29 avril 2012

Le FN remplacera-t-il l'UMP ?


C'est une vraie question, une question qui se pose d'autant plus que l'on constate un inévitable effritement des valeurs fondamentales du Front National, alors même que la droite « parlementaire » racole de plus en plus du côté de l'électorat d'extrême droite. Mais l'extrême droite restera-t-elle longtemps extrême ? Elle s'en défend avec une ardeur qui, comparée au peu de scrupules de l'extrême gauche à affirmer son « extrémisme », démontre son désir de rentrer dans le « droit chemin ». Pour exemple évident l'Union Européenne, dont Jean-Marie Le Pen voulait sortir à tout prix, quand Marine Le Pen se contente de vouloir sortir de la monnaie unique. Je n'ai aucune vérification de cette information, mais un commentateur politique mentionnait récemment que déjà, en interne, certains membres du Front National souhaitaient renoncer au rétablissement de la peine de mort. Par ailleurs, au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle 2012, certains militants affirmaient que leur objectif était de profiter d'un inévitable effritement de l'UMP pour devenir le premier parti de droite.

Et pourquoi pas après tout ? J'ai déjà dit ici une bonne partie de ce que j'en pensais, mais quoi qu'il en soit la peine de mort est-elle vraiment si importante à défendre même si l'on est en sa faveur ? Je veux dire par-là : est-il si important de défendre ce projet-là, avec ce qu'il implique de violence et de débats sordides, au sein d'un projet politique prétendant à élever la France ? Tuer n'est jamais gai, fut-ce tuer un meurtrier sanguinaire. L'expérience démontre également que c'est assez peu dissuasif. De même que j'invitais ici les partisans de Mohamed Merah à regarder des vidéos d'exécutions d'otages par des islamistes pour mesurer la violence de ce genre d'actes, j'invite les partisans de la peine de mort « occidentale » à regarder des vidéos de chaises électriques ou de guillotines. C'est à peu près aussi écœurant. Pourquoi alors s'acharner à défendre quelque chose d'aussi peu « sexy » que la mise à mort d'un être vivant, lorsque – avouons-le – le progrès et la protection de notre société impliquent bien d'autres débats, bien d'autres décisions autrement plus importantes et moins sordides que l'exécution des meurtriers ?

Parce que la défense de la peine de mort fait partie d'un package-deal idéologique. C'est la seule et unique raison d'un tel acharnement. Il ne s'agit pas de défendre la peine de mort en tant que telle mais de défendre un package-deal qui, à l'instar de ses équivalents d'extrême-gauche, défend mordicus une certaine vision du monde, et associe des concepts parce qu'ils vont ensemble sans plus se soucier de les analyser objectivement un par un (sinon a posteriori, pour en justifier la validité).

Ainsi donc – et je caricature à peine – on va adopter tout dogme de droite antérieur aux années 1960 et rejeter tout dogme (nécessairement gauchiste ou du moins décadent) qui leur est postérieur. Staline, Mao et Pol Pot étaient des monstres sanguinaires, mais ni Pinochet ni Franco ni Milosevic n'en étaient : ils ont « sauvé » leur pays et ils n'ont tué personne ou s'ils l'ont fait c'était pour le bien commun. La vie est sacré lorsqu'il s'agit d'avortement mais elle ne l'est pas lorsqu'il s'agit de peine de mort (et je ne parle même pas de végétarisme !). Il faut faire des bébés pour contrer les bébés des immigrés. L'islam est obscurantiste par essence et à jamais mais la chrétienté est vouée au progrès et à la tolérance. La colonisation européenne était un cadeau offert aux peuples occupés mais les autres occupations de l'Histoire étaient néfastes. L'éducation doit être vue comme une transmission de savoir et rien d'autre, car l'idée qui consiste à « apprendre à apprendre » a ruiné notre système éducatif à elle-seule. La musique classique et le jazz sont formidables mais les musiques actuelles ne sont que du « boum-boum ». Les blagues racistes sont drôles même quand on les fait devant les caméras. Les civilisations noires et arabes sont inférieures aux civilisations asiatiques et occidentales, ce qui est prouvé par des études sérieuses, etc, etc.

Ce à quoi je répond : Toute idée postérieure aux années 1960 a le mérite de prendre en compte celles qui étaient antérieures, quand les idées antérieures ne pouvaient anticiper leurs descendantes. Staline, Mao, Pol Pot, Pinochet, Franco et Milosevic étaient tous des monstres sanguinaires. Il est plus raisonnable de s'efforcer de respecter la vie dans tous les cas : quelle que soit notre position envers la peine de mort, l'avortement et le végétarisme, il convient de faire preuve d'une grande prudence. Est-il nécessaire d'opposer les bébés des uns à ceux des autres et de vouloir à tout prix maintenir notre population à soixante millions quand le Canada et l'Australie s'en sortent très bien avec une densité de population autrement plus faible ? Les religions ont toutes vocation à abrutir ou à élever, selon l'interprétation que l'on fait des textes. Les colonisations et occupations non-souhaitées sont toujours un « cadeau » empoisonné, parce que l'occupant n'a jamais rien à faire du sort de l'occupé, que ce soit ici ou là, mais pour autant il est complètement débile d'accuser les français actuels des crimes commis par leurs ancêtres : tournons la page une fois pour toute ! L'éducation peut être vue comme un transfert de connaissances et un « apprentissage de l'apprentissage », l'un n'est pas contraint d'exclure l'autre. Toutes les esthétiques musicales se valent, chose évidente pour n'importe-quel musicien sérieux, étant entendu que l'on ne saurait réduire le génie artistique à une simple performance technique. Les blagues racistes peuvent être drôles si elles sont vraiment bonnes, mais pas si on les fait devant les caméras. Hiérarchiser les civilisations est un exercice très dangereux compte-tenu de la multiplicité des paramètres à prendre en compte, la preuve étant que le test de Q.I. qui place les Noirs derrière les Caucasiens et sert à justifier la colonisation, place les Asiatiques devant les Caucasiens et devrait donc justifier dès demain une occupation immédiate de l'Europe par les Orientaux (mais cela l'extrême droite ne le propose jamais), etc. etc.

Tout cela, toutes ces idées qui une à une méritent d'être débattues mais qui, prises en bloc, démontrent une totale absence de recul, tout cela se limite à refuser le temps qui passe au nom d'une équation simplissime : « c'était mieux avant ». De quoi que l'on parle, de quoi qu'il s'agisse, c'était mieux avant. Cette idée, ou en tout cas ses modes d'expression actuels, je pense que nombre d'électeurs du Front National la refuseront bientôt pour la bonne raison qu'ils sont nés après 1960 et la fin d'un certain monde. L'étonnant succès du FN auprès des jeunes va, à mon avis, accélérer ce processus de modernisation. Les aînés, Jean-Marie en tête, seront bientôt morts, et les jeunes frontistes pourront ajuster le tir, chose que Marine a déjà commencé de faire. Les militants du FN continueront de se battre pour une « Europe des Nations », pour une Europe chrétienne, pour un protectionnisme économique, pour que cesse l'immigration, mais ils le feront au nom d'arguments qui se voudront de plus en plus pragmatiques et de moins en moins idéologiques. Ils ne toléreront bientôt plus les rêveries obsolètes d'une génération en voie de disparition. Ils n'iront plus affirmer que la colonisation était une bonne chose, faire des blagues douteuses sur l'holocauste, comparer les mérites des dictateurs fascistes aux défauts de leurs homologues communistes, prétendre que tel genre musical est supérieur à tel autre. Ils admettront bientôt l'avortement parce qu'il arrangera les plus jeunes d'entre-eux. Ils renonceront bien-vite à la peine de mort parce que c'est finalement un débat assez vain. Feront-il cela par pure démagogie ? Même pas ! Ils le feront parce qu'ils se moderniseront ! Et ils auront raison ! Ce faisant, ils se donneront précisément les moyens de concurrencer l'UMP, qui se veut respectable et républicain en dépit du mauvais goût assez outrancier de la gouvernance sortante. L'UMP a marché sur des œufs, flirté de trop près avec la division quand il eut fallu prôner l'union, mais l'UMP reste respectable pour nombre de ses électeurs, les mêmes qui crachaient sur le FN au second tour de l'élection présidentielle de 2002. Ces mêmes électeurs se tourneront volontiers vers Marine Le Pen, lorsqu'elle aura fait amende honorable du passé douteux de son parti.

Le fera-t-elle ? Oh que oui ! Le FN va même aller jusqu'à changer de nom : c'est annoncé et c'est habile, parce qu'un « front » est toujours « contre », là où un « parti », un « mouvement », une « union » peuvent être « pour », c'est à dire non plus dans l'opposition mais dans la majorité. Alors oui : peut-être que le Front National sera, à terme, le prochain parti de droite dominant. Mais le temps qu'ils en arrivent là, deux ou trois élections présidentielles de plus à mon avis, ils se seront sagement alignés sur les idées de la droite « parlementaire », ils seront sagement devenus tout ce qu'ils dénoncent aujourd'hui. À force de compromission, ils n'auront plus rien d'extrême et ils ne seront alors ni plus dangereux ni plus répugnants que Nicolas Sarkozy et ses amis.

Est-ce à dire qu'il ne faut plus lutter contre le FN si l'on est opposé aux valeurs qu'il défend ? Certes non. Mais si l'on craint qu'il ne transforme un jour la France en dictature fasciste, alors je crois qu'il n'y a pas grand chose à craindre : l'avidité politicienne et les compromis qu'elle entraîne sont les mêmes partout, de gauche comme de droite. Le mythe du FN fascisant et anti-républicain vient d'être entamé par Marine Le Pen. Son succès sans précédent ne saurait que l'encourager à poursuivre en ce sens !

Et à vrai dire, si tout cela pouvait amener les gens à parler franchement, à dire ouvertement ce qu'ils pensent, j'aimerais autant. Parce qu'autant le gouvernement Sarkozy me donne la gerbe à force de flirter avec ce qu'il a toujours prétendu dénoncer, autant je préfère que ceux qui ne veulent pas de l'islam ou des maghrébins en France, ou de l'Union Européenne, puissent en débattre publiquement plutôt que de se cacher et d'être finalement au second tour tels un lapin sorti du chapeau en mai 2002 ! Et puis même, je le dis franchement : on a le droit de se poser ces questions, ce n'est pas qu'une affaire de droite ou de gauche. Il n'y a rien de pire que le tabou. On a quand même des problèmes liés à l'immigration de seconde ou de troisième génération et ce n'est pas nécessairement être contre l'immigration dans l'absolu que d'évoquer ces problèmes-là. De ce point de vue-là, c'est le package-deal idéologique de gauche qui mérite d'être montré du doigt : à force de ne pas parler des choses qui posent un petit problème, elles deviennent un gros problème. De même que l'on peut être pour une Europe fédérale et contre l'obscurité kafkaïenne des institutions européennes actuelles.

Mais pour en en revenir au FN, d'ici à ce qu'il se soit « réhabilité », il est probable qu'un autre dirigeant politique apparaîtra, qui exhumera les idées les plus radicales de Jean-Marie Le Pen, les modernisera vaguement, traitera Marine Le Pen de vendue et récupérera les insatisfactions d'une France en souffrance. Anticipant cela, je ne dirai qu'une chose : il est temps d'enterrer les idéologies du dix-neuvième et du vingtième siècle, qu'elles soient de gauche ou de droite. Le monde a trop changé. Nous avons trop changé. Le clivage droite/gauche est une momie. Et s'il faut à tout prix fonctionner en dogmes, réinventons au moins nos dogmes en fonction de ces changements.

7 commentaires:

Annie GH a dit…

J'ai mis ton texte en discussion chez moi. A+

Serpa a dit…

L'extrême droite qui ne serait plus l'extrême droite ... Un peu comme les frères musulmans au Maghreb, qui ne sont plus extrémistes, à ce qu'on dit. En Libye le nouveau gouvernement à interdit les partis politiques basés sur la religion, mais comme la nature a horreur du vide, les salafistes sortent du bois. En France, si on suit ta prospective d'un FN sans les idées, la xénophobie, le racisme, l'antisémitisme etc trouveront toujours à s'exprimer, et la question sociale continuera d'être ethnicisée ...

Labanda Fabienne a dit…

Voter. Votons. Vote!

Martine Barbet a dit…

vos insomnies sont intéressantes...

Olympia a dit…

Bien écrit. Il y a en effet un point sur lequel beaucoup de politiques font l'autruche, c'est celui de l'immigration : on navigue soit entre la peur des flux migratoires (ton "c'était mieux avant" peut-être?) et la France Terre d'accueil. On a peu entendu de discours politiques sur cette question avec des chiffres qui remettent les pendules à l'heure. Pour ma part, je n'ai pas d'avis tranché sur la question parce que je n'ai pas de chiffres. Mais il y a une réalité : celle des banlieues qui stigmatisent toutes les peurs, toutes les colères, le chômage chez les jeunes...... Quant à la politique à long terme du FN, oui c'est certainement faire voler en éclat l'UMP.

Nestor le Castor a dit…

Vous semblez n'avoir pas compris que l'UE est une dictature. Et que Marine Le Pen ne fait que semblant d'être contre l'Europe et l'euro, car sa profession de foi aux présidentielle montrait, comme toutes celles de son père (!) qu'elle ne souhaitait ni sortir de l'Europe ni sortir de l'euro. Donc continuer à servir les intérêts US, économiquement, diplomatiquement, militairement. Il est vrai que le père et la fille ont la rente de député européen (comme Mélenchon et Dupont-Aignan d'ailleurs).
Sinon j'aime bien les grandes lignes de votre analyse. Evidemment sur l'immigration, personne ne sait que c'est la Commission européenne -vous savez, ces gens non élus- qui la décide pour la France. C'est d'ailleurs aussi le cas pour les question économiques et sociales : nos gouvernements sont de la mascarade. Je vous revois aux analyses de François Asselineau. C'est long mais impeccable, je n'y trouve rien à redire historiquement et dans les analyses économique (interview sur la crise sur radio Notre-Dame, très pertinente).
En revanche je pense que le clivage gauche-droite correspond toujours à une réalité de perception des choses (les voir les catégories sociales qui votent d'un côté ou de l'autre) mais aussi à deux conceptions du bien commun. J'accorde autant de crédit à l'une qu'à l'autre -cela dit, la gauche n'arrivant pas à dépasser dialectiquement sa critique du capitalisme, je penche à droite (je ne parle pas de nos hommes politiques honteux). Cependant, je place au-dessus de mes idées, celle de démocratie, qui suppose que ce soit le peuple qui décide. Ce qui suppose : 1) la disparition d'une classe d'hommes politiques de métier ! Les charges publiques devraient être échues par tirage au sort ! (hé oui bande de flemmards qui voulez vous contentez de voter pour une caste d'aparatchiks, au boulot ! Et si vous pensez ne pas avoir les compétences -hé bien, on vous a bien manipulés ! Comment pouvez-vous croire une chose pareille ?). Evidemment, le contrôle des citoyens serait très fort.
2) Des lois rédigées par le peuple ! (tirage au sort parmi les groupes représentatifs).
Etienne CHouard se fait aujourd'hui le champion de cette véritable Démocratie Ahténienne, mais on ne l'avait pas attendu ! Enfin, merci à lui, vous trouverez des choses sur internet.

J'aime beaucoup votre déduction que le FN devenant acceptable, il y aura un nouveau parti d'extrème-droite -si on le laisse exister cette fois !

Flora a dit…

Quelle animation ici !
Je te trouve un peu léger d'écrire "l'occupant n'a jamais rien à faire du sort de l'occupé,..." parce qu'une différence entre la colonisation à la française et à l'anglaise tient justement au fait que, si l'exploitation et la violence étaient les mêmes, les Français étaient persuadés d'apporter quelque chose aux pays qu'ils exploitaient. Hôpitaux, écoles, infrastructures parfois autre que purement utile à l'exploitation : certaines populations en sont encore reconnaissante ! Aussi étrnage que cela puisse paraître ! Au coeur du Mali, tel village a un très mauvais souvenir de la colonisation, tel autre un très bon ! Et ils le font tous deux savoir ! Mais effectivement, tournons la page.
Ca fait partie du package de gauche que de faire croire qu'on peut se contenter du même enseignement pour tous. D'où -outre les ravages de la télévision (voir conférence ou interview ou livre de Michel Desmurget)la baisse de niveau général. La maîtrise de la langue étant fort variable, ne pas faire de classe homogène est une insulte faite à tous les élèves : ceux contraints de s'ennuyer, ceux qui n'auront pas assez d'attention, et ceux qui de toute façon n'arriveront presque jamais à faire de bonnes études par manque de bases -je pense en particulier aux nombreux "français langue étrangère" qui peuplent aujourd'hui les classes de primaire. Alors que des classes de niveau dont l'ambition serait d'amener les élèves à une classe commune de français au collège pour l'étude des textes classiques serait une belle idée, non ?
Effectivement, on ne peut apprendre à apprendre sans apprendre. Mais le plus choquant, c'est qu'il n'est pas demandé de comprendre aux élèves, qui accumulent des connaissances à court terme absolument inutiles -et vite disparues.
Saviez-vous que jusque l'âge de 6 ans environ, les enfants noirs "cassent" les scores des tests de QI ? Ils sont généralement mesurés comme "géniaux" ! Parole d'orthophoniste ! Le barème des tests de QI ne s'applique donc pas aux jeunes noirs. Or, il est amusant de constater que les exercices de logique formelle sont sans cesse revus à la hausse en terme de difficulté pour garder la même échelle de QI. Or les jeunes ne sont pas plus intelligents, créatifs... Et je pense qu'il en est de même de l'intelligence des Noirs : la culture africaine -pour généraliser- ne recherche pas cette forme d'intelligence-là, que nous poussons à l'extrême.
"Toutes les esthétiques musicales se valent...". Les "esthétiques", concept flou, peut-être, mais tous les musiciens sérieux vous diront clairement que l'étude de la musique classique voire du jazz -mais dans ce qu'il doit au classique- est la seule capable de vous rendre apte à inventer, créer des choses dans le domaine de la musique harmonique et polymélodique. On peut faire de la pop, du rock, de la salsa, du funk, de l'électro, à partir de la musique classique (et du jazz pour les aspects rythmiques), mais l'inverse n'est pas vrai. On ne remonte pas du rock et de la pop vers le jazz et le classique.
Votre phrase venait du package de gauche sans doute ?

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