6 septembre 2013

Ces dinosaures qui nous éditent

Hier sur Facebook, je suis tombé sur le statut suivant :
« Les Éditions [xxx] ont plus de 700 amis. Mais quels sont ceux d'entre vous qui s'intéressent réellement à notre travail ?
Afin d'effectuer un tri, je voudrais que chacun de vous m'explique à quel titre il a demandé notre amitié.
Bien à vous,
[xxx] »

Je n'ai pas cliqué « j'aime ».

Parmi les réponses, il y avait par contre ce commentaire :
« Et vous est-ce que vous vous intéressez aux lecteurs, aux blogueurs ? À l'heure actuelle, c'est plutôt l'éditeur qui doit s'intéresser au monde. On n'est plus à l'époque où tout le monde lisait et l'éditeur était roi. »

Cette fois-ci, j'ai liké.

Cette anecdote facebookienne m'a en effet ramené à quelques expériences grotesques, vécues autrefois auprès d'éditeurs indépendants. Par exemple, lorsque nous nous étions rendus au Salon de la Revue, en 2005, afin de promouvoir la revue Mercure Liquide. J'avais alors fait le tour des revues littéraires ou poétiques et des micro-éditeurs qui avaient tout comme nous un stand, afin de leur soumettre un petit book composé de textes variés. Nombre d'entre eux avaient accueilli mes propositions avec un snobisme accablant : « Oh mais tu sais, avant de nous soumettre tes textes ce serait bien que tu lises nos livres ou notre revue, parce que nous on ne veut publier que des gens qui s'intéressent de près à notre travail ». Rebelotte à Angoulême à chaque fois que je me suis essayé à démarcher mes projets BD auprès des petits éditeurs (je ne visais généralement que les gros) : « Oh mais tu sais, nous on ne souhaite publier que des gens qui aiment profondément ce qu'on fait, donc si tu n'as jamais lu aucun de nos ouvrages... » (sans surprise, les gros éditeurs qui n'avaient rien à prouver ne m'ont jamais tenu ce genre de discours, ils étaient généralement bien plus accueillants que les indépendants).

Non mais attendez les mecs, c'est le monde à l'envers !

Je comprends les éditeurs qui disent « assurez-vous que votre travail corresponde à notre ligne éditoriale avant de nous soumettre un manuscrit » : si vous ne publiez que de la SF, c'est évidemment agaçant de recevoir chaque semaine dix romans d'amour, dix polars et dix romans psychologiques, parce que cela vous fait perdre un temps précieux ! Et je suis d'accord que plus il y aura d'affinités entre un éditeur et un auteur mieux la collaboration se déroulera. Mais cette attitude qui consiste à dire qu'un auteur doit d'abord être capable de démontrer qu'il aime le travail d'un éditeur avant de lui soumettre son travail ! Sans déconner ?

C'est d'abord un déni total de la réalité et du quotidien d'un auteur. Un auteur, il crève la dalle, il a besoin d'être lu, il veut être publié, point barre. Il préférerait sans doute être publié par son éditeur préféré que par un autre mais le fait est que la compétition est si dure qu'il n'a généralement pas le choix, qu'il ira là où on voudra bien de lui, sans faire de chichis. Alors oui, l'auteur il va aller taper à toutes les portes, et il n'aura pas eu le loisir de lire la bibliographie complète de chacun des éditeurs qu'il démarche, parce qu'il lui faudra en démarcher des dizaines pour avoir, peut-être, la chance d'en séduire un.

Ensuite, ce genre de discours, de la part de l'éditeur, c'est faire montre d'une vanité, d'une ivresse du pouvoir sans bornes ! Déjà que le mec il a tout pouvoir de dire « oui » ou « non » en se basant sur son appréciation de ton travail. Et s'il te signe tu peux être sûr qu'il va te demander de changer des trucs, s'immiscer sans pudeur dans ton processus créatif. Mais ça ne lui suffit pas ! Non seulement il faut que ton bouquin le séduise, parce que c'est quand même de ça qu'il s'agit, et que tu te plies ensuite à son autorité parce que c'est lui le patron, mais en plus il faut que tu ailles lui cirer les pompes en lui expliquant que ce qu'il fait est génial, que tu kiffes grave, que vraiment sa politique éditoriale c'est trop de la balle. Pourquoi pas une petite pipe ou un petit cunnilingus derrière le bureau, tant qu'on y est !

Alors on dira « encore un auteur frustré qui peste contre les éditeurs ». Non, non non ! D'abord je ne suis pas frustré, ensuite je suis bien placé pour en parler vu que j'y ai passé quelques temps, dans les pompes de l'éditeur. D'abord de 1995 à 2000 avec mes fanzines Scrach et Légendes, et surtout de 2003 à 2007 avec la revue Mercure Liquide et les éditions Neweden. Je puis vous assurer qu'alors, ni moi ni mes collègues du comité éditorial ne nous sommes jamais posé la question de savoir si les gens qui nous soumettaient des œuvres en avaient quelque chose à foutre de nos livres ou de notre politique éditoriale. Des textes et des images, on en recevait plein par email, de gens qu'on ne connaissaient pas, et pour ce qu'on en savait ils avaient peut-être passé trente secondes sur notre site avant de nous envoyer leurs propositions. Et alors ? Eux, ils cherchaient un support pour publier leur travail. Nous, nous cherchions des travaux de qualité à publier. Nous avions autant besoin d'eux qu'ils avaient besoin de nous, nous étions très clairs là-dessus. C'est vrai que des fois ça nous faisait rager les merdes qu'il fallait lire. Et d'autre fois, heureusement, on était en transe tellement c'était bien. C'était notre seul critère : est-ce que le travail de cet artiste nous plaît, nous parle, résonne en nous, a sa place dans notre revue ? On a même publié un ou deux connards intégraux, des gens sans gène (you know who you are), juste parce qu'on kiffait leur travail et que merde, ils avaient beau être désagréables l’œuvre passe avant l'artiste (certes on ne les a publiés qu'une fois, parce qu'il ne faut pas non plus exagérer) !

Et puis ce qu'il y a d'intéressant dans le commentaire de l'internaute cité plus haut, c'est que c'est vrai que les temps ont changé. Lorsque j'ai commencé dans ce métier, auto-produire son livre était non seulement mal vu mais également très coûteux, et on n'allait de toute façon toucher personne à l'exception de son entourage immédiat et de deux ou trois curieux dans les librairies locales. Cela était également vrai pour la musique et l'audiovisuel. Aujourd'hui, le monde de l'édition a beau être un peu à la traîne sur celui de la musique et de l'audiovisuel, tout est en train de changer.

Tout d'abord, la notion d'auto-production n'est plus perçue, dans les deux secteurs susnommés, comme un constat d'échec. Au contraire, l'auto-production est valorisée comme un acte courageux, preuve du dynamisme d'un artiste et de sa volonté d'aller vers son public. Cela n'est pas encore le cas dans le monde de l'édition mais je puis vous assurer que cela aura changé avant dix ans, en grande partie grâce à l'avènement prochain du livre numérique, et aussi grâce au systèmes d'impression à la demande proposés par des sites tels que Lulu.com. Aujourd'hui, on peut éditer son livre soi-même sans dépenser un centime, on peut en assurer la promotion via les forums et les réseaux sociaux dans le monde entier, et on peut interagir en permanence avec ses lecteurs.

D'aucuns me diront que cela n'assure ni le succès ni une rentrée d'argent, que d'avoir dix-mille vues sur Youtube et autant de likes sur un clip est moins rémunérateur que d'avoir son clip sur M6 et que d'avoir Warner ou Universal derrière soi pour promouvoir son disque. C'est vrai, sauf qu'il y a une énorme différence entre le monde de la musique et celui de l'édition. Jusqu'à-ce qu'internet la ruine en partie, l'industrie du disque était un secteur extrêmement rémunérateur. N'importe quel mec qui était signé sur une major recevait une avance colossale, parfois suffisante pour lui assurer une rente à vie si il plaçait bien son fric. Le monde de l'édition, par contre, n'a jamais permis à grand monde de gagner beaucoup d'argent. Il faut quand même savoir qu'il n'y a qu'une cinquantaine d'écrivains qui vivent de leur plume en France, alors que plusieurs milliers de romans sont publiés chaque année. Il faut également savoir qu'un auteur publié par un petit ou moyen éditeur verra son livre tiré entre 300 et 700 exemplaires, dont une bonne partie finira au pilon faute de promotion adéquate. En gros, si vous n'êtes pas publié chez Gallimard et consorts, vous gagnerez au mieux quelques centaines d'euros et votre livre sera lu au mieux par quelques centaines de personnes. Mais jusque-là cela valait le coup parce que sans éditeur, il fallait débourser quelques centaines d'euros (voire davantage) pour imprimer et diffuser son livre.

Mais les choses bougent ! Le romancier du vingt-et-unième siècle va être de plus en plus confronté à la question suivante : qu'ai-je à gagner à être publié par un éditeur ? Ne puis-je pas moi-même, par le biais du financement participatif ou même de la vente de mes livres, parvenir à gagner 300 misérables euros ? Ne puis-je pas moi-même, par le biais d'internet, diffuser mon roman à quelques centaines d'exemplaires ? Qu'ai-je à gagner à passer du temps à démarcher un éditeur, à retoucher mon manuscrit à sa demande, à partager les bénéfices de mon livre avec lui ? Et si il faut d'abord passer par un petit éditeur pour, au bout de deux ou trois romans, attirer enfin l'attention de Gallimard, ne puis-je pas parvenir au même résultat en faisant moi-même un petit buzz online avec mes livres auto-publiés ? Ce ne sera toujours pas la fortune ni la gloire pour les écrivains, mais au bout du compte celui qui est un peu doué avec l'informatique et la communication pourra faire lui-même aussi bien, voire mieux, que 90% des éditeurs français ! J'ai gentiment refusé de publier chez un micro-éditeur, une fois, sur ce postulat : il faisait mal son travail de com, il ne pouvait pas payer d'avance et ses livres étaient de toute évidence bien moins lus que mon blog, je n'avais rien à gagner à lui confier l'exclusivité de mon recueil de nouvelles (l'éditeur en question a d'ailleurs disparu quelques mois plus tard, comme quoi j'ai fait le bon choix).

Et à cela s'ajoute une autre chose : le téléchargement illégal. Il a déjà remis les majors du disque et du cinéma à leur place, il ne va pas tarder à remettre les éditeurs à la leur, parce que je ne vois pas pourquoi les gens se priveraient de télécharger ou de streamer leurs bouquins illégalement lorsque chacun sera équipé d'une tablette ou d'une liseuse. Ils l'ont fait pour les disques et pour les films, ils le feront pour les livres et les BD (ça a d'ailleurs déjà commencé). Je ne dis pas que c'est une bonne nouvelle, juste que ça va obliger l'ensemble de l'industrie de la culture et du divertissement à revoir son attitude vis-à-vis de l'artiste, du consommateur et de ses modèles économiques (car oui, il existe des alternatives à la vente, à savoir le financement par la pub et surtout la licence globale, mais pour le moment ils ne veulent pas en entendre parler).

Alors il avait raison, notre internaute de tout à l'heure : l'éditeur doit aujourd'hui songer à changer de posture vis-à-vis du monde. Il sera encore longtemps enseveli sous les manuscrits, et cela lui donnera encore longtemps l'impression d'avoir l'embarras du choix, d'être perché sur un trône, mais je suis prêt à parier que l'éditeur qui parviendra à émerger demain sera celui qui, au lieu d'adopter cette attitude passive et hautaine, sera totalement tourné vers le monde. Au lieu d'étudier les manuscrits qu'il reçoit, il ira voir ce que proposent les auteurs sur internet afin de débusquer la perle rare. Lorsqu'il la trouvera, il ira humblement lui proposer ses services, ce qui impliquera qu'il devra être capable de propulser l'auteur au-delà du lectorat qu'il est parvenu à conquérir de lui-même. C'est déjà ce qui se passe de plus en plus dans le monde de la musique : les musiciens n'envoient plus guère de démos aux labels, ce sont ceux-ci qui vont faire leurs courses sur Myspace et Youtube, en quête d'artistes qui se sont déjà constitué une fanbase. Cet éditeur fera aussi en sorte d'être très présent sur les forums et les réseaux sociaux, de communiquer avec ses lecteurs afin de les fidéliser. Il s'intéressera aussi de près aux (très nombreux et très suivis) blogs littéraires amateurs, parce qu'il aura tout intérêt à tisser des liens avec eux et à attirer leur attention sur ses publications. Bref, il sera non plus un découvreur de talents passif et isolé dans sa tour d'ivoire mais un chasseur de têtes actif, dynamique et enthousiaste.

Et alors, ce jour-là, je vous assure que l'éditeur qui aura le culot de demander à ses @mis Facebook de justifier de leur intérêt pour son travail sous peine de se faire virer, parce que quand même on ne peut pas se permettre d'être en réseau avec n'importe qui quand on est éditeur, celui là il ira moisir avec les ossements des dinos au musée d'histoire naturelle. Parce qu'il n'aura rien compris au fonctionnement communautaire d'internet et parce que l'avenir de l'édition, c'est précisément là qu'il se joue !

Et cet avenir, à mon sens, implique également la redéfinition d'un rapport totalement collaboratif, non hiérarchique, entre l'éditeur et le créateur.

Alors voilà...

9 commentaires:

Annie Gehand a dit…

TRÈS intéressante et percutante ton analyse ! Globalement, je suis plutôt d'accord avec toi…
Annie

Anonyme a dit…

Merci. C'est instructif et limpide.

Tu me confortes dans mes projets.

A bientôt.

Ryko (du wizzz)

Noann a dit…

Ah moi j'aime beaucoup et je partage à 100 % (c'était d'ailleurs moi l'auteur du comm')

Bien ficelé cet article !

Les éditeurs semblent se complaire dans leur tour d'ivoire.

En tant qu'auteur, je me reconnais dans la diatribe de Shaomi. Cette impression que l'éditeur est dans son fief et qu'il ne faut pas l'importuner... Alors que c'est lui qui devrait se tourner vers le monde extérieur.

En tant que blogueur littéraire, je suis toujours effaré du peu d'intérêt qu'ils portent au virtuel. Le monde de l'édition semble fonctionner comme au XIXième siècle. Mais si l'on lit toujours beaucoup sur papier, la promo désormais c'est sur le net qu'elle se fait;

En outre, l'édition française est encroutée... On publie toujours comme avant, les mêmes langueurs et les mêmes développements stériles. Mais le lecteur lui a changé. Saturé d'infos et de textes, il zappe très vite, il en a marre qu'on le traine pendant 100 pages pour finalement ne rien dire qui le touche.

Et merde, les directeurs d'édition, réveillez-vous! On vous aura prévenus, quand ce sera la faillite, ne venez pas pleurnicher et accuser le Net, les e-books etc... C'est à vous de vous adapter à la société et pas le contraire !

Noann

Unknown a dit…

Pour ma part, cela fait bien longtemps que je ne croie plus à un quelconque "éditeur"...

Unknown a dit…

Cela fait bien longtemps que je n'ai plus aucune illusion sur les éditeurs, petits ou grands... Bizzznesss!

L'itinérante a dit…

Oui, intéressant. Merci Shaomi

Lange Dominik a dit…

Les éditeurs littéraires c'est un peu comme les producteurs de spectacles vivants et les producteurs de cinéma quelque part, un réajustement aux moeurs de société actuels et aux nouveaux usages communs d'échanges et de communications en expansion fournis par l'avènement du numérique chez tout un chacun s'impose plus que jamais ...
Il serai temps de se mettre à la page en effet !
Les générations qui viennent imprégnées par le multimédia et l'internet dès le plus jeune âge ne consommeront plus de culture en grande surface commerciale, du moins pour les plus intelligents d'entre-eux bien-sûr, ils achèteront en VOD, en service à la demande et en téléchargement sur le net les productions des artistes qu'ils respectent et qui retiennent leurs considération...
Pour le reste (je pense que moi-même je fais de même), les amateurs de culture de masse, de pop culture et de produits industriels iront télécharger gratuitement leur dose de "daube" vite consommable et jetable sur ThePiratBay ou ailleurs, et un jour Hollywood fera même faillite !
Non pas une faillite existentiel sur le contenu des emballages vides bien-sûr, mais une restructuration du modèle économique viable à court terme tout simplement ...
J'ai fait des économies de navets cet été pour me distraire, en téléchargeant illégalement certains blockbuster américains qui sortaient en salle en version "3D", sur ThePiratbay toujours et je ne regrettes en rien l'économie de mes dépenses sur mon maigre salaire !

Seuls les consommateurs de base idiots iront à l'avenir encore dépenser plus de 10€ leur place de cinéma, pour aller voir un mauvais film de divertissement industriel, moins appétissant qu'un Big Mac, mais sans séquelles de maladies cardio-vasculaires pour mauvaise hygiène alimentaire sur le long terme cependant ...

Castor tillon a dit…

Je suis trop feignant pour savoir ce qu'est une insomnie, aussi trouvé-je les tiennes particulièrement intéressantes.
Je vais faire lire ton texte à une auteuse... une autesse... une autrice que j'aime.
A bientôt.

Nijidt a dit…

tu as sans doute raison et c'est très bien.......

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