Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002.
04
septembre 2002 – 07 septembre 2002 : The
Great Leap Forward Experience,
de Lyon (France) à Hohot (Mongolie Intérieure) en passant par
Munich (Allemagne), Shanghai (Shanghai) et Beijing (Beijing).
Ma
princesse indienne m'enlace longuement et pleure même un peu. Je lui
promets que ces trois mois passeront vite (pieux mensonge : je
m'apprête à manipuler le continuum spatio-temporel, à transformer
trois mois en une éternité). Le temps d'embarquer, me voici dans
l’avion qui me mène à Munich, d'où je saute dans un autre en
direction de Shanghai. Tout me semble totalement irréel, à
commencer par le fait que je serai en Chine dans moins de
vingt-quatre heures. Je pensais que le fait de l’avoir « déjà
fait » rendrait les choses différentes et pourtant je ressens
exactement la même chose qu’au départ pour l'Inde. Le même
frisson. La même petite appréhension. La même excitation. La même
joie immense d'accomplir quelque chose de dingue et d'inédit !
Le transit à Munich est rapide et à peine me suis-je installé dans
le second avion (le vrai !) qu’une passagère chinoise
m’indique du doigt une pièce de deux euros, à mes pieds. Je n’en
ferai rien là-bas, mais cela me renvoie immédiatement à l’épisode du bouton, du fil et de l’aiguille. Dieu kiffe les private
jokes. Je souris.
Je
voudrais converser avec la vieille Chinoise. Ça serait la
chose logique
à faire. Mais je suis trop remué intérieurement. Je ne parviens
pas à sortir de ma bulle. Évidemment, je ne dors pas une seconde
durant les douze heures de vol. Comme la fois d’avant, comme les
fois d’après, la première sensation au sortir de l’aéroport
est celle d’être enlacé par l’air-cocon, moite et épicé de
l’Asie. Pas de contemplation mystique comme à Karachi : sans
vraiment réaliser où je suis, je saute dans une navette et m’étonne
en chemin des gratte-ciels aux formes arrondies, aux couleurs
d’émeraudes et de rubis. Là où nos tours semblent n’avoir été
construites que pour être là, sans raffinement, simples pics de
béton et de verre érigés en sexes triomphants de l'Occident, les
tours de Shanghai rivalisent de couleurs et d’audace
architecturale. La navette me dépose près de la gare et je teste
mon accent chinois en répétant « wo-tche-djanne ? »
à des autochtones serviables, qui m’indiquent le chemin. Je me
débrouille pour acheter un billet pour Beijing et poireaute devant
la gare, assommé de fatigue et fasciné par des mouches aux
carapaces vertes argentées, exactement semblables aux gratte-ciels.
Un jeune chinois anglophone vient s’asseoir à côté de moi et
nous conversons une demi-heure. Premier contact. De ce que nous nous
disons, je ne garderai aucun souvenir.
Mon
train démarre à vingt heures trente. Comme en Inde, des marchands
arpentent les wagons en clamant leurs slogans mais la comparaison
s’arrête là. À
ma grande surprise, la ligne Shanghai-Beijing est aussi moderne et
confortable qu’un TGV, avec en bonus les hauts parleurs qui
diffusent de la pop chinoise. Entre les sièges, un long tapis rouge
se déroule comme pour signifier aux voyageurs qu’ils sont
importants et reçus avec les égards qui leur sont dus. Une femme me
demande d’où je viens et me souhaite un « wonderful time in
China » avec un grand sourire sincère. J’écoute les gens
parler et immédiatement, je tombe amoureux des sonorités de cette
langue chantante, tout en « sshh » et en « jjhh ».
Le trajet doit durer quinze heures et je ne descendrai de ce train
que pour sauter dans un autre, alors je m’autorise à sombrer dans
un sommeil réparateur…
Le
train me dépose à quatorze heures trente et je ne repars qu’à
vingt-et-une heures trente. Mon plan est de me rendre directement en
Mongolie et d’y passer deux ou trois semaines, puis de revenir en
Chine pour rendre visite aux Miaos et aux Dongs. Je prévois tout de
même de faire une petite halte à Hohot, capitale de la province
chinoise nommée Mongolie Intérieure, histoire de me reposer et
surtout de reprendre mes esprits, un peu comme je l’avais fait au
Temple d’Or d’Amritsar. Au guichet de la gare, je constate que
« Ho-hotte » n’inspire guère le guichetier qui,
lorsque je lui montre finalement le nom de la ville en caractères
chinois, s’exclame « Aaaah ! Hou-heu-ho-teu ! ».
Ma prononciation laisse encore à désirer…
Laissant
mon lourd sac à dos aux bons soins de la consigne, je m’en vais
tuer le temps en centre-ville et, logiquement, vagabonder sur la
place Tian’anmen. Le centre de Beijing est tout en immenses avenues
à je-ne-sais combien de voies, en rues commerçantes aux couleurs de
KFC, McDonald’s et Pepsi Cola… Rien à voir avec le bordel
poussiéreux qui règne partout en Inde : ici, tout est propre
et flambant neuf. Parvenu à Tian’anmen, je peine à me figurer que
seulement treize ans auparavant, sur cette même place majestueuse,
plusieurs centaines de manifestants se faisaient massacrer par
l’Armée Populaire de Libération. Au
voisinage des enseignes
américaines, le portrait gigantesque de Mao Zedong veille sur ses
enfants. Sa coupe de cheveux me fait penser aux oreilles de Mickey
Mouse : la boucle est bouclée.
Comme
je me laisse étourdir par la démesure des lieux, le jeune Zhou Yang
m’aborde. Il étudie les beaux-arts et sa promo organise une
exposition à quelques rues de là. J’accepte avec plaisir son
invitation. Les œuvres qu’il me montre sont tout à fait
classiques (au sens chinois du terme). Belles, délicates, habiles
représentations des paysages féeriques, dieux et démons, tigres et
dragons de la Chine de ses ancêtres. On est bien loin des
installations conceptuelles de mes potes beauzardeux
et je m’en réjouis. La
Chine, après cinquante ans de blackout
maoïste, reconquiert enfin son patrimoine. Il faudra en passer par
là avant de pouvoir basculer dans l'art contemporain : pour
rompre avec la tradition, il faut d'abord en posséder une. Avant de
me laisser repartir, un étudiant prend le temps d’écrire mon nom
en calligraphies chinoises sur une feuille d’un beau papier, signe
l’œuvre de son sceau rouge comme le veut la tradition et m’offre
ce souvenir bien à l’abri d’un petit tube en carton.
Il
me faut alors manger et je m’engouffre dans un boui-boui. Je ne
suis encore végétarien que depuis quelques mois, aussi je décide
de m’autoriser quelques incartades et goûte à une sorte de
poulpe. Le problème c’est qu’on me sert ça avec une paire de
baguettes et que je n’ai jamais réussi, en France, à manipuler
ces ustensiles. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé ! Se
produit alors une sorte de miracle : je me saisis des baguettes
et, spontanément, comme si j’avais fait ça toute ma vie, en use à
la perfection. Pourquoi, comment, je l’ignore. J'ignore également
que, durant ces trois mois, je tomberai tant et si bien amoureux des
baguettes que la première chose que je ferai à mon retour sera d’en
acheter et de bannir définitivement la fourchette, cet instrument
grossier, de mon quotidien ! Je mâchonne les tentacules
caoutchouteux en compagnie de quelques étudiants sud-coréens, tout
aussi chaleureux que les Chinois. Je marche ensuite sur ce qui me
semble des kilomètres, fais une sieste sur une pelouse immaculée et
rejoins finalement la gare. Le train est bondé mais les passagers
sont d’une bienveillance sans borne à mon égard. Devant les
toilettes, un écriteau indique en mauvais anglais qu’il est
« interdit de saigner du doigt », ce que je présume être
un avertissement contre le risque de se coincer les doigts dans la
porte (?). Au matin, je découvre un décor bien différent de celui
de la côte : doucement, la steppe s’installe dans le paysage.
Prochaine
expérience : The Hohot Experience.
2 commentaires:
Très agréable à parcours ton style littéraire ...
Moi aussi, j'aurai bientôt "my China experience"!
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