiers les livres de cet auteur...Jusqu'à quel point accepte-t-on de se remettre en question? that is he question... Merci...bises Sha'

Patatartiner a dit…

Bon, n'ayant lu que ton pitch et n'ayant pas entendu la voix aiguë de son auteur, je pense me laisser tenter par sa lecture ! Nicolas Fargues, faut que je retienne :)

Manoé a dit…

kikou Sha. je viens d elire "j'étais derrière toi" de Nicolas Fargues. je me suis ennuyée...sa façon d'écrire ...je continue sur One man Show. bises toi

Manoé a dit…

toujours pas reçu Rade-Terminus...:-(

Manoé a dit…

je suis dans Rade Terminus...C'est exactement ça, Mada...le regard de Nicolas est acéré comme un scalpel, ça fait mal mais c'est bien observé. merci...

Olympia a dit…

Merci pour le lien !

Lydie a dit…

Merci Shaomi bon dimanche !

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