Premier
voyage en Inde, février-mars 2001.
10
mars 2001 - 12 mars 2001 : The
Jaisalmer Experience,
Jaisalmer (Rajasthan)
Histoire
de la jeune fille aux yeux de miel, suite et fin.
Je
l'ai réinvitée à dîner. Elle est revenue. Nous avons de nouveau
bu du vin, nous avons de nouveau parlé des heures, avec le même
entrain. C'était d'une intensité inhabituelle, déconcertante ! Elle
m'avait fait des confidences, qui m'obligeaient à faire preuve de
prudence. Je n'entrerai pas dans les détails, je me contenterai de dire qu'elle avait de bonnes raisons
d'être brouillée avec sa sexualité, et qu'elle avait besoin de se
guérir de ces bonnes raisons avant d'envisager quoi que ce soit avec
qui que ce soit. Elle n'était pas la première. J'étais devenu, sans le vouloir, une
sorte de spécialiste de ce genre de guérisons. Mon côté féminin,
sans doute. Ça
a basculé vers trois ou quatre heures du matin. Nous parlions
sexualité justement, et j'ai cité cette phrase
idiote, d'une chanson de Prince. Il y est question de mettre les
filles dans tous leurs états, juste en leur léchant les genoux, un
truc
comme ça. J'ajoutai que, n'ayant jamais essayé, je ne savais pas
si ça marchait. Elle m'a sourit d'un air un peu canaille et murmuré,
comme si c'était la chose la plus naturelle du monde : « Et
bien… essaie ! ». Mon cœur s'est mis à taper dans ma
poitrine. « Vraiment ? T'es sûre ? ». « Oui ».
J'ai soulevé sa robe et longuement, très délicatement, presque
avec pudeur,
je lui ai léché le genou droit. Elle m'a laissé poursuivre. Je
suis doucement, très lentement, remonté le long de sa cuisse. Elle
m'a laissé poursuivre. Je levais les yeux de temps à autre, juste pour être sûr. Les
siens étaient clos. Son visage exprimait une sorte de plénitude. Je
me suis laissé guider par sa respiration. Elle m'a laissé faire
tout ce que je voulais alors j'ai fait plein de choses mais je n'ai
pas tenté de faire l'amour avec elle. Nous nous sommes finalement embrassés,
interminablement. Je me souviendrai toujours du contact de son
piercing à la langue, de son doigt qui venait se fourrer dans nos
bouches comme si deux langues n'y suffisaient pas. C'était doux. C'était charnel mais c'était surtout très tendre. C'était ce dont elle avait besoin, et moi aussi à
vrai dire. Un câlin. Nous nous sommes endormis comme le soleil se levait.
Blottis tout habillés l'un contre l'autre. Je l'ai serrée longtemps
très fort contre moi, bien après qu'elle se soit endormie. Je
voulais la garder là, tout contre moi, pour toujours. Elle
était merveilleuse. À cet instant-là, elle était ce que j'avais
de plus précieux au monde. Un ange. Mon ange blanc. Pour
la première fois depuis plus de deux ans, j'étais amoureux !
Elle
fila comme une voleuse le lendemain vers midi. Elle me fit promettre
de ne rien dire à personne : elle ne voulait pas que la rumeur
publique s'empare de nous. J'étais d'accord. Je lui demandai ce qui
allait se passer ensuite. Elle me dit qu'elle ne savait pas. Elle me
dit de ne rien espérer, qu'elle était une fille du vent qui va et
vient, apparaît et disparaît aussi vite. Elle me dit de la
réinviter à dîner la semaine suivante.
La
semaine fut interminable, attente obsédante de ce moment où elle allait
enfin, de nouveau, sonner à ma porte. Le jour J arriva. La troisième
nuit fut tout comme les deux premières, sauf que cette fois-ci nous
avons fait l'amour. L'expression est vraiment adéquate pour le coup.
C'est à peine si c'était du « sexe ». Elle m'avait fait
part de telles fragilités… J'avais comme peur qu'elle se brise en
morceaux. Elle m'a dit, pendant,
de regarder son visage. Je me suis demandé pourquoi. J'ai tout de
suite compris. Elle souriait. Sans doute sentait-elle mes craintes,
voulait-elle me signifier que tout se passait bien pour elle.
C'est rare les filles qui sourient en faisant l'amour. Il y eut peu de plaisir physique pour
l'un comme pour l'autre : c'était un acte de guérison et c'était bien ainsi. Comme la nuit précédente,
nous nous sommes endormis blottis. Comme la nuit précédente, je
l'ai serrée fort contre moi, priant Dieu de ne pas me la reprendre.
Comme la nuit précédente, elle est partie en coup de vent à midi,
me refusant la moindre promesse.
Après
cela (nous étions mi-novembre), elle a quitté Lyon pour quelques
semaines, pour aller bosser en station,
là-haut dans ses montagnes. Hormis Florence, ma meilleure amie et
confidente, personne ne savait ce qui s'était passé. Et tout le
monde continuait de me raconter ses projets d'être le premier à la
séduire, sans se douter que je leur avais tous coupé l'herbe sous
les pieds, juste à l'aide d'une citation stupide empruntée à une
chanson de Prince. L'aurais-je jamais embrassée, si ne m'avait
effleurée l'idée de
lui lécher
les genoux ?
Elle
revint à Lyon pour la fête du 8 décembre. Cette soirée fut
infernale : il y avait des dizaines d'amis à elle, des dizaines
d'amis à moi. Pas moyen de passer ne fut-ce qu'une seconde en tête
à tête. De rage, j'écrivis Agneau pourpre à
la Casa, et le déclamai dans la rue au milieu des passants, pendant
que certains jonglaient et que d'autres faisaient de la musique… Il
y eut ensuite ma soirée d'anniversaire (avec un mois de retard),
toujours à la Casa. Pareil : elle était impossible à attraper
en tête à tête. J'ai gobé un ecsta,
j'ai passé une soirée merveilleuse, j'ai dansé toute la nuit, j'ai
embrassé un mec, ou deux je ne sais plus. Mais la descente a été
rude : mon ami Ben T. s'était tiré avec l'herbe. Une descente
de taz
avec une amoureuse inaccessible et pas d'herbe, c'est un peu
difficile. J'ai
tapé un bad
parce qu'on n'avait pas mis de capotes et que j'avais pas fait de
test depuis la dernière meuf du fait que la dernière meuf,
justement, venait d'en faire un quand on s'était rencontrés, et
j'ai rien trouvé de mieux que de raconter ça à mon ange blanc à
six heures du matin, en m'embrouillant complètement les pinceaux
histoire de bien la faire flipper pour rien. Dieu soit loué, Ben a fini
par réapparaître avec la beuh
et quelques jours plus tard,
je faisais un test inutile pour rassurer la jeune fille aux yeux de
miel et moi avec.
Bref,
on a fini par se refaire un dîner en tête à tête, ça devait être
quelques jours avant que je ne décide de partir en voyage. On a
encore parlé toute la nuit. Elle m'a remercié très chaleureusement, un peu trop formellement à vrai dire :
elle était guérie. Je l'avais guérie. Elle avait couché avec un
autre type à la montagne. Elle espérait que ça ne me dérangeait
pas. Si elle était avec moi au bout du compte, ça n'avait pas
grande importance, alors j'ai menti : j'ai dit que ça ne me
dérangeait pas. Le type était un mec
cool. Le
genre moniteur de ski ou serveur : beau gosse, sportif,
complètement superficiel, un peu cramé, sympa, pas amoureux d'elle
pour un sou… Le genre de trou du cul qui serait resté cool
en cherchant la free-party
à Montpellier, sans doute ! Elle m'a raconté tout ça et a
ajouté qu'elle n'était pas du tout avec lui, que c'était juste un
coup pour rien, « pour vérifier qu'elle était bien guérie ».
Deux ans qu'elle n'avait couché avec personne, pensez-vous ! Et
d'ajouter qu'elle avait grave kiffé ! Bon, en entendant ça
j'ai pas trop paniqué : elle avait « vérifié »,
elle ne voulait pas être avec lui, jusque-là tout allait bien. La
soirée s'est écoulée et, inévitablement, est venu le moment où
ma main a effleuré sa joue, où mes lèvres se sont rapprochées de
son visage. Elle m'a repoussé doucement. Mais alors vraiment
doucement. Puis
elle m'a fixé avec ce regard à la fois très
tendre et très calme et très ferme. Puis
elle m'a pondu un speech de président de la République en fin de mandat. « Tu m'as guérie. J'avais besoin de toi. Il n'y avait que toi
qui pouvais le faire. Parce que j'ai une confiance aveugle en toi.
Parce qu'il y a ce lien si spécial entre nous. Tu comprends ?
C'était merveilleux, ces moments, c'était magique, ça m'a sauvée.
Mais maintenant je voudrais qu'on soit frère
et sœur,
c'est tout. Je préfère te le dire : je pense qu'on ne fera
plus jamais l'amour. J'espère que ça ne te dérange pas…? ». Et
là, j'ai découvert que je pouvais enterrer De Niro, renvoyer Piccoli au
Cours Simon, ridiculiser Johnny Depp ! J'étais là,
tranquillement assis sur mon canapé, lorsqu'un énorme piano à
queue s'est abattu sur moi. La grosse brute qui l'avait fait tomber
du sixième étage l'a soulevé, à jeté un œil en direction de mes
membres broyés et m'a demandé : « J'espère que ça ne
te dérange pas…? ». Et moi, je lui ai fait mon plus grand
sourire, je l'ai regardée droit dans les yeux, et de ma voix la plus
désinvolte j'ai déclamé : « Non… Non non… Pas du
tout… ». Nous nous sommes endormis blottis, mais pas blottis
pareil.
« Frère et sœur ». J'étais si bien, là contre elle.
Et en même temps j'étais effondré.
Est-ce
pour cela que j'ai décidé, quelques jours plus tard, de partir en
voyage ? Est-ce que, une expérience intense venant de se clore,
j'ai souhaité en provoquer une autre ? Je ne sais pas. Pas
consciemment en tout cas. Je ne sais que ce que j'ai raconté au début de ce récit : j'ai juste eu envie de faire un truc
complètement dingue !
Toujours est-il que nous nous sommes revus une ou deux fois avant
qu'elle ne parte en Inde. Ma mère était morte entre temps. La fille
aux yeux de miel s'était tapé un autre mec, peut-être
même deux, c'est assez flou à présent. Aucun à Lyon : de la
foule de prétendants locaux, je restais l'unique. Mais les stations
de montagne, c'est le cauchemar de l'agneau pourpre ! Ça
grouille de mecs
cools. Ils ne l'aimaient pas, elle ne
les n'aimait pas, mais la coke aidant tout le monde était cool.
Pour l'avoir guérie, je l'avais bien guérie ! Je ne la jugeais
pas, le problème n'était pas là. Elle faisait bien ce qu'elle
voulait avec qui elle voulait. Elle n'était pas ma chose. Mais ces
mecs, j'aurais bien voulu pouvoir leur envoyer une facture, parce que
pour eux c'était tout bénef :
grosses parties de jambes en l'air et merci docteur, combien je vous
dois ? Pendant ce temps, je dormais tout seul sur mon canapé…
Mémoire d'une soirée. Nous devions aller à une fête,
vers Macon ou un bled du genre. Elle devait venir me chercher avec
toute la bande, vers minuit. En attendant, j'ai bu une bouteille de
blanc sur ce fichu canapé. Pendant deux heures, j'ai écouté en
boucle la même chanson. I Can't
Make You Love Me. Lorsqu'ils sont arrivés, je n'étais même pas
tellement ivre. Mais je m'étais ancré le slogan dans le crâne. I
can't make you love me if you don't.
I
can't make you love me if you don't.
I
can't make you love me if you don't.
Dieu que c'étais triste ! J'étais
encore électrisé par ce que nous avions vécu mais c'était
terminé. Déjà. Trop vite. Il n'y avait que ce voyage en Inde pour me sortir de ça ! Enfin
pour cela, encore eut-il fallu qu'elle ne s'y trouve pas en même
temps que moi ! Quand
je lui ai expliqué mon projet, j'ai suggéré qu'on se voit là-bas,
en fin de voyage. J'ai bien insisté : « Ou pas, on verra
comment on le sent ». Elle a acquiescé, et à la proposition
et au « ou pas ». Et puis une fois là-bas, nous avons
échangés deux trois emails et l'affaire fut conclue sans autre
formalité. Om Beach, vers Gokarna, dans le Karnataka, vers le 14
mars. Un mois après la fucking
Saint-Valentin !
Ayant
troqué mon canapé contre le toit d'un hôtel du bout du monde, je
peine à m'endormir. Après douze nuits de désert, je subis avec
peine le vacarme des chiens errants qui hurlent à la lune, des
klaxons bouge-toi-de-là-que-j'm'y-mette,
des moustiques qui s'acharnent à buzzer
dans mon oreille gauche… Mais je me raccroche à une idée fixe,
mon seul but désormais : la
reconquérir. Perché sur mon épaule, Jiminy Cricket me fait la
morale : « Elle t'a dit ''plus jamais'', t'es bouché ou
quoi ? You
can't make her love you ».
J'envoie bouler le pauvre phytophage : « Oui oui, je sais,
elle l'a dit. Elle avait aussi dit ''jamais tout court'', jusqu'au
moment où elle a découvert qu'elle avait envie de se faire lécher le genou !
Tu comprends Jiminy, peut-être que moi aussi je peux être un mec
cool,
sous les tropiques. Peut-être que l'agneau pourpre sera si cool
qu'elle admettra enfin l'évidence : il n'y a que moi, et il n'y
a qu'elle ! Tu sais bien qu'on est fait l'un pour l'autre ! ». À court d'arguments, Jiminy la boucle, s'en va faire chier quelqu'un d'autre et me laisse enfin pioncer en paix !
À
peine levé, je file acheter un billet de bus à la gare routière.
Comme tombé du ciel, un Indien m’interpelle à un croisement. Il
m'interroge sur ma destination, comme ça, sans raison (je n’avais
même pas l’air de chercher quelque chose). Comme je viens de
prendre la mauvaise direction, il me remet dans le droit chemin. Je
me procure un aller-simple pour Amhedabad, d’où je rejoindrai
Gokarna. La jeune fille aux yeux de miel me sait quelque part dans le
Rajasthan, sans plus de détails. Quant à moi j’ignore absolument
où elle se trouve à l’heure qu’il est : elle ne m'en n'a
rien dit dans ses emails. Cet Indien tombé du ciel me permet d’être
exactement au bon endroit au bon moment, une heure plus tard. En
pleine rue, des mains surgissent de derrière mon dos, se referment
sur mes yeux. « Qui c'est ? ». Je reconnaîtrais cette voix entre mille. Je ne peux pas y croire ! C'est
impossible ! Pourtant c'est bien elle !!! Il y a un milliard d'habitants en Inde et nous nous
croisons dans la rue, deux jours avant notre rendez-vous à des
milliers de kilomètres de là !!! On hallucine, on bondit de
joie, on s'enlace longuement. Un agent de police nous interpelle :
nous dépassons les bornes de la bienséance indienne. Comme si la
« coïncidence » ne se suffisait pas à elle-même :
la fille aux yeux de miel a pris exactement le même billet que moi.
Le même bus, le même jour, la même heure, la même direction. Nous
partons ensemble pour Amhedabad !!! Je mets cet enchaînement
d’improbabilités sur le même compte miraculeux que ceux qui l’ont
précédé.
Mon
dernier souvenir de Jaisalmer est celui de ce lassi,
que nous buvons en terrasse d’un café. Une terrasse imbriquée
dans les fortifications, avec vue sur le désert du Thar. Un Français
passe par là. Il s'appelle Michaël. Il a notre âge. Il étudie aux
Beaux-Arts de Marseille. Il est dans le même hôtel qu'elle. Il se
joint à nous. C'est un type super. Il raconte que lorsqu'il faisait
son safari dans le désert, il a vu une tente jaune au loin. Son
camel
driver
est allé voir. De retour, il leur a expliqué qu'un Français
excentrique campait là, voulait rester seul. Michaël faisait partie
des touristes que j'étais, d'après le camel
driver,
censé « sauter derrière une dune ». Encore une
« coïncidence ». Le plan est parfait. Shiva veille sur
moi. Je n'ai qu'à le laisser orchestrer. Cela
ne peut signifier qu'une chose et au diable Jiminy Cricket !
Je
suis là avec eux, sous un soleil brûlant (il doit faire dans les
45°), je savoure la présence de l'être aimé, la chaleur qui
caresse ma peau, le spectacle du désert qui s'étend à l'infini en
bas des murailles. Je me sens juste bien, adulte, détendu, heureux,
complètement rempli…
Je
suis loin de me douter que toute cette paix intérieure, toute cette
sérénité fraîchement acquise, seront ébranlées dès le
lendemain. Après la leçon, vient l'examen. Et plus grande est la
leçon, plus difficile est l'examen. Que n'ai-je, alors, déjà lu
L'alchimiste…