17 février 2016

The China Experience – 25/ The Lijiang Experience (Pt. 14)

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002.

Décollage ici.
Expérience précédente : The Lijiang Experience (Pt. 13).


07 octobre 2002 – 02 novembre 2002 : The Lijiang Experience, Lijiang (Yunnan).

Quatorzième jour. J'écris beaucoup pour moi. J'ai davantage envie d'une auto-thérapie que de me replonger dans mes scénarios de BD après le grand frisson du roman. Je me demande si le slogan publicitaire qui dit que « l'important ce n'est pas le nombre d'idées que l'on a, mais le nombre d'idées que l'on réalise » ne se trompe pas. L'intériorité d'un être humain, les idées qu'il formule en lui-même sont parfois une fin en soi. Qui sait si les bouddhistes n'ont pas raison, qui prétendent qu'une pensée a autant d'importance qu'un acte. Ce que je suis m'a toujours davantage importé que ce que je fais, mais j'ai le monde entier contre moi lorsque je prends ce parti-ci. Pourtant, à cet instant, toutes les portes sont ouvertes, n'attendent plus que ma main posée sur le loquet. Qu'ils sont bons, ces moments de confiance en l'avenir ! Et comme cette Chine me surprend ! On nous la décrit comme un pays totalitaire, dont les citoyens sont victimes d'une oppression terrible. C'est parfois vrai, mais ça n'est pas si simple. On ne ressent nulle tension, politique ou autre, lorsque l'on voyage en Chine.

Je repense au disque de Keith Jarrett, The Köln Concert, que Yanli a diffusé la veille. Une œuvre qui porte en elle la beauté et le tragique, au point de résumer la condition humaine tout entière, jusque dans ses contradictions. Ces œuvres-là, me dis-je, sont les plus belles. C'est vers cela que doit tendre mon travail. Je repense à cette familiarité troublante, qu'à pour moi la Chine. Je repense à ma meilleure amie, qui écoutait tant Keith Jarrett durant sa grossesse. Et à moi, qui l'accompagnait dans ce processus parce que le père ne le faisait pas, qui mesurait l'immensité de ce qui m'arrivait, de cette expérience de vie inattendue. Comme j'aimais poser mes mains sur ce ventre, sentir qu'il y avait quelqu'un là-dedans, un être vivant qui bougeait, qu'un jour je rencontrerai. En y repensant, j'ai le sentiment de n'en avoir pas assez profité. Mais je suis parrain à présent, et il y aura d'autres bonheurs à vivre. Lorsque mon amie m'avait demandé de l'accompagner dans cette aventure, je lui avais dit : « Si quelque chose doit me faire changer d'avis sur mon refus d'être jamais père, ça sera bien cette expérience-ci ». L'expérience m'a en tout cas propulsé dans les bras d'une princesse indienne, qui elle-même veut être mère un jour. Je me tâte, je me dis que revivre ça encore une fois, avec mon propre enfant, pourrait être quelque chose de beau. Nous verrons…

Et puis je remonte un peu plus loin dans le temps, je pense à la façon dont je suis resté tétanisé, à fumer des pétards devant la télé, deux semaines durant, lorsque la rouquine m'a quitté en février. Ce souvenir en appelle un autre. Ma mère qui me raconte qu'à un an, elle a une fois essayé de me laisser pleurer dans mon lit, pour voir si je ne me calmerais pas tout simplement. Au bout d'un moment : silence de mort. Elle va voir et me retrouve prostré, recroquevillé, tétanisé dans mon berceau. N'était-ce pas finalement exactement le même abandon, la même terrifiante trahison, lorsque ma rouquine est partie en claquant la porte ? Je l'ai vécu ainsi. Pour autant, si ma rouquine n'était pas parti ce 17 février, je ne serai pas là, à Lijiang, bientôt en quête des Miaos et des Dongs. Je ne serais pas non plus avec ma princesse indienne. Les jeux du destin sont si complexes, si durs à déchiffrer en amont, et puis soudain on prend du recul et tout s'éclaire… pour très vite se troubler de nouveau, et il en va ainsi sans cesse… Alors je conclue en écrivant que les poissons sont dégoûtants, parce qu'ils pissent et chient dans l'eau qu'ils boivent !

Photo : Dr. Ma Pingke


Retour au taf ! Je reçois un email d'un ami russe, qui me donne quelques précieuses informations concernant son pays, rapport à mon scénario sur la baba-yaga. Un autre email de Christophe Lacaux contient une série de notes absolument indéchiffrables sur le projet de BD Blastann Zeimer, qu'il m'a demandé de scénariser pour lui. Son histoire a un beau potentiel mais c'est encore une pierre qui s'ajoute à l'édifice de mes projets en cours… Et puis je papote avec Yanli, et puis Woo Di arrive et nous papotons plus encore. Yosuke, un Japonais, se joint à notre trio. Woo Di est divorcé. Lorsque je lui fais part de ma curiosité vis-à-vis du rituel chinois, et de mon envie d'assister un jour à un mariage, il m'affirme ironiquement que « non je ne veux pas », ajoutant que les mariages chinois sont un interminable et insoutenable protocole, une singerie hypocrite telle qu'on n'en souhaiterait pas même à son pire ennemi. Et du coup, pris par le flot des relations humaines, je ne travaille pas ce jour-là. Rilke avait raison : la solitude est la meilleure arme du poète, la compagnie des hommes est un obstacle à la créativité. Néanmoins, j'apprécie le retour à une vie sociale après ces semaines de solitude.

Á la table d'à côté, il y a deux filles, dont une brune superbe. Deux espèces de branleurs de la première espèce leur tournent autour. Il y a ce type avec une crête, qui pue la mort : c'est le cliché du connard qui se la joue cool pour tirer sa crampe. La brune n'a d'yeux que pour lui. Je les verrai plusieurs jours procéder à leur manège, sans jamais savoir ce qui en aura découlé. Je me fais toutefois la remarque que ce type est hallucinant, à voyager comme ça avec sa crête. Il me fait penser aux dreadeux d'Inde, en pire. Lorsque je suis à Lyon, je suis la plus belle pour aller danser, je peux passer une heure à me coiffer, à m'habiller, je suis obsédé par mon apparence. Mais ici, en Chine, en voyage, qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Je me rase le crâne, je prends mes vêtements les plus usés parce que je vais les bousiller de toute façon, et vogue-la-galère ! Quel besoin a-t-il, celui-là, de se la ramener jusque dans le Yunnan avec son attitude ?! Mais pendant que ce petit groupe pratique le tourisme et vit ici ce qu'il vit là-bas, je me lie avec ces Chinois et ce Japonais, qui m'en apprennent tant sur leurs cultures respectives qu'il m'est impossible de tout noter…

Après cela, je reçois un long email de ma princesse indienne, elle-même en pleine thérapie, brassée par les révélations qu'elle se fait à elle-même et à vrai dire tout à fait déprimée. Elle a, de surcroît, trouvé moyen de s'engueuler avec ma meilleure amie. Elle n'a rien trouvé de plus intelligent à faire que de lui dire qu'elle n'aurait jamais dû garder son enfant, que c'est gâcher deux vies que d'imposer un enfant à un père récalcitrant. C'est un peu brutal, me semble-t-il, mais il vaut mieux ne pas se mêler des catfights. Je voudrais bien être près d'elle pour lui apporter quelque réconfort, tout en lui remettant gentiment les idées en place. Mais je ne peux que lui envoyer des mots doux, alors je m'exécute. Ô combien ma princesse s'empresse de juger les choses à la hâte, d'avoir un avis sur tout, de parler lorsqu'elle devrait réfléchir… Cet aspect de sa personnalité, je l'avais déjà entraperçu, et je découvrirai par la suite que je ne suis pas au bout de mes peines. Mais ce qui se joue surtout ici c'est une rivalité qu'elle ressent entre elle et mon amie, rivalité dont mon amie et moi savons qu'elle n'a pas lieu d'être. Mais comment convaincre une princesse indienne obstinée ? Je repousse la tâche à plus tard, me contente d'atténuer ses propos et de prier pour qu'elle passe à autre chose. Je ne me sens que petit agneau, petit agneau qui voudrait gambader et brouter en paix, qui aimerait bien qu'on arrête de le prendre à parti, de chercher des complications là où il n'y en a pas ! Je suis tellement en paix, ici à Lijiang, et c'est bon ! Les rencontres du voyageur sont éphémères, dépourvues d'enjeux. L'échange, dès-lors, est tout à fait désintéressé, juste pour le plaisir. Et il est trop bref pour permettre que l'on commence à poser des jugements sur l'autre (ou alors on s'évite dès le départ, comme moi et le branleur à crête). Oui, décidément, cette vie de voyageur me plaît. Peut-être devrais-je songer sérieusement à organiser mon existence de manière à la pratiquer davantage !

Toujours est-il que la journée s'écoule et que lorsque arrivent dix-neuf heures, je ne suis absolument pas disposé à laisser un bus m'emporter loin d'ici. Alors je reste en me jurant de partir le lendemain.


Prochaine expérience : The Lijiang Experience (Pt. 15).

3 commentaires:

Claude Curutchet a dit…

Que du bonheur ! Si heureuse de pouvoir te lire à nouveau . Merci Shaomi.

Véronica Ridens a dit…

bon on attend la suite !!!!

Ivan Rosel a dit…

Nostalgie ? ;)

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