Il souhaitait protester contre les conditions de détention inhumaines qu'il connaissait depuis maintenant quatre ans. Il avait commis des erreurs, de très graves erreurs. Il était un criminel et il en était conscient. Mais il aurait souhaité qu'on l'aide, qu'on l'éduque. Il aurait voulu qu'on lui donne les moyens, à sa sortie, d'être un citoyen parmi les citoyens. En lieu et place, on l'avait mélangé à des gens bien pire que lui, on l'humiliait quotidiennement et on le préparait à n'être qu'un ex-taulard, un être voué à l'ignorance et à la violence.
Alors, il entama une grève de la faim. Parce qu'il avait lu qu'un certain Gandhi l'avait fait avec un certain succès. Parce que la vie des prisonniers semblait importer si peu qu'il fallait éveiller l'opinion, rappeler aux Français qu'un détenu était tout de même un être humain.
Sa grève de la faim, suivie par quelques-uns de ses co-détenus, connut quelque retentissement lorsque, tout d'un coup, une chanson se fit entendre sur les ondes. Une chanson qui, elle aussi, défendait une cause fort noble. Une chanson dont le retentissement serait autrement plus important que sa petite grève de la faim.
Les paroles disaient une chose un peu curieuse : « Aujourd'hui, on n'a plus le droit ni d'avoir faim ni d'avoir froid ».
Alors même que du fond de sa cellule, il s'interrogeait sur cette notion de droit, cette phrase devint le leitmotiv du pays tout entier. Les dons affluèrent. Les hommes politiques se saisirent de la question. Les pauvres purent enfin manger un peu. Tout cela était une bonne chose, sinon que l'opinion publique estima en effet qu'on n'avait plus le droit d'avoir faim.
Sa grève, dès-lors, fut considérée comme un snobisme. Les médias la dénoncèrent comme telle, puis l'ignorèrent pour de bon.
Au bout de quarante-sept jours, affamé, il jugea raisonnable de mettre fin à ses jours sans attendre l'inanition. Il se pendit dans sa cellule.
Aujourd'hui, vingt-cinq ans plus tard, nul ne se souvient de son nom, pas même ceux qui l'ont connu de son vivant.