31 octobre 2012

Soirée nanars (acte 3)


En ce bel été 1994, Warner Bros. Records publiait la tant attendue version vidéo de l'album O(+> de Prince And The New Power Generation, sous le titre 3 Chains O' Gold. TANT attendue en fait que personne ne l'attendait plus depuis longtemps : l'album avait paru presque deux ans plus tôt, Prince avait entre temps sorti une multitude d'autres disques, changé son nom en un symbole imprononçable, s'était lancé dans une guerre médiatique contre sa maison de disque... Bref : autant dire qu'au milieu de tout ça, personne n'avait plus rien à foutre de cette compilation de clips obsolètes.

Sauf les fans les plus assidus, dont votre serviteur.

Déjà à l'époque, cette vidéo-cassette m'avait laissé perplexe. À la revoir près de vingt ans plus tard, je tombe littéralement des nues... Précisons que pourtant j'adorais – et adore toujours – l'album dont elle est tirée. Album concept, censé raconter une histoire à laquelle personne n'a jamais rien compris, O(+> est une épopée hallucinée, un acte de bravoure musicale aussi arrogant qu'audacieux. On se disait donc alors que la version vidéo, comprenant les clips de l'album agrémentés d'interludes narratifs, nous permettrait enfin de comprendre pleinement la dramaturgie de ce magistral « opéra funk ».

Oui, heu... alors... Pour commencer, la plupart des chansons sont amputées d'un tiers de leur durée ! Nous savons que pourtant, ces clips existent en version complète et que les VHS (format de l'époque) ne comportent aucune limite de temps (enfin si, mais si longue...). Alors pourquoi, ô pourquoi nous est-il interdit de jouir pleinement de notre achat ? Personne ne l'a jamais su mais je présume que Prince a fait cela pour emmerder Warner. Le problème c'est que présentement, c'est surtout moi que ça emmerde. Je n'y suis pourtant pour rien si Prince s'engueule avec sa maison de disques ! Bref : grosse déception. Et comme si ça ne suffisait pas, cinq titres (sur seize) manquent à l'appel. Si ce fichu album et ce fichu film racontent la même histoire, on a perdu cinq chapitres ! 

Mais c'est quoi, au juste, cette histoire ?

C'est là que ça se corse...

Le récit démarre dans un quelconque pays arabe. Sept types (qui ?) assassinent le père de la princesse Mayte (pourquoi ?). Paniquée, celle-ci se rend à Minneapolis (pourquoi ?) et voit Prince à la télévision, en train d'encourager une violente émeute (pourquoi ?). Elle se précipite alors sur place et confie à Prince – que de toute évidence elle ne connaît pas – la garde de trois précieuses chaînes en or (pourquoi ?). Peu après, Prince fait arrêter et jeter en prison son propre groupe (pourquoi ?), foire une partie de jambes en l'air avec une autre fille parce qu'il pense à Mayte (il vient pourtant de la rencontrer !) et fait finalement libérer son groupe de taule pour... faire un shooting photo (!!!).

Il retrouve finalement Mayte et c'est le coup de foudre ! Mais l'idylle est gâchée par les angoisses de la princesse, qui craint les sept assassins de son père. Prince tente alors de la rassurer, affirmant qu'elle peut se détendre car « the max is in control » (c'est quoi, « the max » ?). Ils passent alors quelques jolis moments romantiques et, lorsque Mayte s'endort finalement, elle fait un terrible cauchemar. Comme elle s'agite dans son lit, Prince décide soudainement de la quitter (pourquoi ?) et la plante là au beau milieu de la nuit (!!!). Il prend alors un train pour le Japon (il y aurait donc une voie ferrée qui relie les États-Unis au Japon !) et, une fois sur place, donne un concert (son groupe est miraculeusement parvenu au Japon lui aussi). À la foule, il clame peu ou prou qu'il est le coup du siècle, ce qui le conduit possiblement à baiser Carmen Electra mais de cela nous ne savons rien puisque le rap de la playmate a été coupé au montage (cette chanson est amputée d'un tiers comme les autres). Après donc avoir ou ne pas avoir couché, il réalise qu'il ne parvient pas à oublier Mayte et se précipite de nouveau dans ses bras (elle n'est pas rancunière !). C'est alors que, soudainement, on saute deux morceaux pour se retrouver précipité dans le clip du titre 7. Celui-ci (une fois n'est pas coutume) n'est pas estropié mais (c'est encore mieux) entrecoupé d'interviews des musiciens de Prince, qui nous disent à tour de rôle ce qu'ils pensent de Mayte (sauf que nous on s'en fout : on voudrait juste écouter la chanson !). En même temps, lors de ce même clip, Prince tue miraculeusement les sept assassins, et se tue en même temps sept fois lui-même (symbole de renaissance s'il en est, mais à ce point dépourvu d'explications que cela n'a aucun sens). Et puis Mayte lâche une colombe et tout le monde est content.

Après quoi on zappe sans vergogne les trois derniers titres de l'album – encore que l'un subsiste en toile de fond orchestrale – pour se rendre directement à la séquence finale. Là, Mayte lit une lettre (en fait un communiqué de presse de 1993 - sans rire !) visant à expliquer le changement de nom de Prince. Celui-ci se retrouve quant à lui dans les bureaux d'un label nippon, où il signe d'un symbole son nouveau contrat, devant des producteurs japonais médusés (sortis d'on ne sait où). Là, il faut tout de même préciser que tout cela est absurde, parce que le concept et l'enregistrement de l'album remontent à fin 1991, c'est à dire un an et demi avant que Prince ne s'embrouille avec Warner et ne décide de se renommer O(+>. Cela signifie donc que Prince a abruptement modifié son script de sorte à ce qu'il colle avec les évènements récents, ce qui évidemment amplifie l'opacité d'une dramaturgie déjà obscure (et altère la fin originale, quelle qu'elle ait pu être). Finalement, l'écran affiche un texte qui explique que notre héros traverse une révolution spirituelle sans aucun lien avec le reste et, pour terminer, nous l'apercevons en train d'enterrer les trois chaînes en or de Mayte (pourquoi ?). Des clochent sonnent, aussi, comme à pâques.

Et voilà. C'est tout. C'est terminé. Générique de fin. Merci et encore bravo !

Vous n'avez rien compris ? Moi non plus !

Et voilà comment, à partir d'un disque brillant, on fait un film totalement idiot. Il aurait sans doute mieux valu, finalement, se contenter de ne mettre que les clips (mais en entier). 

10 commentaires:

Annie Gehand a dit…

J'ai souvent pensé que Prince était le roi des mégalos-paranos… Cela, certes, n'enlevait rien à son talent et il est loin d'être le seul atteint par ce syndrome; mais ce que tu décris de ce montage semble démontrer que, cette fois, il a réellement pété les plombs… grave…

Élaine Germain a dit…

J'ai revu d'un coup toute cette vidéo catastrophique (que je m'étais bien promise de ne jamais -oôh grand jamais- racheter en DVD!) mais en rigolant à quasiment chacune de tes phrases!! Prince a en effet transformé un merveilleux album en une sombre merde vidéo (il en avait déjà un peu l'habitude: on ne peut pas dire que Purple rain soit une merveille, même si on est bien d'accord, ce film est un milliard de fois meilleur que ce lamentable et consternant 3 chains'o gold. Mais bon, graffiti Bridge était un poil mieux après, et quant à Under the cherry moon, une vraie merveille) mais toi, tu l'as à ton tour retransformé en un très bon moment! Merci à toi pour cette ultime version de o-+>, aussi bonne que la toute première!

Patatartiner a dit…

Whaw, un grand délire cette histoire d'O<+>... Du genre de ceux (entrecoupés et pas aboutis) que l'on peut s'taper en état de cuite !
Ben Prince est le monarque de cet état apparemment !

Anonyme a dit…

alors, je suis pas d'accord,,,,
d'abord, cet album de Prince est mon favori (avec C0ME), et cette periode est aussi celle que je prefere, car il etait au sommum de son delire,,,
pour moi cette video a ete voulue par Prince, mais desavoué par la Warner,,,,
si il manque certain morceau, c'est que la major ne voulait pas financer un produit dans lequel elle etait directement condamné par Prince,,,
qui avait decidé de changé de nom, bien avant de produire ce disque et cette video!
l'embrouille etait dans le sac depuis pas mal de temps deja (Black Album, Sign o the time)
il savait que son image ne collait plus avec l'epoque (Gangsta), et que sa musique allait etre bientot "has been", il s'est creer ce personnage a l'oposée de Prince (le FUNKSTER), c'est a dire O(+> (le DRAGQUUEN),,,
afin de toucher un plus large public (un public antagoniste même),,,
il a reussi son coup, car il sortait des albums sous ses deux noms (concepts commerciaux et artistique),,,,
il est devenu le premier artiste a se faire de l'auto concurrence (sans se vampiriser les cliens),,,
un vrai genie ,,,
bref pour en revenir a 3 chains, c'est pas a la hauteur de l'album, mais prince n'a jamais ete reputé pour la qualité de ses clips ,,,
sa musique suffit, et il garde le show pour le Live !!!
la warner n'aimait pas du tout Prince a cet epoque, elle s'est vengée avec cette video,,,
c'est mon avis !!!

lowikdelic a dit…

amusant de pouvoir revivre vite fait cette vidéo apocalyptique, sans avoir besoin de se la retaper...Merci

CycoZora a dit…

Au delà de m'offrir quelques bons rires en te lisant, tu m'as donné envie de la revoir.
Pour moi aussi me faire une soirée nanar!

Mais ou sont les chroniques des 2 autres soirées nanar!!!....

117 a dit…

Je n'ai jamais vu cette vidéo et je ne compte pas y remédier après avoir lu cette chronique hilarante.
J'ai passé un bon moment en te lisant. Thank U !

Moi a dit…

Merci pour les fou-rires, c'était très amusant à vivre et tellement vrai !

Panda a dit…

lol Merci pour ce resumé

Élaine Germain a dit…

Toujours aussi hilarant à relire...

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