8 avril 2005

Re: Fragments nocturnes

Je viens d’effectuer des corrections importantes sur mon recueil « prosétique », Fragments nocturnes, qui m’ont conduites à quelques réflexions que j’ai envie de partager. D’autant qu’il n’est que trois heures du matin et que pour le coup j’ai vraiment toute la nuit devant moi, alors faisons-nous plaisir. S'il devait s’avérer que je m’écoute écrire, j’en appelle à votre indulgence…

Mais d’abord permettez-moi de m’insurger contre mon voisin (comptable de son état, et dépourvu malgré son jeune âge de toute vie sexuelle, j’en suis certain), qui m’oblige, la nuit, à écouter la musique vraiment pas fort, ce qui est parfois extrêmement frustrant… Enfin bon…

Petite leçon d’histoire : les Fragments nocturnes sont constitués de vingt-sept textes divisés en trois chapitres (3 x 9 = 27, 2 + 7 = 9, ça a son importance vu l’impact symbolique que le chiffre 9 a toujours eu pour moi), écrits entre 1996 et 2002, quoi que pour certains légèrement retravaillés depuis. Depuis trois ans, donc, ce livre est prêt à être publié, mais une obstination à le faire via mon association, Neweden, a fait que je ne l’ai jamais envoyé aux éditeurs. Faute de temps et d’argent, Neweden ne l’a jamais publié, et il est question depuis la création de Mercure Liquide que Fragments nocturnes soit parmi les livres que nous éditerons lorsque nos finances nous le permettront. Que mes collègues me pardonnent, mais je commence (enfin) à remettre ce choix en question, et à envisager de soumettre ce recueil à d’autres éditeurs, principalement pour bénéficier -en cas d’acceptation- d’une meilleure diffusion. Enfin nous verrons bien...

Je suis aujourd’hui heureux que ce livre ait tant tardé à être publié, car j’ai pu y effectuer depuis des corrections qui, à mon sens, en augmentent grandement la qualité. On commet forcément, à vingt-cinq ans, des maladresses que l’on ne commet plus à vingt-huit. La grande majorité des corrections effectuées durant les six heures que je viens de passer dessus consistent en deux choses :
- Suppression de l’écriture dite « sms ». Depuis 1991 j’écrivais ma poésie en utilisant tout un système d’abréviations phonétiques (« de » devient « 2 », « ses » et « ces » deviennent « c », « cette » & « cet » deviennent « 7 », « des » devient « d », etc…) qui avaient un grand sens pour moi : écriture plus spontanée, plus vraie puisque j’écris comme ça au naturel ; acceptation d’un aspect phonétique de la poésie qui ramène à la phrase de Ferré : « la poésie ne prend son sexe que dans la corde vocale » ; et simplement un grand aspect ludique. Cette méthode, utilisée couramment par les anglo-saxons depuis trente ans (« to » devient « 2 », « for » devient « 4 », etc…), était jusqu’à peu de temps assez rare en français, et donc assez originale et créative en soi. Elle agaçait souvent, il est vrai, mais parce que les gens n’y étaient pas habitués, et elle ne manquait en tout cas jamais de surprendre. Depuis quatre ans, l’avènement du sms a rendu cette pratique courante, et supprimé toute originalité quant à son emploi. Ce qui donc agaçait jadis parce que surprenant, agace désormais parce que trop commun, et la chose a perdu tout impact en même temps que toute originalité. Je me suis donc vu contraint d’y renoncer, non sans regret, et j’ai entièrement « réécrit » les Fragments en langage « normal ». Ajoutons à cela l'éviction de quelques maladresses stylistiques, qui me sont apparues comme évidentes. Pas beaucoup, juste quelques unes.
- Remplacement d'un texte par un autre : La Terreur, n’avait plus sa place pour deux raisons. La première est que ce texte, très politique, comportait plusieurs aspects encore « naïfs » dont je ne peux plus être dupe. La seconde est que ce texte, par d’autres moments très agressif, constituait l’ébauche de ce qui est depuis devenu Bébé Coma, autre texte beaucoup plus long, vigoureux pamphlet qui s’est mué en un spectacle mélangeant paroles, musique électronique, et à l’occasion performances plastiques et/ou corporelles (certains d’entre vous ont pu voir ce spectacle à la friche RVI, à l’Ovale ou aux Subsistances, où il a été jusque-là représenté). J’ai la ferme intention de « figer » un jour Bébé Coma sous la forme d’un livre/CD or, l’essentiel des bons passages de La Terreur ont réatterri dans Bébé Coma. Il convenait donc de les ôter des Fragments nocturnes. Cela m’a du coup permis d’y recaser un autre texte de l’époque, que j’avais écarté à regret pour ne pas excéder les vingt-sept textes souhaités.

Bon, tout ça c’est bien mignon, mais à part ça, pourquoi je vous raconte tout ça ?

Parce que, du coup, j’ai du relire mot par mot l’ensemble de ce recueil et que ça n’a pas manqué d'éveiller en moi des choses que j’avais envie de noter et donc, tant qu’à faire, de partager ici.

Tout d’abord, il faut bien reconnaître que je reste très fier de ce livre, que je considère vraiment comme un chapitre important de ma future bibliographie. Difficile de parler en bien de son propre travail sans paraître prétentieux, donc je vous prie de garder à l’esprit que ça n’en est pas moins important de pouvoir être « content de soi » lorsque l’on a passé des centaines d’heures à travailler sur quelque chose. Ne me jugez pas, donc, car je peux aussi vous avouer que les vingt-sept textes des Fragments nocturnes représentent peut-être 10% de ma production poétique totale, et que 90% des 90% restants est constitué, à mon sens, de grosses merdes illisibles et complètement foireuses. Puisse ce constat, très honnête, vous dispenser de me prendre pour ce que je ne suis pas.

Pour autant, je me rappelle qu’à l’époque, lorsque j’envisageais de publier ce livre en 2002, j’étais convaincu qu’il aurait auprès de ses rares lecteurs (on parle de poésie, ne l’oublions pas), l’effet d’une petite bombe. Bon, d’accord, il y a de vrais moments d’auto-indulgence dans ce recueil, et pourtant je puis vous assurer que pas un mot n’y figure sans avoir été pesé et re-pesé des dizaines de fois. En gros, je considère que l’auto-indulgence fait partie intégrante de la création poétique, pour ne pas dire artistique en général, à condition d’être modérée et finement dosée. Je me réjouis que certains des artistes que j’admire le plus se soient permis d’être auto-indulgents par moments, car c’est aussi ces excès d’ego qui ont participé de leur génie et du fait qu’ils aient une « patte » bien à eux. Sans prétendre être moi-même génial, je pense que mes auto-indulgences ont souvent participé au succès de mes textes auprès d’un certain public. On me l’a même parfois dit très clairement : sans cette audace, je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Toujours est-il que je reste convaincu que, dans le paysage poétique actuel -du moins ce que j’en ai perçu en feuilletant nombre de recueils et revues- les directions que je prends dans les Fragments nocturnes (assez différentes alors de celles que vous pouvez lire à présent sur ce blog) n’appartiennent souvent qu’à moi, et ont au moins le mérite de l’originalité sinon ceux de la qualité. Mérite auquel j’ajouterai celui d’une véritable honnêteté. Certes, je suis joueur, et je sais qu’en cela je joue parfois avec les nerfs du lecteur. Ceci étant, je me livre dans ces textes avec une transparence qui va au delà de la simple sincérité : je sais qu’il y a des choses qu’il a été très difficile pour moi de me résoudre à livrer et même de réelles « prises de risques » au niveau personnel. Ce que j’y propose n’est pas un artifice romantique, ni un cynisme trash dans l’air du temps, c’est vraiment moi, dans toutes mes contradictions, dans toutes mes parts d’ombre et de lumière… Alors oui, encore un poète nombriliste, dira-t-on. Sauf que je passe mon temps à raconter les histoires de personnages imaginaires dans mes romans et scénarios de BD, donc je m’accorde au moins le droit d’écrire sur mon petit nombril dans la poésie. Et d’ailleurs ce n’est souvent prétexte qu’à dévoiler des prises de conscience qui -je parle d’expérience- peuvent être utiles à d’autres qui se posent les mêmes questions, ou un regard sur certains points de notre société qui dépassent de loin mes petits problèmes.

J’avoue avoir été très perturbé par un feedback extrêmement hostile sur mon travail lors de la parution de Mercure Liquide #1 et des performances qui s’en sont suivies aux Subsistances. Le monde m’est un peu tombé sur la tête d’un coup et mes propres collaborateurs -ils ne l’avoueront jamais mais je ne suis pas idiot- se sont eux-mêmes demandés si, en fait, je n’étais pas un auteur médiocre, contrairement à ce qu’ils avaient toujours pensé. Ce feedback m’a d’autant plus déstabilisé que ça fait des années que j’expose mon travail à toutes sortes de regards et que, malgré de virulentes critiques, la majorité des retours a toujours été très encourageante. J’ai de fait passé un hiver assez pénible, à me remettre en cause, à penser que tout ce que je faisais était à chier, que je faisais fausse route depuis dix ans. Et puis de nouveaux feedbacks encourageants sont apparus, et au bout de trois mois d’autocritique ferme, je sais de nouveau où j’en suis. J’ai encore beaucoup à apprendre, mais j’ai aussi quinze ans de pratique derrière moi. Je ne m’explique pas ce qui s’est passé cet automne. Certains m’ont dit que j’étais peut-être « trop en avance sur mon époque » pour que ça passe, mais je ne suis quand même pas assez naïf (ou imbu de moi-même) pour croire ça. Pour autant, j’ai cru comprendre qu’une bonne partie du lectorat de Mercure Liquide, avec tout le respect que je lui dois, est ravi de lire des textes « classiques » comme ceux de Bernard Blangenois ou Benoît Meunier, tout en étant rebuté par des choses formellement plus osées, comme mes textes ou ceux de Pierre Gonzales. L’inverse est d’ailleurs vrai, puisque d’autres nous reprochent d’être trop « classiques », mais il faudra bien que tous comprennent que Mercure Liquide est une revue plurielle, qui refuse de s’enfermer dans un camp ou dans l’autre. Toujours est-il que cette frilosité envers des choses trop « tordues » comme peuvent l’être mes textes, me paraît la seule explication à un rejet si violent et unanime de mon travail par le public de Mercure, dans la mesure ou ce rejet était inhabituel pour moi. Si toutefois quelqu'un a une autre idée... parce que bien sûr tas de gens ont dit que c'était mauvais, mais personne n'a expliqué pourquoi. Il ressort de tout ça que j’ignore comment seront perçus les Fragments nocturnes le jour de leur parution (quel que soit ce jour), mais je reste sincèrement persuadé que même s’ils ne convainquent pas tout le monde, ils feront figure de petit ovni dans le monde de la poésie actuelle, et c’est déjà en soi quelque chose dont je suis fier.

La raison pour laquelle je souhaitais écrire ces lignes, avant de m’égarer de tous cotés (c’est tout moi, ça), était surtout d’évoquer l’impression que m’avait fait cette relecture attentive des Fragments nocturnes. Je vous disais plus haut qu’ils avaient été écrits entre 1996 et 2002, mais en réalité, plus de la moitié ont été écrits entre octobre 2000 et février 2001. Je vivais alors une époque particulièrement exaltante de ma vie, une période de révolution spirituelle intense, due à des changements majeurs dans ma vie : maladie et mort de ma mère, découvertes fascinantes dans ma pratique artistique, rencontre d’une fille qui a alors bouleversé mon existence, voyage de deux mois en Inde et retraite de dix jours seul dans le désert, affichage de Confession Publique sur les murs des Pentes de la Croix-Rousse alors que j’étais aux prises avec un acharnement maniaque de certains à entacher ma réputation (certains se souviendront avec tendresse des taliban(E)s du Point Moc), feedback assez violent de mon statut (pourtant alors tant désiré) de personnage public dans le microcosme culturel lyonnais, possibilité d’avoir une scène sur laquelle monter chaque semaine au squat Casa Okupada, et au milieu de tout ça une foule extraordinaire de soi-disant « coïncidences » dans ma vie : messages sans ambiguïtés de l’Univers/Dieu à ma personne, et j’en passe… Bref, chaque jour la terre tremblait littéralement sous mes pieds, j’étais en proie à une délicieuse euphorie à laquelle se mêlaient forcément des peurs, mais j’avais conscience de vivre une extraordinaire aventure, au sortir de laquelle ma vie ne serait plus jamais la même. Quatre ans après, je sais que ces quelques mois resteront probablement l'une des périodes les plus intenses, les plus trépidantes et les plus fascinantes de ma vie, et je prie parfois pour avoir la chance de revivre au moins une fois quelque chose d’aussi fort sur une durée aussi longue. Dans ces moments-là l’expression de « légende personnelle » chère à Paolo Coelho prend vraiment tout son sens, car on a l’impression de vivre un véritable film hollywoodien… ou un véritable conte initiatique, selon. Et c'est cette histoire que racontent les Fragments nocturnes : la première partie conte en quelque sorte les années précédentes, comment j’en suis parvenu là à travers une vie mondaine et chimique, à travers des phases dépressives intenses et des illusions déchirées. Les deux parties suivantes décrivent cette révolution intérieure, celle d’un jeune homme qui se cherche lui-même dans un étrange mélange de Dieu et des femmes. Un jeune homme qui, dans sa quête, réalise combien il est comme tout un chacun le jouet de son ego et de l’identité sexuelle qu’on lui a imposé (femme dans sa famille, homme dans le reste du monde). Un jeune homme qui se plait tant à jouer avec les mots et les corps qu’il s’y perd pour finalement s’y trouver. Un jeune homme qui prend conscience de ce qu’il veut, de ce qu’il ne veut plus, de ce qu’il sait et surtout de tout ce qu’il ne sait pas. C’est ultra trash par moments, ultra kitsch rose bonbon par d’autres. Ca se veut parfois sérieux, parfois drôle, parfois les deux en même temps. C’est en tout cas intensément vécu, intensément raconté et cela se termine en quelque sorte par un commencement, le commencement d’un autre chose que, peut-être, je raconterai un jour dans de nouveaux Fragments.

C’était donc, si j’ose dire, le moment approprié pour relire tout ça, parce que ma vie en ce moment est tout sauf une « légende ». Sans m’étaler sur ce que je vis ces derniers temps, ces dernières semaines ont été volontairement solitaires et franchement dépressives. Je suis en butte à un sentiment d’échec personnel du à de grosses prises de conscience quant à ces dix dernières années et la façon dont j’ai gâché beaucoup de choses (comme dirait un certain peintre/musicien de ma connaissance, j’ai « tout fait à l’envers », par ego et par besoin de reconnaissance - non, soyons justes avec nous même, pas tout, mais trop quand même). Je suis en butte à une histoire d’amour importante qui bat de l’aile. Je suis en butte aux trahisons d’un ami qui a beaucoup contribué au « battements d’ailes » susnommés, mais que je ne peux me résoudre ni à pardonner entièrement, ni à répudier pour de bon. Je suis en butte aux crises existentielles des dessinateurs dont dépendent l’aboutissement de mes projets BD, et Dieu que ça traîne ! Je suis surtout en butte à un sentiment d’immobilité et d’impuissance, pour ne pas dire de paralysie, qui me font me sentir incapable de faire quoi que ce soit. Le seul bon coté de tout ça est qu’à force de solitude, d'un peu de méditation, et de beaucoup de musiques indiennes et tibétaines, j’arrive à un certain apaisement qui ne m’a que trop rarement habité. Je tend à présent vers cet apaisement. De plus en plus. J'apprend chaque jour, et certaines nuits plus que d'autres...

Alors, forcément, me revoir quatre ans en arrière, bouillonnant d’enthousiasme et vivant d’une manière autrement moins résignée mes prises de consciences, ne pouvait que me faire du bien. Cela m’a rappelé qu’au fond de l’agneau que je suis, dort toujours un dragon, mais que ce dragon doit maintenant trouver sa force ailleurs que dans l’ego et le besoin de reconnaissance. C’est ces nouvelles sources d’énergies que je peine à trouver, et dont l’absence fait que je m’épuise continuellement depuis trois ans. Pourtant il fut un temps où ma foi suffisait à me porter. Le problème est que, comme je le dis si bien dans le texte Prière : « ce qui donne un sens à la vie ne saurait devenir la vie ». Aussi dois-je apprendre à trouver de nouvelles manières de me penser et de me vivre au quotidien, de nouveaux moteurs. Et que cette histoire qui bat de l’aile cesse ou continue n’y changera rien : car mon épuisement a bien contribué à la disloquer…

Tout ce que je peux faire, en attendant, est de me souvenir avec affection du Shaomi qui a écrit ces Fragments nocturnes il y a quatre ans, le remercier de m’avoir aujourd’hui rappelé combien la vie peut être exaltante et combien, à l’arrivée, il y a de paix et de sagesse à y trouver… J’ai encore une longue route à faire, mais j’espère qu’un jour ces Fragments nocturnes seront publiés (sans quoi ils finiront sur internet, ça c’est certain), car je me souviens qu’ils avaient apporté beaucoup à quelques uns de ceux à qui je les avaient fait lire à l’époque, et qu’ils m’ont ré-apporté beaucoup à moi-même ce soir. Comme quoi l’écriture thérapie peut devenir lecture thérapie, et comme quoi il n’y a rien de si égoïste à la commettre. Plaisir des mots qui s’enchaînent harmonieusement, malicieusement, mais aussi plaisir des idées et des regards, parfois si lucides, qu’un être humain peut avoir sur lui-même et sur le monde qui l’entoure… Voilà ce que j’ai retrouvé dans ces textes. Voilà ce que j’espère partager, un jour, avec vous [Update : c'est chose faite depuis 2007, cf. lien ci-dessus].

1 commentaire:

Claude Curutchet a dit…

Je suis bouleversée par ton texte magnifiquement écrit. Ce que tu vis actuellement est une initiation majeure qui contient déjà en elle la promesse d'une belle résurrection. Fais moi confiance'. En ce domaine j'ai déjà pratiqué! Et sois plus indulgent envers toi-même. Je t'embrasse Claude l'insomniaque.

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