9 mars 2015

The China Experience - 2/ The Great Leap Forward Experience

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002.

Décollage ici.
Expérience précédente : A prelude 2 the China Experience.


04 septembre 2002 – 07 septembre 2002 : The Great Leap Forward Experience, de Lyon (France) à Hohot (Mongolie Intérieure) en passant par Munich (Allemagne), Shanghai (Shanghai) et Beijing (Beijing).

Ma princesse indienne m'enlace longuement et pleure même un peu. Je lui promets que ces trois mois passeront vite (pieux mensonge : je m'apprête à manipuler le continuum spatio-temporel, à transformer trois mois en une éternité). Le temps d'embarquer, me voici dans l’avion qui me mène à Munich, d'où je saute dans un autre en direction de Shanghai. Tout me semble totalement irréel, à commencer par le fait que je serai en Chine dans moins de vingt-quatre heures. Je pensais que le fait de l’avoir « déjà fait » rendrait les choses différentes et pourtant je ressens exactement la même chose qu’au départ pour l'Inde. Le même frisson. La même petite appréhension. La même excitation. La même joie immense d'accomplir quelque chose de dingue et d'inédit ! Le transit à Munich est rapide et à peine me suis-je installé dans le second avion (le vrai !) qu’une passagère chinoise m’indique du doigt une pièce de deux euros, à mes pieds. Je n’en ferai rien là-bas, mais cela me renvoie immédiatement à l’épisode du bouton, du fil et de l’aiguille. Dieu kiffe les private jokes. Je souris.

Je voudrais converser avec la vieille Chinoise. Ça serait la chose logique à faire. Mais je suis trop remué intérieurement. Je ne parviens pas à sortir de ma bulle. Évidemment, je ne dors pas une seconde durant les douze heures de vol. Comme la fois d’avant, comme les fois d’après, la première sensation au sortir de l’aéroport est celle d’être enlacé par l’air-cocon, moite et épicé de l’Asie. Pas de contemplation mystique comme à Karachi : sans vraiment réaliser où je suis, je saute dans une navette et m’étonne en chemin des gratte-ciels aux formes arrondies, aux couleurs d’émeraudes et de rubis. Là où nos tours semblent n’avoir été construites que pour être là, sans raffinement, simples pics de béton et de verre érigés en sexes triomphants de l'Occident, les tours de Shanghai rivalisent de couleurs et d’audace architecturale. La navette me dépose près de la gare et je teste mon accent chinois en répétant « wo-tche-djanne ? » à des autochtones serviables, qui m’indiquent le chemin. Je me débrouille pour acheter un billet pour Beijing et poireaute devant la gare, assommé de fatigue et fasciné par des mouches aux carapaces vertes argentées, exactement semblables aux gratte-ciels. Un jeune chinois anglophone vient s’asseoir à côté de moi et nous conversons une demi-heure. Premier contact. De ce que nous nous disons, je ne garderai aucun souvenir.

Mon train démarre à vingt heures trente. Comme en Inde, des marchands arpentent les wagons en clamant leurs slogans mais la comparaison s’arrête là. À ma grande surprise, la ligne Shanghai-Beijing est aussi moderne et confortable qu’un TGV, avec en bonus les hauts parleurs qui diffusent de la pop chinoise. Entre les sièges, un long tapis rouge se déroule comme pour signifier aux voyageurs qu’ils sont importants et reçus avec les égards qui leur sont dus. Une femme me demande d’où je viens et me souhaite un « wonderful time in China » avec un grand sourire sincère. J’écoute les gens parler et immédiatement, je tombe amoureux des sonorités de cette langue chantante, tout en « sshh » et en « jjhh ». Le trajet doit durer quinze heures et je ne descendrai de ce train que pour sauter dans un autre, alors je m’autorise à sombrer dans un sommeil réparateur…

Le train me dépose à quatorze heures trente et je ne repars qu’à vingt-et-une heures trente. Mon plan est de me rendre directement en Mongolie et d’y passer deux ou trois semaines, puis de revenir en Chine pour rendre visite aux Miaos et aux Dongs. Je prévois tout de même de faire une petite halte à Hohot, capitale de la province chinoise nommée Mongolie Intérieure, histoire de me reposer et surtout de reprendre mes esprits, un peu comme je l’avais fait au Temple d’Or d’Amritsar. Au guichet de la gare, je constate que « Ho-hotte » n’inspire guère le guichetier qui, lorsque je lui montre finalement le nom de la ville en caractères chinois, s’exclame « Aaaah ! Hou-heu-ho-teu ! ». Ma prononciation laisse encore à désirer…

Laissant mon lourd sac à dos aux bons soins de la consigne, je m’en vais tuer le temps en centre-ville et, logiquement, vagabonder sur la place Tian’anmen. Le centre de Beijing est tout en immenses avenues à je-ne-sais combien de voies, en rues commerçantes aux couleurs de KFC, McDonald’s et Pepsi Cola… Rien à voir avec le bordel poussiéreux qui règne partout en Inde : ici, tout est propre et flambant neuf. Parvenu à Tian’anmen, je peine à me figurer que seulement treize ans auparavant, sur cette même place majestueuse, plusieurs centaines de manifestants se faisaient massacrer par l’Armée Populaire de Libération. Au voisinage des enseignes américaines, le portrait gigantesque de Mao Zedong veille sur ses enfants. Sa coupe de cheveux me fait penser aux oreilles de Mickey Mouse : la boucle est bouclée.

Comme je me laisse étourdir par la démesure des lieux, le jeune Zhou Yang m’aborde. Il étudie les beaux-arts et sa promo organise une exposition à quelques rues de là. J’accepte avec plaisir son invitation. Les œuvres qu’il me montre sont tout à fait classiques (au sens chinois du terme). Belles, délicates, habiles représentations des paysages féeriques, dieux et démons, tigres et dragons de la Chine de ses ancêtres. On est bien loin des installations conceptuelles de mes potes beauzardeux et je m’en réjouis. La Chine, après cinquante ans de blackout maoïste, reconquiert enfin son patrimoine. Il faudra en passer par là avant de pouvoir basculer dans l'art contemporain : pour rompre avec la tradition, il faut d'abord en posséder une. Avant de me laisser repartir, un étudiant prend le temps d’écrire mon nom en calligraphies chinoises sur une feuille d’un beau papier, signe l’œuvre de son sceau rouge comme le veut la tradition et m’offre ce souvenir bien à l’abri d’un petit tube en carton.

Il me faut alors manger et je m’engouffre dans un boui-boui. Je ne suis encore végétarien que depuis quelques mois, aussi je décide de m’autoriser quelques incartades et goûte à une sorte de poulpe. Le problème c’est qu’on me sert ça avec une paire de baguettes et que je n’ai jamais réussi, en France, à manipuler ces ustensiles. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé ! Se produit alors une sorte de miracle : je me saisis des baguettes et, spontanément, comme si j’avais fait ça toute ma vie, en use à la perfection. Pourquoi, comment, je l’ignore. J'ignore également que, durant ces trois mois, je tomberai tant et si bien amoureux des baguettes que la première chose que je ferai à mon retour sera d’en acheter et de bannir définitivement la fourchette, cet instrument grossier, de mon quotidien ! Je mâchonne les tentacules caoutchouteux en compagnie de quelques étudiants sud-coréens, tout aussi chaleureux que les Chinois. Je marche ensuite sur ce qui me semble des kilomètres, fais une sieste sur une pelouse immaculée et rejoins finalement la gare. Le train est bondé mais les passagers sont d’une bienveillance sans borne à mon égard. Devant les toilettes, un écriteau indique en mauvais anglais qu’il est « interdit de saigner du doigt », ce que je présume être un avertissement contre le risque de se coincer les doigts dans la porte (?). Au matin, je découvre un décor bien différent de celui de la côte : doucement, la steppe s’installe dans le paysage.


Prochaine expérience : The Hohot Experience.

2 commentaires:

Domink Lange a dit…

Très agréable à parcours ton style littéraire ...

Victoria Sun-Mee Aulas a dit…

Moi aussi, j'aurai bientôt "my China experience"!

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