Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002.
Décollage
ici.
Expérience
précédente : The Lijiang Experience (Pt. 6).
07 octobre 2002 – 02 novembre 2002 : The Lijiang Experience, Lijiang (Yunnan).
Septième
jour. Je me décide à sortir un peu de la vieille ville, juste pour
grimper sur la colline voisine qui comporte un parc. La pluie soudain
m'interrompt, et je me réfugie trempé au Ma Ma Fu's Café. Je me
réconforte ensuite au Camel 3 avec une pizza à trente yuan (c'est à
dire très cher). C'est une pizza aux fruits, d'un goût sucré-salé
curieux mais agréable. Sur la devanture du café, des banderoles
clament « no war in Irak ». Je finis comme chaque jour au
Prague Café où j'écris des heures durant, bercé par The
Million Dollar Hotel
et Charango.
Je
papote également avec une jeune Chinoise dénommée Lu, qui essaie
de me convaincre que la Chine est dans une phase de « communisme
en économie de marché » ou quelque absurdité du genre, et
que l'on reviendra à une économie purement socialiste lorsque la
nation se sera hissé au niveau des pays riches. Mes doutes la
mettent mal à l'aise alors je n'insiste pas : je ne suis pas là
pour juger ni faire de la propagande. Sept ans plus tard, en 2009, je
m'apercevrai que certains Chinois croient toujours à cette fable…
Lu se raconte : son métier de guichetière, qu'elle envisage de
quitter, qui la lasse et la contraint à beaucoup d'heures
supplémentaires. Ses parents qui se sont endettés auprès d'une
banque afin d'acheter un appartement, ce qui est contraire aux
habitudes chinoises (ici, m'explique-t-elle, l'emprunt n'est pas vécu
comme un investissement comme en Europe, mais comme un dernier
recours et un appauvrissement). Lu me décrit un peu les différentes
religions chinoises, ajoute qu'elle n'adhère à aucune d'entre elle,
mais croit en Dieu et en la réincarnation. Selon elle, le bouddhisme
s'est surtout développé en Chine auprès des femmes. Leurs pénibles
conditions de vies (elles étaient officiellement les « esclaves »
de leurs époux) étaient quelque peu adoucies par la perspective
d'une vie meilleure, après réincarnation… Elle considère
d'ailleurs que la condition de la femme ne s'est guère améliorée,
puisqu'elle doit désormais travailler, tout en restant seule
responsable des tâches ménagères et des enfants.
Photo : Dr. Ma Pingke |
La
question des enfants, justement, me taraude. Je n'en n'ai jamais
vraiment trop voulu mais ma princesse indienne, elle, en veut
absolument. Il s'est passé, entre l'Inde et la Chine, quelque chose
d'inouï à ce sujet. En décembre 2001, ma meilleure amie apprend
qu'elle est enceinte. Le père ne veut rien savoir. Elle me demande
si je veux être parrain et l'accompagner tout au long de sa
grossesse car elle ne se sent pas la force de traverser tout cela
toute seule. Je dis oui sans hésiter. Lorsqu'on me demandera plus
tard pourquoi, je dirai simplement que c'est parce qu'elle me l'a
demandé, et c'est aussi simple que ça. Ensuite il y a la Rouquine,
une vieille amie. Je la connais depuis le lycée, alors elle était
une princesse inaccessible mais entre temps, je suis devenu princesse
moi aussi. Elle vit désormais à Angers. Je tente ma chance au cours
d'un échange de SMS. Il suffit parfois d'un texto... Elle m'invite à
lui rendre visite, ce que je fais à la suite d'un premier trip à
Angoulême avec mon collaborateur Christophe Lacaux, à la rencontre
des éditeurs. Elle va mal, je vais mal, mais nous passons une nuit
inoubliable que j'immortaliserai dans le texte Mercure liquide. L'extrême revient puis repart
aussi sec et tout part en couille. La Rouquine vient à Lyon pour
quelques jours. Elle est incapable de me dire qu'elle a besoin que je
m'engage et, incapable de comprendre qu'elle en a autant envie que
moi, je n'ose le faire. Mon apparente désinvolture la blesse, elle
m'insulte, m'accuse peu ou prou d'être l'incarnation
du mal (rien moins !) et part en
claquant la porte. Game over. De ce marasme naît, comme je l'ai déjà raconté, l'idée d'un départ en Chine et une nouvelle étape dans
ma dépression. Les fêtes se font de plus en plus amères, je rase
de plus en plus les murs. Parfois, je rentre seul chez moi et je
pleure.
Bientôt,
ma meilleure amie s'installe chez moi avec ses deux chats : ça
fait quatre avec les miens mais l'appart' est immense donc ça va.
Nous sommes tous deux au bout du rouleau, complètement
au bout du rouleau. Comme un frère et une sœur, nous nous soutenons
merveilleusement dans la traversée de nos tunnels noirs respectifs.
Je pratique l'haptonomie avec elle, me retrouve à attendre cet
enfant comme si c'était le mien. De nos solitudes est en train de
naître quelque chose de magnifique, et nous nous accrochons à cela. Deux à
trois fois par semaines, nous répétons dans mon salon avec
DaBoostemp. Shoona Sassi prend forme, toute ma frustration sexuelle
et affective y passe, notre musique est un immense cri de rage
festif, une danse de vie pour contrer la morbidité qui m'habite.
Nous organisons une mini-soirée Neweden avec d'autres artistes pour
notre premier concert, fin juin. Je ne vis plus que pour trois
choses : le premier concert de Shoona Sassi, la naissance de mon
filleul et mon départ en Chine. Je m'accroche à cette trinité
comme à un fil d'Ariane. Ce sont les seules choses qui m'empêchent
de sombrer tout à fait. Je garderai un souvenir profondément ému
de cette période, parce qu'en dépit de la souffrance qui m'habitait
elle fut belle.
Elle fut belle parce que je m'accrochais à ce à quoi je pouvais
m'accrocher, parce que malgré la dépression je ne me laissais pas
abattre. Ce printemps 2002, cette épopée désespérée, restera
parmi les périodes les plus romantiques
de mon existence.
Prochaine
expérience : The Lijiang Experience (Pt. 8).