Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002.
Décollage
ici.
Expérience
précédente : The Lijiang Experience (Pt. 7).
07
octobre 2002 – 02 novembre 2002 : The Lijiang Experience,
Lijiang (Yunnan).
Huitième
jour. Au réveil, je note comme chaque jour mes rêves de la nuit.
Cette fois-ci, Reno Bistan devenait guitariste de Shoona Sassi.
J'estime beaucoup Reno, que ce soit en tant qu'être humain ou en
tant que musicien, mais nos univers sont à ce point différents,
tant musicalement que textuellement, que l'idée est tout à fait
saugrenue…
Je
me décide à aller voir à quoi ressemble la partie
« contemporaine » de Lijiang. Elle n'est guère plus
reluisante que n'importe quelle autre ville chinoise, mais c'est tout
de même assez propre et moderne en comparaison de Hohot ou Erenhot.
Ça sera ma seule escapade au dehors de la vieille ville. Il y a
pourtant des sites touristiques de renom dans les parages (les
« gorges du Tigre » ou je ne sais quoi, et autres sites
plus ou moins naturels). Mais je n'éprouve aucun désir d'aller
m'émerveiller ailleurs puisque tout m'émerveille ici. Et puis
j'aurai bien le temps de replonger dans l'aventure dans le Guizhou,
lors de ma visite aux Miaos et aux Dongs. Après une halte au Dadawa
Café, je fais le tour des disquaires. Á
dix yuans le CD, je songe à faire de sérieuses courses avant de
partir, que ce soit en musique chinoise ou occidentale. Je file
ensuite à mon bien-aimé Prague Café, croisant au vol une nouvelle
ronde naxi. Tout autour, des touristes chinois et occidentaux
matraquent la scène de leurs appareils photo. Je trouve ridicule
cette habitude de tout photographier, comme si la mémoire était
défaillante sans clichés. Je dis ça mais les notes que je prends
quotidiennement sont une forme de photographie...
Mon
roman n'est pas terminé mais déjà je prends des notes sur la bande
dessinée Warp.
L'éditeur Pointe Noire est vivement intéressé par ce projet de SF,
en collaboration avec le dessinateur Arden, et je dois encore y
travailler (j'apprendrais à mon retour que Pointe Noire a profité
de mon escapade pour faire faillite !). La serveuse du Prague
Café joue un CD de la Mano Negra, sacrilège qui brise
temporairement l'atmosphère sereine du lieu, mais Dieu merci cela ne
dure pas. Je travaille longuement au roman, puis Lu se pointe et nous
entamons une nouvelle conversation. Cette fois-ci j'ai droit à
l'histoire de ses parents. Ils se sont rencontrés sur l'île de
Heinan (où je me rendrai en 2009) mais ont très vite été séparés
par le régime communiste et leurs obligations professionnelles. Le
père fut envoyé par ici pour travailler à des essais nucléaires,
la mère par là pour faire Dieu sait quoi (je ne le note pas). Lu a
donc été élevée en grande partie par ses grands-parents (pratique
courante en Chine). Elle a une petite sœur, née juste avant la
politique de l'enfant unique. Lorsqu'elle était gosse, les familles
avaient des tickets de rationnement et la vie était autrement plus
dure qu'aujourd'hui. Cette Chine d'antan, fermée au monde et soumise
aux plus grandes restrictions, je ne la connaîtrai jamais. Nous
abordons ensuite l'histoire du pays, et plus particulièrement la
Révolution Culturelle.
Photo : Dr. Ma Pingke |
J'ai
étudié la question avant mon voyage : les souffrances du
peuple chinois depuis un ou deux siècles dépassent l'entendement.
Affaiblie par ses deux « Guerres de l'Opium » contre les
forces européennes, la Chine sombre de 1854 à 1861 dans la Révolte
des Taiping. Cette guerre civile, fomentée par un fou qui se prend
pour la réincarnation du Christ et qui profite du mécontentement
populaire, coûte la vie à vingt ou trente millions de Chinois !
Les choses se calment un peu jusqu'à la chute de l'empire et
l'avènement de la République en 1911. À partir de là, c'est une hystérie presque sans trêve ! La
République entre en conflit avec différents « seigneurs de
guerre », le pays est vite déchiré. En 1927, la guerre civile
entre communistes et républicains (un ou deux millions de morts)
vient s'ajouter au chaos ambiant. Les Japonais profitent de ce bordel
pour envahir la Mandchourie en 1931, puis à partir de 1937 le reste
de la côte Est, massacrant la population pour un oui ou pour un non.
La Seconde Guerre Mondiale commence en fait ici (et non en 1939,
comme le voudrait l'ethnocentrisme européen) et la Chine en sortira
délestée de douze millions de citoyens supplémentaires. À
peine les Japonais sont-ils expulsés en 1945 que la guerre civile
reprend de plus belle (quatre millions de morts), jusqu'à la
victoire communiste de 1949.
Le
pays connaît quelques années de stabilité, puis la politique de
Mao sombre dans une idiotie systématique. Entre 1958 et 1960, la
réforme économique dite du « Grand Bond En Avant » est
lancée. Il s'agit de « booster » la production agricole
et industrielle mais en fait, l'opération se révèle un désastre
et la Chine flingue complètement son économie. L'agriculture et
l'industrie sont anéanties. La famine et la malnutrition tuent entre
vingt et quarante millions de Chinois en l'espace de quelques années.
Vivement critiqué par ses pairs, Mao organise son come-back,
la fameuse Révolution Culturelle. Pour cela, il soulève la jeunesse
de son pays, ce qui engendre un désordre colossal. Durant dix ans,
le pays est au bord d'une nouvelle guerre civile. Mao restera dans
les annales comme le seul dictateur suffisamment crétin pour avoir
organisé une révolution
contre son propre régime.
Des millions de personnes sont déplacées de force des villes pour
aller travailler à la campagne, l'aveuglement idéologique est
total, l'hystérie collective va parfois jusqu'au cannibalisme et si
le coût en vie humaine est relativement faible au regard des
cataclysmes précédents (plus ou moins un million de morts), la
Chine en est profondément ralentie dans son développement. Pendant
ce temps, les intellectuels parisiens brandissent fièrement le Petit
livre rouge de Mao. La
Révolution Culturelle, pourtant, est un véritable anéantissement
culturel : les abrutis qui la présentent ici comme un modèle
de pureté socialiste seraient les premiers à tomber s'ils étaient
là-bas ! Ce n'est finalement qu'à la mort de Mao, en 1976, que
la Chine commence à se relever, jusqu'au boom économique que l'on
connaît aujourd'hui. En comparaison, et malgré nos deux Guerres
Mondiales, le vingtième siècle européen est une joyeuse partie de
ping-pong !
Au
sujet de la Révolution Culturelle, Lu m'explique que le
conditionnement des mentalités est une pratique bien antérieure à
Mao, que c'est même une tradition millénaire. Les empereurs avaient
besoin d'y recourir afin de garder la main sur un territoire aussi
grand. Selon elle, Mao n'a fait que reprendre cette habitude
impériale. Elle pense que c'était encore un brave homme en 1949,
puis que le pouvoir lui a fait perdre le sens des réalités, et
qu'en outre il était devenu trop vieux pour gouverner. La misère
était telle après le Grand Bond en Avant, me dit-elle, que les gens
se seraient raccrochés à n'importe quel « sauveur » :
Mao a su en tirer parti. Mais il reste le père fondateur du nouvel
« empire » chinois : pas question de le représenter
comme le monstre qu'il était. Ainsi, la Bande des Quatre (sa femme
et trois autres politiciens) sont officiellement responsables de la
Révolution Culturelle. Même si le Parti Communiste admet que Mao a
pu commettre quelques erreurs, il n'en est pas moins considéré
comme une sorte de saint. Lu n'est pas complètement dupe de cette
propagande : internet, malgré la censure, lui offre d'autres
sources d'information, ainsi que des livres importés de Hong Kong
où, bizarrement, la liberté d'expression a plutôt bien survécu à
la rétrocession de 1997. La plupart des Chinois, toutefois, vénèrent
Mao. Au cours d'un récent voyage, Lu a séjourné chez une famille
tibétaine. Même là-bas, Mao trône sur l'autel à côté du
Bouddha, et on les prie tous les deux ensemble.
Prochaine
expérience : The Lijiang Experience (Pt. 8).
1 commentaire:
" Au cours d'un récent voyage, Lu a séjourné chez une famille tibétaine. Même là-bas, Mao trône sur l'autel à côté du Bouddha, et on les prie tous les deux ensemble. "
Cette phrase de fin de chapitre est quasiment hallucinante il me semble ?
C'est drôle, parce qu'il n'y a vraisemblablement aucun équivalent culturel possible à faire valoir, qui puisse soutenir la comparaison ici en France ?
La fameuse icône à idolâtrer afin d'y projeter son imaginaire, ses fantasmes d'une permanence existentielle au travers des générations, ses attentes d'une perfection idéologique ou spirituelle, qui serai à la fois par essence même hors d'atteinte, mais cependant toujours un moyen d'identification accessible au petit peuple et aux "gens simples" ?
C'est un peu comme si en France par exemple les chrétiens (j'allais écrire ici les crétins !) priaient le général de Gaulle et le Christ... sur le même hôtel dans leurs églises ?
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