Décollage
ici.
Expérience
précédente : The Lijiang Experience (Pt. 8).
07
octobre 2002 – 02 novembre 2002 : The Lijiang Experience,
Lijiang (Yunnan).
Neuvième
jour. Panique parce que je crois avoir perdu ma carte bleue, et de
toute façon j'aurais aussi bien fait ! Une fois la carte
retrouvée, ces bâtards de la Société Générale interdisent en
effet à la Bank of China de me donner le moindre jiao (je suis en
découvert, parait-il…) ! Scandalisé, je change mon ultime
traveller's cheque et conçois le plan de me faire envoyer de
l'argent de France via Western Union, genre une avance de ma famille
pour mon anniversaire et Noël. J'avais en effet calqué mon budget
sur le modèle de mon voyage en Inde, mais force est de constater que
la Chine coûte cher, et aussi que je n'ai pas le goût de voyager
dans des conditions aussi extrêmes que la première fois. Cette nuit
pourtant, j'ai rêvé que je chantais sur scène avec Prince et Larry Graham et qu'Alfred (le valet de Batman) était mon domestique, mais
ces rêves de millionnaire sont décidément bien éloignés de la
réalité. Pour couronner le tout, il pleut et il fait gris ! Je
vais noyer mon désespoir dans un café au Prague, et le mélange de
jazz et de trip-hop qu'on y diffuse ce jour-là me soulage
immédiatement.
Comme
je me remets à L'incident
Œdipe (inédit),
il se produit un de ces moments vraiment magiques que connaissent les
écrivains. Je travaille sur une scène durant laquelle Sonia
(l'héroïne du roman) se trouve emportée dans un torrent de drogues
et de sensualité, lorsque la serveuse mets Protection
de Massive Attack. La musique colle tant et si bien à ce que je suis
en train d'écrire que, déjà envoûté par mon récit, je me
retrouve totalement en phase avec mon personnage. C'est une
adéquation parfaite entre ce que vit Sonia, ce que je ressens en le
décrivant, la musique et l'atmosphère tout entière de ce petit
café pendant une heure. Ce genre de moments est la véritable
récompense de l'artiste. La satisfaction d'être publié, les
éloges, le fait d'être lu et reconnu… Tout ceci a son importance
mais n'est que pacotille en comparaison de ces instants
d'auto-envoûtement !
Et
ça y est ! C'était la dernière scène (pas du roman, car la
fin avait été écrite auparavant, mais la dernière à écrire). Il
y aura bien-sûr nombre de corrections et de retouches, mais
l'écriture de mon premier roman est terminée ! Lorsque j'ai
commencé, la composition d'un roman me faisait l'impression d'une
montagne infranchissable. C'était en 1997. Nous sommes en 2002. Je
viens de gravir la montagne !
Je
sors comblé de cette session d'écriture. Dans la foulée, je
rebondis et je parviens enfin à composer Alchimie
(inédit), la fameuse
chanson à propos de la Québécoise. L'opération comporte quelques
difficultés techniques avec mon nouveau stylo : après la pile
qui dure cinq minutes des Mongols, je découvre le stylo qui dure
cinq pages des Chinois ! Dans la foulée, je rédige aussi les
synopsis complets
de deux futurs albums de mes projets BD Épeira
et de Warp.
Le synopsis du troisième album d'Épeira
comporte un personnage assez épouvantable et comme je n'en ferai
jamais rien, autant raconter cela ici. Il s'agit d'une sorte de
baba-yaga
qui vit dans une maison isolée en Russie. Victime d'une malédiction,
elle est condamnée à vivre éternellement, et ce dans l'isolement
car sa vue provoque une terreur irrépressible chez n'importe quel
mortel. La sorcière, pourtant, ressent la faim et la soif, ne peut
donc vivre sans l'assistance de son fils, un colosse aux frontières
de la débilité mentale. Mais ses enfants, quoi qu'eux aussi
immortels, ne peuvent vivre normalement au-delà de trente ans :
après cet âge, leur intelligence décroit et ils deviennent des
sortes de zombies anthropophages. On découvre finalement que, tous
les quinze ans, la sorcière envoie son fils capturer un homme,
qu'elle drogue et viole afin d'accoucher d'un nouvel enfant. Le
géniteur est ensuite livré aux enfants-zombies, qui vivent dans un
réseau de galeries souterraines sous la maison. Lorsqu'elle accouche
d'une fille, le bébé est lui aussi livré aux zombies et la
sorcière s'empare d'un autre homme, jusqu'à obtenir un enfant mâle.
Trois ans plus tard, je réutiliserai l'idée de la galerie
souterraine et des zombies dans Ganesh,
mais sur le ton de la comédie.
Cette
nuit-là, je m'endors comme un bébé, bercé par la satisfaction
d'avoir terminé mon premier roman.
Prochaine
expérience : The Lijiang Experience (Pt. 10).
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