Toutes
les religions enseignent la nécessité pour le croyant de se libérer
de son ego et des pulsions qu'il commande. Du côté des religions
abrahamiques il est beaucoup question d'humilité face à la
magnificence du divin, dans les religions orientales il est davantage
question de se libérer de la trivialité des souffrances humaines.
Ces deux approches ne sont d'ailleurs pas mutuellement exclusives
mais simplement davantage mises en avant d'un côté ou de l'autre.
Par
ailleurs, il est souvent question – essentiellement dans les
religions abrahamiques - de mettre Dieu en colère en lui manquant de
respect. Je me suis toujours interrogé sur la pertinence de la
notion de « blasphème », sur notre capacité de mettre
Dieu « en colère » et donc, sur la nécessité de le
« craindre ». Je sais qu'un grand nombre de mes lecteurs
sont athées alors commençons par mettre cette discussion sur un plan purement théorique. Accordons-nous ensuite sur une définition de Dieu tel
que le conçoivent les religions abrahamiques : un être parfait
vers lequel chacun doit tendre, un être suprême, créateur, immuable, omniscient et
omnipotent. Un être qui transcende, en somme, toutes les
imperfections de la condition humaine. Un être, en fait, totalement
inimaginable étant donné qu'il est relativement impossible de se
figurer ce que pourrait être un être qui réponde aux critères
susnommés.
De
notre côté, nous sommes des créatures imparfaites, soumises aux
indignités corporelles et spirituelles de notre condition animale,
en lutte permanente avec nos pulsions, nos envies, nos instincts, nos
peurs, nos déceptions, nos tristesses et nos colères.
Vous
me voyez déjà venir, je pense ^^
Lors
de mon dernier passage à Lyon, je discutais un soir avec un ami
musulman et je lui faisait part de la relation « intime »
que j'entretiens avec Dieu, à savoir que nous avons à l'occasion de
grandes conversations et que je ne me prive pas de l'insulter
copieusement, de l'engueuler allègrement et de négocier avec lui
lorsque j'estime qu'il dépasse les bornes. Il n'y a qu'un pas entre
la foi et la psychanalyse et je ne m'étalerai sur la question de
savoir, de Dieu ou de mon inconscient, avec qui je dialogue dans ces
cas-là. Disons que si l'inconscient représente ou du moins contient
la part de divin qui sommeille en chacun de nous, il n'est pas
nécessairement nécessaire de trancher. J'ajouterai que ce n'est pas
parce que l'on insulte Dieu de temps à autre qu'on ne lui voue pas
une réelle affection. C'est juste que des fois, il faut bien le
reconnaître, la vie nous pousse dans nos retranchements. Toujours est-il que mon
ami s'exclama qu'il n'oserait jamais s'adresser à
Dieu de cette façon-là, parce qu'il craint trop son courroux. Ma
grand-mère, bonne chrétienne, partageait cette conviction : je
l'ai parfois faite bondir au plafond lorsque j'étais enfant et que,
las de ma mère alcoolique, de mon père adultère et de l'existence
infernale qu'ils me menaient, je traitais un Dieu auquel je ne
croyais alors pas du tout de tous les noms. La pauvre femme ne savait
plus ou se mettre et c'est à peine si elle ne regardait pas en l'air
pour s'assurer que la foudre n'allait pas s'abattre sur nous.
Sauf
que... Dieu est parfait, non ?
Et
la colère, c'est une faiblesse humaine contre laquelle les hommes,
cherchant à se rapprocher de Dieu, ont le devoir de lutter, non ?
Donc
finalement, Dieu ne peut pas se mettre en colère, si ?
Je
n'irai même pas jusqu'à demander comment il est possible qu'un être
immatériel puisse éprouver des émotions humaines alors que nos
émotions sont en fait conditionnées par les réactions chimiques de
notre cerveau, parce qu'après tout si l'on admet l'existence d'une
âme humaine pré et/ou postexistente au corps, on admet qu'il
existe une forme de conscience en dehors de la chair et de la chimie,
mais enfin tout de même : essayez deux secondes de vous
imaginer un être parfait, baignant dans la lumière suprême et
immuable de son amour, de sa sagesse et de son omniscience... se
mettre en colère ! Genre un mec sur terre balance « Dieu
t'es trop un sale con » et là Dieu il prend la mouche et il
pense « le mec il me manque de respect, je vais le niquer ! ».
C'est grotesque ! Pour se mettre en colère à cause d'une
insulte, il faut une blessure de l'orgueil, donc de l'ego. Pour avoir
un ego, il faut être imparfait.
Soyons
sérieux. Ce n'est pas l'ego de Dieu qui est ici en jeu, c'est l'ego
du croyant, ce même ego qu'il doit vaincre pour se rapprocher de
Dieu. Ce n'est pas Dieu qui se met en colère et condamne le
blasphémateur, c'est le croyant qui pèche par orgueil et prétend
juger son semblable à la place de Dieu. En fait, affirmer et croire
que Dieu est sensible aux outrages et susceptible de se mettre en
colère, c'est précisément le pire des blasphèmes ! C'est
réduire Dieu à la bassesse et à la petitesse de nos petites
vexations, c'est affirmer que Dieu est juste un type comme toi et moi
qui prend la mouche lorsqu'on lui manque de considération. C'est en
somme nier absolument la perfection de Dieu et cela, il me semble que
la Bible comme le Coran l'interdisent.
Alors
si l'on décide de croire en Dieu, allons plutôt vers une relation
libérée de tout tabou et de toute formule de politesse à son
égard. Si Dieu vous fiche les boules, de toute manière il le saura
puisqu'il sait tout, non ? Alors mieux vaut s'engueuler avec lui
une bonne fois de temps en temps si l'on en éprouve le besoin, ça
fera de mal à personne, va. La relation du croyant au divin, j'en ai
la conviction profonde, ne peut être qu'une relation
interpersonnelle, un échange, un dialogue constant. Chercher à se
rapprocher de Dieu c'est d'abord chercher à comprendre quelles sont
les potentialités de l'être humain sous l'éclairage du divin. Même
si l'on décide de se raccrocher à une tradition religieuse, la foi
reste une chose très intime et la communauté religieuse ne peut
intercéder en permanence. Il appartient donc à chaque croyant de
dialoguer avec le divin, de questionner le divin, de chercher la
lumière du divin en lui-même. C'est alors – et seulement alors -
qu'il parviendra peut-être, un jour, à s'abandonner totalement à
la volonté du divin, ce qui en revient en fait à accepter le réel
tel qu'il est (mais ce serait le sujet d'un autre article). Et ma foi
s'il faut en passer par quelques explications et quelques
engueulades, amen !
Dieu
ne se mettra pas en colère parce que contrairement à nous, Dieu n'a
pas d'ego.
3 commentaires:
Point de vue partagé sur certains aspects. Beau développement.
En parlant de voyage imaginaire ou de rêve éveillé, je me suis aperçu dernièrement d'un artefact très amusant surgit pendant le tournage d'un de mes (déjà) anciens films réalisé en exposition de pause longue ou mode pause B avec ma caméra Super8 à Paris...
C'était au Lac de La Porte Jaune, la caméra (en mode image par image temps de pause longue et prise de vue en rafale automatique) installée sur un trépied (ce qui n'est pas habituel chez moi...) pour garantir sa stabilité à bord d'une barque de tourisme (pendant la saison d'automne quand même, mais il faisait beau temps ce jour-là...) et me laisser toute latitude pendant le filmage seul à manoeuvrer la bateau en me servant des rames bien-sûr !
La surprise c'est que j'avais oublié à l'époque d'occulter l'oeilleton du viseur (comme il se doit dans ce cas précis...) laissé alors vacant, ce qui a eu pour effet de produire une double exposition en surimpression sur le film Ektachrome développé à la main à l'Etna à l'époque ...
Une double exposition sur le film de l'image Super8, du sujet filmé devant l'objectif et aussi celui devant l'oeilleton du viseur qui a servit également d'objectif du coup !
C'est une double métaphore du symbolisme de l'image quelque part, puisque fusionnent en quelque sorte l'abstraction lyrique du paysage et le visage du filmeur projeté dans ce même paysage !
https://vimeo.com/23795946
Hé, hé, très bien vu, et bien défendu tout ça !
Jolie thèse, et beaux arguments, oui, de toutes nos émotions, c'est bien l'humour qui doit être la seule qui soit commune à un hypothétique Dieu autant qu'à nous !
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