Paris, 1995.
Simon Fontaine était à l'apogée de son succès. Un sondage l'avait consacré « plus séduisant des Français », le jury des Césars l'avait honoré du prix du meilleur acteur, les plus grands réalisateurs s'arrachaient son emploi du temps, l'argent abondait. Âgé de trente-sept ans, il ne devait pas tant cette consécration à son physique irréprochable ou à son immense talent qu'au fait qu'il incarnait toute la délicatesse, la distinction, l'élégance que l'on peut attendre d'un homme. Son succès auprès des femmes ne venait pas, comme celui de tant d'autres, d'une attitude virile et rassurante, mais d'une grâce naturelle digne des grandes heures du théâtre français.
Simon Fontaine avait un secret, une de ces bizarreries que l'on préfère garder pour soi car, quoi qu'elles puissent paraître valorisantes, elle pourraient tout autant s'avérer aliénantes. Simon Fontaine ne déféquait pas. Il urinait, certes, mais son organisme n'avait jamais produit l'ombre d'une crotte. Quotidiennement, l'acteur éprouvait pourtant le besoin de se rendre sur le trône, de s'y vider d'une manière ou d'une autre, et la façon qu'avait sa nature de se purger passait par le doute. Chaque fois qu'il se retrouvait sur la cuvette, pantalon baissé, Simon Fontaine doutait. Son assurance naturelle, son habituelle confiance en la vie s'envolaient pour quelques minutes, et il concevait intérieurement les pires doutes existentiels. La vie lui semblait soudainement dépourvue de sens, la création tout entière lui apparaissait comme absurde, ridicule, intolérable de vacuité. Ainsi envahi par l'effroi, il suait à grosses gouttes, et c'est probablement de cette manière qu'il évacuait ce qu'il avait ingurgité.
Et c'est ainsi que, le 14 juin 1995 à quinze heures vingt-deux exactement, Simon Fontaine fut terrassé par une crise cardiaque. La vie lui échappa d'un coup, alors qu'il était aux toilettes. Le doute, après trente-sept ans, était devenu si intense, si insupportable, que son organisme avait lâché, ni plus ni moins.
Le drame, quoi que nul n'en mesura la portée, fut que l'on retrouva Simon Fontaine dans cette position humiliante, et que la presse affirma sans réfléchir qu'il s'apprêtait à couler un bronze au moment fatidique. Et c'est ainsi que l'homme qui incarnait la plus haute élégance, le seul homme dont la distinction était telle qu'il ne déféquait pas, resta gravé dans la mémoire populaire comme « l'homme qui a rendu l'âme pendant qu'il chiait ».
10 commentaires:
hi Shaomi, il me semble vrai ton conte tant il est bien raconté, l'est-il? ...bravo
la mort tire la chasse... au suivant :)
Assez étonnant... et drôle!
Toujours autant d'imagination et de talent, Sha ! Bon dimanche. Bisous.
Oh mais didont, te voilà sur la toile, là!
Chouette!
C'est fou ça! Beaucoup d'imagination!
Il y a une partie autobiographique ;)?
Excellent, il ne pouvait pas chier comme les romains en communauté ?, ça lui aurait aussi permis de partager ses doutes...
trop fort toi....!
J'aime bien. Beaucoup d'imagination, un peu de noir, un peu de détachement, une atmosphère griffée.
Enregistrer un commentaire