6 novembre 2015

The China Experience – 19/ The Lijiang Experience (Pt. 8)

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002.

Décollage ici.
Expérience précédente : The Lijiang Experience (Pt. 7).


07 octobre 2002 – 02 novembre 2002 : The Lijiang Experience, Lijiang (Yunnan).

Huitième jour. Au réveil, je note comme chaque jour mes rêves de la nuit. Cette fois-ci, Reno Bistan devenait guitariste de Shoona Sassi. J'estime beaucoup Reno, que ce soit en tant qu'être humain ou en tant que musicien, mais nos univers sont à ce point différents, tant musicalement que textuellement, que l'idée est tout à fait saugrenue…

Je me décide à aller voir à quoi ressemble la partie « contemporaine » de Lijiang. Elle n'est guère plus reluisante que n'importe quelle autre ville chinoise, mais c'est tout de même assez propre et moderne en comparaison de Hohot ou Erenhot. Ça sera ma seule escapade au dehors de la vieille ville. Il y a pourtant des sites touristiques de renom dans les parages (les « gorges du Tigre » ou je ne sais quoi, et autres sites plus ou moins naturels). Mais je n'éprouve aucun désir d'aller m'émerveiller ailleurs puisque tout m'émerveille ici. Et puis j'aurai bien le temps de replonger dans l'aventure dans le Guizhou, lors de ma visite aux Miaos et aux Dongs. Après une halte au Dadawa Café, je fais le tour des disquaires. Á dix yuans le CD, je songe à faire de sérieuses courses avant de partir, que ce soit en musique chinoise ou occidentale. Je file ensuite à mon bien-aimé Prague Café, croisant au vol une nouvelle ronde naxi. Tout autour, des touristes chinois et occidentaux matraquent la scène de leurs appareils photo. Je trouve ridicule cette habitude de tout photographier, comme si la mémoire était défaillante sans clichés. Je dis ça mais les notes que je prends quotidiennement sont une forme de photographie...

Mon roman n'est pas terminé mais déjà je prends des notes sur la bande dessinée Warp. L'éditeur Pointe Noire est vivement intéressé par ce projet de SF, en collaboration avec le dessinateur Arden, et je dois encore y travailler (j'apprendrais à mon retour que Pointe Noire a profité de mon escapade pour faire faillite !). La serveuse du Prague Café joue un CD de la Mano Negra, sacrilège qui brise temporairement l'atmosphère sereine du lieu, mais Dieu merci cela ne dure pas. Je travaille longuement au roman, puis Lu se pointe et nous entamons une nouvelle conversation. Cette fois-ci j'ai droit à l'histoire de ses parents. Ils se sont rencontrés sur l'île de Heinan (où je me rendrai en 2009) mais ont très vite été séparés par le régime communiste et leurs obligations professionnelles. Le père fut envoyé par ici pour travailler à des essais nucléaires, la mère par là pour faire Dieu sait quoi (je ne le note pas). Lu a donc été élevée en grande partie par ses grands-parents (pratique courante en Chine). Elle a une petite sœur, née juste avant la politique de l'enfant unique. Lorsqu'elle était gosse, les familles avaient des tickets de rationnement et la vie était autrement plus dure qu'aujourd'hui. Cette Chine d'antan, fermée au monde et soumise aux plus grandes restrictions, je ne la connaîtrai jamais. Nous abordons ensuite l'histoire du pays, et plus particulièrement la Révolution Culturelle.

Photo : Dr. Ma Pingke


J'ai étudié la question avant mon voyage : les souffrances du peuple chinois depuis un ou deux siècles dépassent l'entendement. Affaiblie par ses deux « Guerres de l'Opium » contre les forces européennes, la Chine sombre de 1854 à 1861 dans la Révolte des Taiping. Cette guerre civile, fomentée par un fou qui se prend pour la réincarnation du Christ et qui profite du mécontentement populaire, coûte la vie à vingt ou trente millions de Chinois ! Les choses se calment un peu jusqu'à la chute de l'empire et l'avènement de la République en 1911. À partir de là, c'est une hystérie presque sans trêve ! La République entre en conflit avec différents « seigneurs de guerre », le pays est vite déchiré. En 1927, la guerre civile entre communistes et républicains (un ou deux millions de morts) vient s'ajouter au chaos ambiant. Les Japonais profitent de ce bordel pour envahir la Mandchourie en 1931, puis à partir de 1937 le reste de la côte Est, massacrant la population pour un oui ou pour un non. La Seconde Guerre Mondiale commence en fait ici (et non en 1939, comme le voudrait l'ethnocentrisme européen) et la Chine en sortira délestée de douze millions de citoyens supplémentaires. À peine les Japonais sont-ils expulsés en 1945 que la guerre civile reprend de plus belle (quatre millions de morts), jusqu'à la victoire communiste de 1949.

Le pays connaît quelques années de stabilité, puis la politique de Mao sombre dans une idiotie systématique. Entre 1958 et 1960, la réforme économique dite du « Grand Bond En Avant » est lancée. Il s'agit de « booster » la production agricole et industrielle mais en fait, l'opération se révèle un désastre et la Chine flingue complètement son économie. L'agriculture et l'industrie sont anéanties. La famine et la malnutrition tuent entre vingt et quarante millions de Chinois en l'espace de quelques années. Vivement critiqué par ses pairs, Mao organise son come-back, la fameuse Révolution Culturelle. Pour cela, il soulève la jeunesse de son pays, ce qui engendre un désordre colossal. Durant dix ans, le pays est au bord d'une nouvelle guerre civile. Mao restera dans les annales comme le seul dictateur suffisamment crétin pour avoir organisé une révolution contre son propre régime. Des millions de personnes sont déplacées de force des villes pour aller travailler à la campagne, l'aveuglement idéologique est total, l'hystérie collective va parfois jusqu'au cannibalisme et si le coût en vie humaine est relativement faible au regard des cataclysmes précédents (plus ou moins un million de morts), la Chine en est profondément ralentie dans son développement. Pendant ce temps, les intellectuels parisiens brandissent fièrement le Petit livre rouge de Mao. La Révolution Culturelle, pourtant, est un véritable anéantissement culturel : les abrutis qui la présentent ici comme un modèle de pureté socialiste seraient les premiers à tomber s'ils étaient là-bas ! Ce n'est finalement qu'à la mort de Mao, en 1976, que la Chine commence à se relever, jusqu'au boom économique que l'on connaît aujourd'hui. En comparaison, et malgré nos deux Guerres Mondiales, le vingtième siècle européen est une joyeuse partie de ping-pong !

Au sujet de la Révolution Culturelle, Lu m'explique que le conditionnement des mentalités est une pratique bien antérieure à Mao, que c'est même une tradition millénaire. Les empereurs avaient besoin d'y recourir afin de garder la main sur un territoire aussi grand. Selon elle, Mao n'a fait que reprendre cette habitude impériale. Elle pense que c'était encore un brave homme en 1949, puis que le pouvoir lui a fait perdre le sens des réalités, et qu'en outre il était devenu trop vieux pour gouverner. La misère était telle après le Grand Bond en Avant, me dit-elle, que les gens se seraient raccrochés à n'importe quel « sauveur » : Mao a su en tirer parti. Mais il reste le père fondateur du nouvel « empire » chinois : pas question de le représenter comme le monstre qu'il était. Ainsi, la Bande des Quatre (sa femme et trois autres politiciens) sont officiellement responsables de la Révolution Culturelle. Même si le Parti Communiste admet que Mao a pu commettre quelques erreurs, il n'en est pas moins considéré comme une sorte de saint. Lu n'est pas complètement dupe de cette propagande : internet, malgré la censure, lui offre d'autres sources d'information, ainsi que des livres importés de Hong Kong où, bizarrement, la liberté d'expression a plutôt bien survécu à la rétrocession de 1997. La plupart des Chinois, toutefois, vénèrent Mao. Au cours d'un récent voyage, Lu a séjourné chez une famille tibétaine. Même là-bas, Mao trône sur l'autel à côté du Bouddha, et on les prie tous les deux ensemble.


Prochaine expérience : The Lijiang Experience (Pt. 8).

1 commentaire:

Lange Dominik a dit…

" Au cours d'un récent voyage, Lu a séjourné chez une famille tibétaine. Même là-bas, Mao trône sur l'autel à côté du Bouddha, et on les prie tous les deux ensemble. "

Cette phrase de fin de chapitre est quasiment hallucinante il me semble ?

C'est drôle, parce qu'il n'y a vraisemblablement aucun équivalent culturel possible à faire valoir, qui puisse soutenir la comparaison ici en France ?

La fameuse icône à idolâtrer afin d'y projeter son imaginaire, ses fantasmes d'une permanence existentielle au travers des générations, ses attentes d'une perfection idéologique ou spirituelle, qui serai à la fois par essence même hors d'atteinte, mais cependant toujours un moyen d'identification accessible au petit peuple et aux "gens simples" ?

C'est un peu comme si en France par exemple les chrétiens (j'allais écrire ici les crétins !) priaient le général de Gaulle et le Christ... sur le même hôtel dans leurs églises ?

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