29 mai 2015
25 mai 2015
Les enfants de minuit
« (…) when you go
deep inside someone's head, they can feel you in there. »
« They can't stop
us, man! We can bewitch, and fly, and read minds, and turn them into
frogs, and make gold and fishes, and they will fall in love with us,
and we can vanish through mirrors and change our sex... how will they
be able to fight ? »
Salman Rushdie, Les enfants de minuit
22 mai 2015
The China Experience - 10/ The Ulan-Bator Experience (Pt. 3)
Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002.
Expérience
précédente : The Short SteppeXperience.
29
septembre 2002 – 02 octobre 2002 : The
Ulan-Bator Experience (Pt. 3),
Oulan-Bator (Mongolie).
Je
prends de nouveau quelques jours pour me reposer et me réchauffer
dans la confortable guesthouse.
Très vite, je m'aperçois que mon adresse email est inaccessible :
le site de mon fournisseur (thedawn.com) est aux abonnés absents. Je
décide d'attendre quelques jours et de voir si ça remarche. Je
conçois aussi quelques idées pour de futurs projets. J'ai envie de
mettre une photo de Mao Zedong en Mickey Mouse en couverture d’un
futur numéro de Mercure Liquide (comme il faudra
encore deux ans pour que ne sorte le premier numéro, cette idée me
sera passée). Comme Pulsize a renoncé à faire de Small City un film, je caresse
l'idée d'en faire mon second roman pour aller au bout de la
thématique de la vie nocturne abordée dans L’incident
Œdipe (inédit). Pascal, le Suisse,
m'arrache à ces méditations afin de me présenter Mark l’Anglais.
Tous deux insistent pour que je les suive en boite de nuit !
Après trois verres de vodka, je cède et me voilà à l’UB Palace,
le plus gros club de la ville (donc du pays). La clientèle a pour
l’essentiel moins de vingt ans et se régale de mauvaise techno et
de mauvais hip-hop. De temps à autre, un « show » de
quelques minutes interrompt le mix et captive le public : deux
hommes à demi nus qui s’effleurent en dansant un slow,
un concours de celui qui boira le plus vite un litre de bière
cul-sec, des danseuses seins-nus qui gesticulent grossièrement, une
loterie dont les tickets sont nos billets d’entrée, un animateur
qui chante Happy Birthday
à ceux dont c’est l’anniversaire… Bref, nous touchons les
bas-fonds de la ringardise et je noie mon désespoir dans la vodka.
Pascal est décidé à séduire une jeune fille du cru et, comme je
n'ai pas l'intention de le suivre sur ce terrain-là, je continue de
boire jusqu’à m’en rendre malade. Je file aux toilettes et vomis
tout ce que j’ai à vomir lorsque, à peine remis, je tourne la
tête et me retrouve face à Madame Pipi, une petite vieille furieuse
qui fait irruption dans la cabine et me hurle dessus en Mongol avant
de me fourrer une éponge dans les mains. Derrière elle, un vigile
observe la scène d'un air sévère alors, tout à fait effaré,
j’éponge vaguement la cuvette et m'éclipse discrètement. Je
m’écroule ensuite sur une table et comate longuement au son d'une
techno épouvantable. Je ne sais combien de temps je reste ainsi
avachi mais à quatre heures du matin la boite ferme, et il faut
partir. Je tiens à peine debout et m'empresse de vomir tout ce qui
me reste dans les tripes sur le dancefloor.
Vomir est décidément quelque chose de très mal vu en Mongolie car
à présent, ce sont les videurs qui me crient dessus. Leur chef
m’intime de payer une « amende » de trois-mille tögrögs
(environ trois euros) et je suis prêt à leur donner tous les
tögrögs qu’on voudra pourvu qu'on me laisse en paix, sauf qu’un
Australien aussi ivre que moi s'insurge que c’est du vol et que je
ne dois pas payer, et puis voilà qu’un flic arrive et demande ce
qui se passe, alors je m'empresse d'éconduire l’Australien et de
régler ma prune, après quoi nous nous enfournons dans un taxi avec
Pascal et Mark. Pascal est aussi ivre que moi mais lui a une pèche
d’enfer, et il décrète arbitrairement que nous devons aller
manger des oushours
(des beignets au... mouton bouilli !). Dix minutes plus tard,
nous nous retrouvons hilares, en train de nous empiffrer dans un
snack nocturne pendant que vingt-deux jeunes Mongols (j’ai compté)
jouent à un doomlike
en réseau dans l’arrière salle. Je retrouve mon entrain et nous
rendons les serveuses un peu folles parce que nous re-commandons des
oushours
toutes les cinq minutes et ne cessons de faire des blagues qu'elles
ne comprennent pas. Mark, qui veut aller se coucher, nous attend dans
le taxi et vient demander toutes les dix minutes si
on-peut-y-aller-maintenant
et à chaque fois on lui répond que
non-pas-encore-viens-donc-te-joindre-à-nous-on-s’amuse-bien,
et Mark nous rappelle que le-taxi-attend-depuis-tout-à-l'heure
et nous clôturons le débat en expliquant que
le-compteur-tourne-et-il
sera-payé-pour-l'attente et
Mark repart en grommelant, et au bout d’une heure de ce manège
nous finissons par nous décider à regagner la guesthouse
mais
Mark est furieux.
Pascal
doit regagner la Suisse dans quelques jours mais il est tombé fou
amoureux de la Mongolie, où il retournera bientôt (entre temps, il
honorera un rendez-vous galant avec une Mongole rencontrée à l'UB
Palace, qui ne lui accordera au bout du compte que quelques bisous).
C'est avec plaisir que d'un mail à l'autre, nous suivons depuis nos
pérégrinations respectives à travers le monde.
Je
passe les deux jours suivants à coocooner
dans l’appartement. Il fait désormais si froid que je ne sors que
pour manger du mouton bouilli et visiter le musée d’histoire
naturelle de la ville. Ce dernier ne présente guère d'intérêt,
sinon un squelette intégral de tyrannosaure. Hormis cela, on y
trouve diverses bestioles empaillées et tout à l'allure d'un musée
du dix-neuvième siècle laissé à l'abandon. Je retrouve Monica la
Suisse, qui est toujours là, et je passe beaucoup de temps à
discuter avec des gens du monde entier. C’est aussi à ce moment-là
que j’écris le texte Vacances
(inédit),
un rap pour mon groupe Shoona Sassi qui relate mes galères de
voyage, d'Istambul à la Mongolie en passant par la Long Way Home Experience. Je
persiste aussi à faire des rêves bizarres à propos de ma famille.
Il en est un où l’on exhume le cercueil de mon grand-père décédé
en 1979 pour s'apercevoir que, vingt-trois ans après sa mort, il
respire encore, comme une sorte de vampire. Je songe également à la
suite de mon voyage. Que faire à présent ? Je dois toujours
aller à la rencontre des Miaos et des Dongs. Mais avant de me lancer
dans l’exploration de villages isolés et difficiles d'accès, je
m'offrirais bien une semaine dans un coin touristique et paisible au
Sud de la Chine, histoire de me poser un peu et de reprendre le
soleil. L’air de rien, cela fait un mois que je cours dans tous les
sens, que je m’épuise dans des villes dont on ne parvient pas à
sortir, dans des jeeps surchargées de Mongols, dans des steppes
glaciales… Et puis avec tout ce mouvement, je n’ai pas pu
travailler sérieusement à mes projets littéraires, aussi est-il
impératif que je m’arrête un peu quelque part, ne fut-ce que pour
ça. J’ai besoin d’une petite pause, d’une semaine de détente
et d’écriture. Je me décide pour le Xishuangbhanna, la région
tropicale qui se trouve tout au Sud de la Chine. J’ai presque un
continent à traverser pour y parvenir. Je dis au revoir à mes amis,
déjeune une dernière fois avec Monica et m’engouffre dans un
train pour la Chine en compagnie de Brit l’Allemande et Stéphane
le Français. Ils forment un couple sympathique mais plutôt réservé,
de sorte qu’on ne parle pas des masses. La montée dans le wagon
est une cohue épouvantable et un pickpocket parvient à me dérober
tout l’argent liquide qui me reste (vingt-cinq euros).
Prochaine
expérience : The Long Way South Experience.
Tiroir(s) :
l'incident oedipe,
mercure liquide,
neweden,
roman,
shoona sassi,
small city,
the china experience,
voyage
15 mai 2015
Apesanteur
Après La malédiction du plombier-garou, Justin Chien, Cassandre, Le long halloween et L'homme qui vivait la nuit, voici le sixième des huit récits pour enfants composés fin 2005. Contrairement aux précédents, qui visaient un public 7-12 ans, Apesanteur s'adressait aux tout petits. L'idée m'avait été inspirée par une réplique du film Deux garçons, une fille, trois possibilités, lorsque l'un des personnages, totalement ivre, demande à son colocataire s'il a payé la facture de pesanteur.
APESANTEUR
Voici Monsieur X.
Monsieur X est très négligeant.
Il oublie ses clefs sur sa porte.
Il oublie de promener son chien.
Il oublie de faire la vaisselle.
Il oublie de payer ses factures de téléphone, d’eau et de gaz.
Seulement voilà, il y a une facture qu’il ne faut jamais oublier de payer.
C’est la facture de pesanteur.
Monsieur X met des mots sur le mur de sa chambre pour y penser.
Mais un jour, il y a tellement de désordre que le mur est caché par des piles de vêtements sales.
Comme Monsieur X oublie aussi de relever son courrier, il ne trouve pas la lettre de relance de la société de pesanteur.
Et voilà qu’un beau jour… on lui coupe la pesanteur !
Ce jour-là, Monsieur X ouvre sa porte, et trouve un sacré chaos chez lui.
Les objets et les papiers volent dans tout l’appartement.
Même le chien flotte sans comprendre ce qui lui arrive.
Et lorsqu’il rentre, Monsieur X se met à flotter lui aussi.
Il est bien embêté.
Il téléphone à la société de pesanteur, on lui dit que s’il envoie son chèque tout de suite, la pesanteur sera rétablie dans trois jours.
Dire que Monsieur X avait prévu un dîner chez lui le lendemain !
Il a déjà du mal à retrouver ses affaires d’habitude, mais là c’est vraiment compliqué, avec des choses qui volent partout.
Lorsque les amis de Monsieur X arrivent le lendemain soir, il s’excuse pour l’apesanteur.
Au début, ses amis sont ravis : ils trouvent cela très drôle.
Mais c’est un peu compliqué de manger lorsque la nourriture ne veut pas rester dans l’assiette.
Et c’est compliqué de boire lorsque les liquides se transforment en boules qui flottent dans l’air.
Les amis de Monsieur X ne disent rien, mais ils ne sont plus très amusés.
Le lendemain, Monsieur X ouvre la fenêtre pour aérer, et plein de choses s’échappent de l’appartement et tombent dans la rue.
Les passants ne sont pas content de recevoir les chaussettes de Monsieur X sur la tête.
Ainsi, pendant trois jours, Monsieur X dort au plafond, boit au biberon, et il est obligé de garder ses fenêtres fermées.
Finalement, la pesanteur est rétablie pendant que Monsieur X fait la grasse matinée, il tombe et se fait bien mal.
Ah ça non ! Plus jamais Monsieur X n’oubliera de payer sa facture de pesanteur !
Il envisage même de cesser d’être négligeant.
13 mai 2015
The China Experience - 9/ The Short SteppeXperience
Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002.
22
septembre 2002 - 28 septembre 2002 : The
Short SteppeXperience,
Bayankhongor (Mongolie).
La
petite ville de Bayankhongor est perdue au milieu d’un paysage
idyllique entre steppe, désert et montagnes. Au cours du long trajet
en mini-van, je papote avec Lars, un Allemand. Il a pour projet
d’acheter un cheval et de traverser la frontière sino-mongole
illégalement. Ceci présente quelques risques mais il pense s'en
tirer en prétendant s'être perdu, afin d’obtenir un visa de
tourisme chinois sans passer par la case prison (je saurai plus tard
qu’il y est parvenu). C’est un personnage très agréable, un peu
timide et Souabe (une ethnie allemande dont j’ignorais
l’existence). Il est âgé de vingt ans et se destine à une
carrière de commandant de navires, une vie de voyages qui le séduit
(j’apprendrai plus tard qu’il y est parvenu également). Il a
passé son bac il y a un an, fait son service militaire et entrepris
ce long périple qui l’a conduit en Russie, en Mongolie, bientôt
en Chine et ensuite en Amérique du Sud.
Le
trajet ne se déroule pas sans quelques péripéties. Après
l’inévitable déjeuner de mouton bouilli, un vieillard nous
raconte inlassablement des tonnes de trucs en mongol, que nous ne
comprenons évidemment pas. Ensuite nous repartons sur une route qui
n'en est pas une, puis le mini-van tombe en panne au milieu de nulle
part. Comme personne ne parle anglais, Lars et moi nous demandons ce
qui va bien se passer mais le chauffeur parvient à nous faire
repartir au bout d’une heure. Finalement, vers vingt-et-une heures,
on s’arrête près d’une yourte où nous dînons (encore) du
mouton bouilli, puis on nous fait comprendre que tout le monde va
dormir là. La halte n'avait pas été annoncée au départ mais que
faire ? Nous passons une nuit épouvantable, à même le sol et
sans couvertures. Tout le monde se réveille à sept heures le
lendemain mais pour quelque obscure raison, nous ne repartons pas
avant midi, après que Lars et moi ayons décliné un énième plat
de mouton bouilli. Vers dix-huit heures, le bus s’arrête le temps
que tout le monde vénère un ovoo
(empilement shamanique de cailloux, dont il convient de faire le tour
avant d’y jeter un caillou supplémentaire) et, alors que nous
n'osions plus y croire, nous parvenons finalement à Bayankhongor.
Lars
me propose de camper deux jours en ma compagnie avant de se lancer
dans son périple et j’accepte volontiers. Nous nous retrouvons
donc à quelques kilomètres de la ville, au bord d’un charmant
ruisseau nommé Thuin Gol, dans une vallée verte couverte de fleurs
roses. Le soleil nous réchauffe la journée mais les nuits sont
assez froides : je me demande dors-et-déjà s'il sera possible
de faire durer très longtemps mon expérience en solitaire. C'est
fâcheux, parce que la rivière m’offre une totale autonomie en
termes d’eau (je dispose de pastilles purifiantes), de sorte que je
pourrais m'offrir dix jours de retraite ininterrompue comme je l'avais fait en Inde. Il vole dans les airs des sortes de tipules,
inoffensives et sympathiques, le bruit de l’eau qui coule est une
berceuse incessante. Smooth.
Je passe la première journée à lézarder au soleil en toute
quiétude, abandonné quelques heures par Lars qui est retourné en
ville pour se renseigner à propos de son cheval. Je bois une petite
fiole de vodka et apprécie la légère ivresse qui s'empare de moi,
une heure durant, au milieu de ce paradis. Des Mongols viennent
puiser de l’eau alentour et ne me prêtent aucune attention. Le
deuxième jour, c’est moi qui m'éclipse quelques heures en ville,
le temps de quelques achats et d'un email à ma princesse indienne. À
mon retour, je trouve Lars en compagnie d’un couple de vieillards
qui se sont assis à ses côtés et restent là, sereins et
souriants, sans mot dire. Leur présence bienveillante est très
agréable. Ils sont beaux, cet homme et cette femme qui semblent nous
bénir en silence. Avant de partir, ils nous offrent à chacun une
petite pierre, une sorte de cristal semi-transparent, et s’en vont
bras-dessus bras-dessous dans la steppe.
Il
est temps pour Lars et moi de plier bagage et de partir chacun de
notre côté, lorsque surgit une jeep dont sortent cinq Mongols ivres
morts, parmi eux un flic en uniforme. Lars et moi nous regardons et
nous n’avons pas besoin de nous parler pour comprendre que nous
partageons la même inquiétude. Nous sommes possiblement dans un
très, très gros pétrin. Les hommes s’assoient près de notre
campement. Un seul parle un vague anglais, qui semble être le chef.
Ils se moquent ouvertement de nous, puis le Chef essaie d’obtenir
que nous lui donnions nos passeports. Nous refusons fermement, car
nous serions alors tout à fait à leur merci. Leur présence semble
durer une éternité et la tension monte rapidement, bien que Lars et
moi nous efforçons de dissimuler notre peur et de faire semblant de
bien nous amuser avec eux. Ils nous invitent (c’est davantage une
exigence qu’une invitation) à boire de leur vodka, puis deux
adolescents passent avec un cheval et le Chef les appelle. Les deux
jeunes sont de toute évidence aussi terrifiés que nous, peut-être
à cause de l’uniforme. Le Chef exige que Lars fasse un tour de
cheval et donne en contrepartie cinq dollars aux adolescents. Tout le
monde s’exécute et les ados partent avec un soulagement visible
lorsque le Chef leur signifie qu’ils sont libres. Comme quatre de
nos oppresseurs se marrent bien, notre seule chance d’échapper au
désastre est de jouer le jeu de la complicité, de sorte à ce
qu’ils nous trouvent assez sympathiques et renoncent à nous piller
et à nous passer à tabac. Mais notre principal souci est le
cinquième membre de leur groupe : un colosse. Les Mongols sont
balaises et n’importe lequel des cinq pourrait nous réduire en
bouillie, mais celui-ci est vraiment immense, un monstre d'un mètre
quatre-vingt-dix, tout en muscles. Il semble encore plus ivre que ses
compères et lui ne rigole pas du tout. Il se contente tout du long
de nous dévisager d'un air haineux, marmonnant de temps en temps
quelque grognement peu aimable, et caressant de toute évidence le
rêve de fracasser le crâne de ces deux « riches »
européens. Au bout d’une demi-heure de ce manège, ils se décident
finalement à partir et nous soupirons de soulagement en voyant la
jeep de fondre dans l’horizon. Nous songeons qu’ils pourraient
bien revenir après la tombée de la nuit et convenons qu’il est
urgent de disparaître. Nous finissons d’emballer nos affaires et
nous souhaitons bonne chance avant de filer aussi vite que nos jambes
ne nous le permettent, lui au Sud et moi au Nord.
Je
marche un moment le long de la rivière, avec mon sac sur le dos,
lorsque arrive une autre jeep. Deux hommes sont à bord et ceux-ci
semblent tout à fait inoffensifs. Ils veulent que je monte avec eux
et je m’efforce de leur faire comprendre que je dois suivre la
rivière. Comme ils acquiescent, je pense qu’ils ont compris et
qu’ils vont me conduire plus loin, ce qui m’arrange. Mais à
peine suis-je monté que la jeep part dans une autre direction. Nous
parvenons à leur yourte. Là, une femme les engueule, visiblement
contrariée par cet invité-surprise. Mais les deux hommes veulent
que je reste et comme je me vois reparti à bouffer du mouton bouilli
matin et soir, je m’en vais en remerciant poliment. Ils me courent
après, m'attrapent par le bras, m’offrent de boire de la vodka, me
demandent si je peux leur donner des dollars et Dieu sait quoi
encore. Après l’épisode des cinq ivrognes, je suis comme qui
dirait un peu à cran et à ce stade, j’ai vraiment envie de me
faire mon trip tout seul dans la steppe. Mais ils insistent
lourdement et comme ils ne m'effraient pas, je finis par hurler « I
WANT TO GO!!! ». Il doit y avoir une telle détermination et un
tel désespoir dans ma voix qu’ils me remettent illico dans la jeep
et me ramènent à la rivière. Je suis navré d’avoir eu à crier
mais depuis déjà trois semaines, je suis en quête de cette
expérience de camping en solitaire : l’idée de devoir la
repousser encore m'est insupportable.
Je
trouve un endroit approprié pour la nuit, monte ma tente et dîne
avant de dormir quatorze heures ! Le lendemain, je lève le camp
et m’éloigne encore davantage de la ville (qui a déjà disparu de
l’horizon), jusqu'à trouver un autre point d’ancrage. Seules au
loin, quelques yourtes marquent encore une présence humaine. Le ciel
par contre est gris désormais, et la température baisse
dangereusement. Cette vallée qui, la veille encore, semblait si
douce et si belle, a pris une tout autre couleur sous les nuages. La
pierre prend le dessus sur l'herbe verte, et le paysage semble
soudain désolé, vaguement angoissant. Je passe une partie de la
journée à relire et à corriger L’Incident
Œdipe
(inédit), mon premier
roman presque terminé, que j’ai décidé d'achever pour de bon
durant ce voyage. Les feuilles dactylographiées se couvrent de
ratures au fur et à mesure que je remplace des mots par d’autres
et déplace des virgules. Le soir, la situation devient vraiment
inconfortable : une tempête de sable éclate et j’en prends
plein la figure avant de constater qu’il m’est impossible de
faire fonctionner mon réchaud à gaz à cause du vent. Je finis par
faire cuire mon riz à l’intérieur de la tente, mais le vent la
courbe et je manque de peu d'y mettre le feu (une partie du tissu de
la « porte » intérieure s’enflamme, mais je parviens à
éviter la catastrophe). La nuit est tellement glaciale et le sol est
si dur que je peine à dormir. Je voudrais bien au moins lire ou
écouter de la musique mais je constate que ma lampe de poche et mon
walkman sont inutilisables : les Mongols ont inventé les
piles qui durent cinq minutes !
Le lendemain matin, à bout de nerfs, je me demande si je dois partir
ou rester. Le soleil est bien revenu mais je pressens une baisse de
température continue. Il me faut bien admettre que la steppe mongole
est différente du désert indien. Ici, je suis en lutte perpétuelle
contre les éléments : impossible de trouver la paix que je
recherche.
Je
persiste et passe une seconde nuit épouvantable. Dès l'aube, je
replie ma tente avec les pires difficultés, car j’ai les doigts
gelés, et reprends le chemin de la ville. Malgré le poids de mon
barda, je marche sans halte durant plus de trois heures, parvenant
finalement à rejoindre Bayankhongor. Là, j’attends deux bonnes
heures une jeep susceptible de me conduire à Oulan-Bator. Avant de
partir, le chauffeur nous fait faire trois fois le tour de la ville
pour prendre d’autres passagers et faire les habituels trucs et
machins incompréhensibles : descendre, aller Dieu sait où et
revenir avec Dieu sait qui ou Dieu sait quoi ou parfois même rien ni
personne… Au bout du compte, nous nous retrouvons neuf dans la jeep
de cinq places, et la corpulence naturelle des Mongols n’arrange
rien. Tassée contre moi, une jeune femme se fait draguer tout du
long par le jeune homme qui est à ses côtés. Je m'en
contreficherais s'il ne finissait par passer son énorme paluche
autour de la taille de la jeune fille. Ainsi, je me retrouve encore
un peu plus compressé par cette main inopportune, qui me vole encore
quelques centimètres d’espace vital. En tout et pour tout, le
trajet dure dix-neuf heures ! Dix-neuf heures ininterrompues
(mis-à-part les haltes-mouton-bouilli) écrabouillé entre une
Mongole et une porte de jeep, à bondir sur des sentiers de terre pas
entretenus pendant que le chauffeur – ô comble de l'horreur –
écoute de la pop mongole à fond les ballons. Il faut comprendre que
la pop mongole est le genre musical le plus épouvantable jamais
conçu par l'homme ! J’ai lu que les Mongols écrivent
davantage de chansons d’amour à l’attention de leurs chevaux que
de leurs femmes et, quoi que ne comprenant rien aux paroles, je n'en
doute pas un seul instant. Toutes ces chansons respirent le cavalier
à cheval dans la steppe et, au bout de dix-neuf heures, c’en est à
gerber de mièvrerie hippique. La jeep me dépose finalement devant
la guesthouse
de Nassan à cinq heures et demie du matin, non sans avoir fait le
tour d’Oulan-Bator en long en large et en travers. Une jeune et
jolie Suédoise m’accueille avec un grand sourire et c'est comme un
enchantement après tout ce bordel. Nous discutons une demi-heure,
puis elle file attraper quelque avion pour la Suède. Je me précipite
alors prendre ma première douche depuis une semaine et je dors douze
heures d'affilée.
Prochaine
expérience : The Ulan-Bator Experience (Pt. 3).
Tiroir(s) :
l'incident oedipe,
roman,
the china experience,
voyage
5 mai 2015
The China Experience - 8/ The Ulan-Bator Experience (Pt. 2)
Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002.
18
septembre 2002 – 21 septembre 2002 : The
Ulan-Bator Experience (Pt. 2),
Oulan-Bator (Mongolie).
Interlude. À
la guesthouse
de Nassan, je suis accueilli par trois Allemands et un Français du
prénom de Max. Je prends, enfin, une looooongue douche chaude, qui
réchauffe un peu mes os cryogénisés. Je ressors consulter mes
emails en oubliant mes clefs. À mon retour, on m’accueille dans un
autre appartement de la guesthouse
où je passe un moment sympathique en compagnie d’autres voyageurs,
jusqu'à-ce que quelqu’un réintègre mes pénates. Max est de
Bordeaux et, comme je suis lyonnais, il me fait part de sa
fascination pour les groupes High Tone et Kaly Live Dub. C’est à
peine s’il n’entre pas en transe lorsque je lui annonce que ce
sont mes voisins et que je connais assez bien quelques-uns d’entre
eux ! Plutôt amusant de rencontrer un fan de mes voisins en
Mongolie ! Le lendemain, je deviens pote avec Pascal, un Suisse
adorable qui va bientôt m’entraîner dans l’une des aventures
les plus amusantes de mon périple mongol. Comme je suis un peu
malade, je prends le temps de glander un peu à Oulan-Bator, de
rencontrer les gens et de flâner en ville. Un pickpocket tente sa
chance au supermarché et s'enfuit bredouille sous mes invectives.
Puis je me décide à filer au Sud, vers le Grand Gobi, que j’espère
moins froid que les steppes nordiques.
Prochaine
expérience : The Short SteppeXperience.