Comme je travaille aux dernières corrections de mon roman, L'ami
imaginaire, je m'aperçois que j'ai une dette immense envers Jean
d'Ormesson. À seize ou dix-sept ans, j'ai lu son roman Histoire
du Juif Errant, livre dont je garde un assez bon souvenir mais
qui m'a marqué à cause d'une scène en particulier, une scène très
courte, un dialogue entre deux personnages. Alors que tout le roman
est écrit d'une manière classique, d'Ormesson a rédigé celle-ci à
la manière d'une pièce de théâtre : noms des personnages
avant chaque ligne de dialogue et didascalies. Comme ça, balancé au
milieu, sans raison apparente ni explication, juste pour le fun.
J'étais déjà, à l'époque, préoccupé par le processus
d'écriture et cette insert inattendu m'a fait l'effet d'un choc :
on pouvait, comme ça, briser les règles de sa propre narration et
s'aventurer dans d'autres styles, dans d'autres genres que
celui du roman, en toute impunité. Ce petit détail allait
conditionner, l'air de rien, toute mon approche de l'écriture
littéraire. Certes, ce n'est que des années plus tard, en voyant Fight
Club de David Fincher et en lisant les romans de Milan Kundera,
que je réalisai vraiment que c'était de cette manière-là, avec cette
liberté-là, que je souhaitais écrire mais c'était déjà latent depuis longtemps, comme une envie un peu honteuse et pas vraiment assumée. Cette approche – le
changement de styles et de perspectives – est omniprésente dans mon
recueil de nouvelles Tabloïde, dans L'ami imaginaire
et dans la quasi-totalité de mon travail depuis une dizaine d'années. Sans doute ma plus grande
dette va-t-elle à Fincher et Kundera mais pourtant, si d'Ormesson
n'avait pas entrouvert la porte longtemps avant eux, peut-être
n'aurais-je pas épousé cette démarche avec autant d'enthousiasme.
Alors voilà, merci M. d'Ormesson.
4 commentaires:
Un bel hommage à celui qui a ouvert une porte… ce qui est loin d'être une simple petite chose !!!
Aie... J'ai quand même le droit d'exprimer mon profond mépris pour cet homme?
Si je précise que ça ne concerne pas son œuvre, mais certaines déclarations qu'il a pu faire à une époque, notamment lors de la guerre en Indochine, lorsqu'il traitait les pacifistes de "vermine"...
J'aime beaucoup Kundera et Jean d'Ormesson. Bel article.
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