Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002.
Décollage
ici.
Expérience
précédente : The Lijiang Experience (Pt. 13).
07
octobre 2002 – 02 novembre 2002 : The Lijiang Experience,
Lijiang (Yunnan).
Quatorzième
jour. J'écris beaucoup pour moi. J'ai davantage envie d'une
auto-thérapie que de me replonger dans mes scénarios de BD après
le grand frisson du roman. Je me demande si le slogan publicitaire
qui dit que « l'important ce n'est pas le nombre d'idées que
l'on a, mais le nombre d'idées que l'on réalise » ne se
trompe pas. L'intériorité d'un être humain, les idées qu'il
formule en lui-même sont parfois une fin en soi. Qui sait si les
bouddhistes n'ont pas raison, qui prétendent qu'une pensée a autant
d'importance qu'un acte. Ce que je suis m'a toujours davantage
importé que ce que je fais, mais j'ai le monde entier contre moi
lorsque je prends ce parti-ci. Pourtant, à cet instant, toutes les
portes sont ouvertes, n'attendent plus que ma main posée sur le
loquet. Qu'ils sont bons, ces moments de confiance en l'avenir !
Et comme cette Chine me surprend ! On nous la décrit comme un
pays totalitaire, dont les citoyens sont victimes d'une oppression
terrible. C'est parfois vrai, mais ça n'est pas si simple. On
ne ressent nulle tension, politique ou autre, lorsque l'on voyage en
Chine.
Je
repense au disque de Keith Jarrett, The
Köln Concert, que Yanli a
diffusé la veille. Une œuvre qui porte en elle la beauté et le
tragique, au point de résumer la condition humaine tout entière,
jusque dans ses contradictions. Ces œuvres-là, me dis-je, sont les
plus belles. C'est vers cela que doit tendre mon travail. Je repense
à cette familiarité troublante, qu'à pour moi la Chine. Je repense
à ma meilleure amie, qui écoutait tant Keith Jarrett durant sa grossesse. Et à moi, qui l'accompagnait dans ce processus parce que
le père ne le faisait pas, qui mesurait l'immensité de ce qui
m'arrivait, de cette expérience de vie inattendue. Comme j'aimais
poser mes mains sur ce ventre, sentir qu'il y avait quelqu'un
là-dedans, un être vivant qui bougeait, qu'un jour je rencontrerai.
En y repensant, j'ai le sentiment de n'en avoir pas assez profité.
Mais je suis parrain à présent, et il y aura d'autres bonheurs à
vivre. Lorsque mon amie m'avait demandé de l'accompagner dans cette
aventure, je lui avais dit : « Si quelque chose doit me
faire changer d'avis sur mon refus d'être jamais père, ça sera
bien cette expérience-ci ». L'expérience m'a en tout cas
propulsé dans les bras d'une princesse indienne, qui elle-même veut
être mère un jour. Je me tâte, je me dis que revivre ça encore
une fois, avec mon propre enfant, pourrait être quelque chose de
beau. Nous verrons…
Et
puis je remonte un peu plus loin dans le temps, je pense à la façon
dont je suis resté tétanisé, à fumer des pétards devant la télé,
deux semaines durant, lorsque la rouquine m'a quitté en février. Ce
souvenir en appelle un autre. Ma mère qui me raconte qu'à un an,
elle a une fois essayé de me laisser pleurer dans mon lit, pour voir
si je ne me calmerais pas tout simplement. Au bout d'un moment :
silence de mort. Elle va voir et me retrouve prostré, recroquevillé,
tétanisé dans mon berceau. N'était-ce pas finalement exactement le
même abandon, la même terrifiante trahison, lorsque ma rouquine est
partie en claquant la porte ? Je l'ai vécu ainsi. Pour autant,
si ma rouquine n'était pas parti ce 17 février, je ne serai pas là,
à Lijiang, bientôt en quête des Miaos et des Dongs. Je ne serais
pas non plus avec ma princesse indienne. Les jeux du destin sont si
complexes, si durs à déchiffrer en amont, et puis soudain on prend
du recul et tout s'éclaire… pour très vite se troubler de
nouveau, et il en va ainsi sans cesse… Alors je conclue en écrivant
que les poissons sont dégoûtants, parce qu'ils pissent et chient
dans l'eau qu'ils boivent !
Photo : Dr. Ma Pingke |
Retour
au taf ! Je reçois un email d'un ami russe, qui me donne
quelques précieuses informations concernant son pays, rapport à mon
scénario sur la baba-yaga.
Un autre email de Christophe Lacaux contient une série de notes
absolument indéchiffrables sur le projet de BD Blastann
Zeimer, qu'il m'a demandé de
scénariser pour lui. Son histoire a un beau potentiel mais c'est
encore une pierre qui s'ajoute à l'édifice de mes projets en cours…
Et puis je papote avec Yanli, et puis Woo Di arrive et nous papotons
plus encore. Yosuke, un Japonais, se joint à notre trio. Woo Di est
divorcé. Lorsque je lui fais part de ma curiosité vis-à-vis du
rituel chinois, et de mon envie d'assister un jour à un mariage, il
m'affirme ironiquement que « non je ne veux pas »,
ajoutant que les mariages chinois sont un interminable et
insoutenable protocole, une singerie hypocrite telle qu'on n'en
souhaiterait pas même à son pire ennemi. Et du coup, pris par le
flot des relations humaines, je ne travaille pas ce jour-là. Rilke
avait raison : la solitude est la meilleure arme du poète, la
compagnie des hommes est un obstacle à la créativité. Néanmoins,
j'apprécie le retour à une vie sociale après ces semaines de
solitude.
Á
la table d'à côté, il y a deux filles, dont une brune superbe.
Deux espèces de branleurs de la première espèce leur tournent
autour. Il y a ce type avec une crête, qui pue la mort : c'est
le cliché du connard qui se la joue cool
pour tirer sa crampe. La brune n'a d'yeux que pour lui. Je les verrai
plusieurs jours procéder à leur manège, sans jamais savoir ce qui
en aura découlé. Je me fais toutefois la remarque que ce type est
hallucinant, à voyager comme ça avec sa crête. Il me fait penser
aux dreadeux
d'Inde, en pire. Lorsque je suis à Lyon, je suis la plus belle pour
aller danser, je peux passer une heure à me coiffer, à m'habiller,
je suis obsédé par mon apparence. Mais ici, en Chine, en voyage,
qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Je me rase le crâne, je prends
mes vêtements les plus usés parce que je vais les bousiller de
toute façon, et vogue-la-galère ! Quel besoin a-t-il,
celui-là, de se la ramener jusque dans le Yunnan avec son
attitude ?!
Mais pendant que ce petit groupe pratique le tourisme et vit ici ce
qu'il vit là-bas, je me lie avec ces Chinois et ce Japonais, qui
m'en apprennent tant sur leurs cultures respectives qu'il m'est
impossible de tout noter…
Après
cela, je reçois un long email de ma princesse indienne, elle-même
en pleine thérapie, brassée par les révélations qu'elle se fait à
elle-même et à vrai dire tout à fait déprimée. Elle a, de
surcroît, trouvé moyen de s'engueuler avec ma meilleure amie. Elle
n'a rien trouvé de plus intelligent à faire que de lui dire qu'elle
n'aurait jamais dû garder son enfant, que c'est gâcher deux vies
que d'imposer un enfant à un père récalcitrant. C'est un peu
brutal, me semble-t-il, mais il vaut mieux ne pas se mêler des
catfights.
Je voudrais bien être près d'elle pour lui apporter quelque
réconfort, tout en lui remettant gentiment les idées en place. Mais
je ne peux que lui envoyer des mots doux, alors je m'exécute. Ô
combien ma princesse s'empresse de juger les choses à la hâte,
d'avoir un avis sur tout, de parler lorsqu'elle devrait réfléchir…
Cet aspect de sa personnalité, je l'avais déjà entraperçu, et je
découvrirai par la suite que je ne suis pas au bout de mes peines.
Mais ce qui se joue surtout ici c'est une rivalité qu'elle ressent
entre elle et mon amie, rivalité dont mon amie et moi savons qu'elle
n'a pas lieu d'être. Mais comment convaincre une princesse indienne
obstinée ? Je repousse la tâche à plus tard, me contente
d'atténuer ses propos et de prier pour qu'elle passe à autre chose.
Je ne me sens que petit agneau, petit agneau qui voudrait gambader et
brouter en paix, qui aimerait bien qu'on arrête de le prendre à
parti, de chercher des complications là où il n'y en a pas !
Je suis tellement en paix, ici à Lijiang, et c'est bon ! Les
rencontres du voyageur sont éphémères, dépourvues d'enjeux.
L'échange, dès-lors, est tout à fait désintéressé, juste pour
le plaisir. Et il est trop bref pour permettre que l'on commence à
poser des jugements sur l'autre (ou alors on s'évite dès le départ,
comme moi et le branleur à crête). Oui, décidément, cette vie
de voyageur me plaît. Peut-être devrais-je songer sérieusement à
organiser mon existence de manière à la pratiquer davantage !
Toujours
est-il que la journée s'écoule et que lorsque arrivent dix-neuf
heures, je ne suis absolument pas disposé à laisser un bus
m'emporter loin d'ici. Alors je reste en me jurant de partir le
lendemain.
Prochaine
expérience : The Lijiang Experience (Pt. 15).
3 commentaires:
Que du bonheur ! Si heureuse de pouvoir te lire à nouveau . Merci Shaomi.
bon on attend la suite !!!!
Nostalgie ? ;)
Enregistrer un commentaire