24 février 2012

The India Experience - 19/ The Long Way Home Experience (Pt. 2)

Premier voyage en Inde, février-mars 2001.

Décollage ici.
Expérience précédente : The Long Way Home Experience (Pt. 1).


22 mars 2001 - 29 mars 2001 : The Long Way Home Experience, de Hampi (Karnataka) à Lyon (France), en passant par Hospet (Karnataka), Hyderâbâd (Andra Pradesh), New Delhi (Delhi), Amritsar (Punjab), Lahore (Pakistan), Karachi (Pakistan) et Istanbul (Turquie).

Le réveil est épique, la fièvre est un peu retombée mais je suis toujours à la limite du délire. Je parviens tout de même à me traîner jusqu'à une navette qui me conduit à la frontière, que je traverse juste avant qu'elle ne ferme. À la gare de Lahore, j'apprends que le train est plein et qu’on ne peut me donner qu’une place « debout ». Quoi que peinant précisément à tenir sur mes jambes, je suis bien obligé de prendre ce train et peu importe de devoir passer ces dix-neuf heures assis, couché ou en lévitation ! Je me retrouve donc entre deux wagons, en compagnie d'une bonne dizaine de Pakistanais. Nous sommes là entassés les uns sur les autres, vautrés sur le sol crasseux, utilisant nos bagages comme oreillers et somnolant comme nous pouvons. Le désert du Thar, tout autour, est encore plus beau que du côté indien, mais la fièvre et mes incessantes excursions aux toilettes m’empêchent de vraiment profiter du paysage. Au matin, un homme s’enquiert de mon état (malgré le bronzage, je suis blanc comme neige). Comme je n'en mène pas large, il profite d’un arrêt de dix minutes à une gare pour s'éclipser et me ramener deux cachets de Dieu sait où : un pour la fièvre, un pour la diarrhée. À ce stade, tout le monde a compris dans quel état je suis : mes compagnons de voyage, bienveillants, redoublent d’attentions à mon égard. Jusqu’au geste fatal : à une heure de l’arrivée, on m’offre une cigarette. Je n’ai pas fumé depuis un mois, j’en ai perdu toute envie. Mais je suis, comment dire, tellement à bout, tellement prêt à m'accrocher à n'importe quoi qui m'apporte un peu de réconfort… Alors j’accepte. Et comme tous les fumeurs le savent, je suis perdu dès la première bouffée, condamné à m’y remettre peu à peu.

Ce trajet de Lahore à Karachi restera parmi les moments les plus pénibles de mon existence. Paradoxalement, je vis cet enfer avec au fond de moi une sorte d'amusement. Je sais que j'y repenserai avec tendresse, que le mauvais trip se transformera en bon souvenir. Accepter le réel tel qu'il est et sourire ?

Je me sens un peu mieux (comprendre « moins pire ») lorsque le train me jette à Karachi. Je me perds en cherchant l’aéroport. Deux bons samaritains me viennent en aide. Plutôt que de simplement m’indiquer le chemin, ils me conduisent sur place, comme cela se fait souvent en Asie où les gens sont serviables et pas juste polis. Les Pakistanais sont, décidément, les gens les plus amicaux qui soient ! Quinze heures durant, quinze interminables heures, je comate lamentablement sur un banc de l’aéroport. En face de moi, un écran de télé diffuse deux-cent-cinquante fois d’affilée la même pub pour Pepsi Cola avec des filles dénudées (au Pakistan, je vous prie !). Les pages de pub sont entrecoupées de vidéos de crashs aériens avec des rires pré-enregistrés (dans un aéroport, je vous prie !). Je regarde ça avec un mélange d’indifférence et de fascination, me demandant de temps à autre si je n'ai pas des hallucinations à cause de la fièvre (mais non, je n'en ai pas). Les mouches, elles, me harcèlent comme si leurs copines du désert leur avaient passé le mot. J’envisage le plus sérieusement du monde d’écrire aux Nations-Unies pour suggérer un génocide mondial et organisé de l’espèce mouche, voire de toutes les espèces arthropodes. Enfin, je fais le constat suivant : « Cinq jours que je ne fais qu’attendre… Attendre que mon train parte, attendre que mon train arrive, attendre que des bus qui n'arrivent jamais se décident à partir, attendre que ma fièvre diminue, attendre que mes intestins se vident, attendre que mon avion décolle… ». Et finalement, vidé de tout au sens propre comme au sens figuré, j'accepte tout, et j’écris Vierge.

Je commence, pour quelque raison, à suffoquer comme un asthmatique lorsque l’heure de s'envoler arrive enfin. Je m’avère évidemment incapable de dormir pendant les huit heures de vol. Turkish Airlines a décidé de diffuser Charlie et ses drôles de dames. C'est un nanar intégral mais la distraction est bienvenue. Dans les écouteurs, je découvre What It Feels Like For A Girl, le nouveau single de Madonna. C'est une berceuse. C'est magnifique. Je vibre.

Ma première pulsion, débarqué à Istanbul, est de me précipiter dans un MacDo pour y boire un vrai café européen. Il me reste exactement assez d’argent pour m'offrir un aller-retour en ville, du pain, du fromage, un livre d’occasion et deux ou trois cafés supplémentaires. Curieusement, je tombe sur Le planétarium de Nathalie Sarraute en français. Ce court roman ne suffira pas à m'occuper pendant deux jours, mais enfin c’est mieux que rien. Ah parce que oui, il faut préciser que mon escale dure deux jours et deux nuits. Et comme une chambre d'hôtel est hors de question, il ne me reste plus qu'à camper à l'aéroport !

La première nuit est sportive : comme les bancs sont inconfortables, j’essaie de dormir par terre à trois endroits différents. Je me fais systématiquement dégager par les vigiles, jusqu’à céder et occuper ces damnés bancs ! Preuve s'il en est de quelque sixième sens, la première fois je rêve que je me fais virer par des vigiles et immédiatement après, ils me réveillent ! Je suis moins malade mais je fais des cauchemars toute la nuit (ma mère, encore et toujours, qui me menace, picole, se suicide en chantant la chanson de Ghost, ressuscite ensuite pour me harceler de plus belle, ce genre de trucs infernaux…). Après la canicule indienne, la climatisation de l’aéroport me donne l'impression d’être à l'intérieur un freezer, je ressors le pull et la veste du sac. Comme il me reste exactement de quoi m’offrir deux cafés, j’en prends un le matin et un le soir, tout ceci justifiant que je passe douze heures assis à la même table. En face de moi il y a MTV et je saute de Sarraute à Janet Jackson et de Janet Jackson à Sarraute, parce qu’il me semble que MTV ne diffuse rien d’autre que Janet Jackson. Je finis par compter les artistes et réalise qu’en douze heures, MTV diffuse en boucle les clips d’une quinzaine de musiciens. Dix ans auparavant, lorsque l’ado que j’étais passait des journées entières devant MTV, la chaîne diffusait des tas de trucs variés. Je me dis alors, déjà en 2001, que les majors nous prennent vraiment pour des cons lorsqu'ils viennent nous expliquer que les téléchargements illégaux « tuent la diversité musicale » ! Pour rester en famille, MTV m'offre un seul vieux clip : In The Closet de Michael Jackson. C'est ce jour-là que je réalise à quel point l'album Dangerous, paru en 1991, était visionnaire ! Non seulement rien, à l'époque, ne sonnait comme cela. Mais surtout, et c'est là que le génie du producteur Teddy Riley est flagrant, l'essentiel des tubes de 2001 semble calqué note pour note, son pour son, sur le contenu de Dangerous. En 2010, je puis dire que cette assertion est toujours valable ! Cette influence indéniable sur l'avenir de la dance music, cet avant-gardisme spectaculaire en font, au bout du compte, le meilleur disque jamais enregistré par Michael Jackson ! Pour le reste, je m’ennuie tellement qu’il me vient des idées bizarres, comme par exemple un Mysterio dont le masque serait un stroboscope de boite de nuit. À présent, je ne rêve plus que d’un bain chaud et d’une nuit dans mon lit douillet. Mais je dois encore m’en farcir une dernière sur les bancs de l’aéroport avant de, enfin, m’envoler pour Lyon.

Je n'ai aucun souvenir du vol Istanbul-Lyon. Je me souviens clairement, par contre, que c’est une espèce de zombie pâle, sale et maigre comme un clou que mon ami Christophe N. récupère dans un éclat de rire à l’aéroport. Lorsque nous en sortons, l’odeur de cet air pourtant si familier, froid et sec, me choque les narines. Rouler dans une Twingo sur une route plate me donne l’impression de glisser sur l’air à bord d'une navette spatiale. Faire couler de l’eau chaude dans une baignoire me semble aussi miraculeux qu'une piscine à vagues ! Le confort qui soudain s’offre à moi me donne l’impression d’être devenu millionnaire. Mon appartement pourrait tout aussi bien être le palace d’un émir arabe… Replongé dans ce confort ordinaire, je réalise combien je suis riche en comparaison des gens que j’ai rencontrés en Inde. Et je ne parle même pas des sans-abri, simplement de tous ceux qui ont juste de quoi s’offrir un toit, quelques vêtements, trois repas par jour et un vieux radio-cassettes ! Ce sera la dernière « révélation » de ce voyage : le luxe, l’opulence ahurissante dans lesquels nous vivons tous ! Le fait que le moindre RMIste français possède une télé, un lecteur DVD, un ordinateur, le chauffage, l'eau courante et de surcroît chaude et potable, une console de jeux vidéos, un frigo, un lave-linge, un micro-onde… Et de ce jour, en dépit des années de vache maigre qui m'attendent, je n’aurai plus jamais l’angoisse de ne plus pouvoir payer une facture ou de manquer d’argent pour finir le mois. Parce que de ce jour je sais qu’ici, en comparaison de l'Inde, même le pauvre est riche !

Et c’est sur cette pensée réconfortante, dans un bain chaud bien mérité, que se termine mon expérience indienne. Bien d'autres aventures m'attendent à Lyon qui, un an et demi plus tard, vont me conduire en Chine ! Mais cela est une autre histoire…


Expérience suivante : A Prelude 2 The China Experience.

(& pour le second voyage en Inde, c’est ici !)

9 commentaires:

Élaine Germain a dit…

Ooooh.... C'est fini?!!! Comme ces lectures régulières vont me manquer! Merci pour tout ce superbe récit mon Madcap, il fut une Expérience fabuleuse pour moi, un voyage intérieur avec toi d'une richesse immobile inouïe. Merci, merci, merci, je repars avec, précieusement.

Anonyme a dit…

Je me reconnais dans mes diverses pérégrinations aussi. Voyager est toujours une aventure. Lorsqu'on se déplace de son train train quotidien, l'horizon s'ouvre vers des péripéties, des attentes, des rencontres d'anges gardiens éphémères mais essentiels à la prise de conscience de beaucoup de choses importantes. Le voyage c'est l'ouverture de la prise de conscience. Le quotidien nous aveugle de sa banalité. Le challenge serait de faire de son quotidien un voyage pour continuer à voir et à rencontrer ces moments indispensables, ces personnes ressources, ces anges qui sont autour de nous tout le temps mais que nos yeux fermés ne voient plus. Le voyage c'est ouvrir un espace temps différent. D'autre part, ton écriture est très belle et très fluide, c'est un plaisir de te lire.

Olympia a dit…

Oui, le pauvre est riche ici mais as-tu vu les derniers chiffres en France sur le nombre de personnes pauvres qui ne demandent aucune aide par dignité et qui vivent vraiment pauvrement? Quant à la navette spatiale c'est une belle sensation !

TAM-TAM a dit…

Les riches le sont de plus en plus et les pauvres, ah les pauvres...Il ne fait pas bon d'être pauvre dans un pays pauvre...KISSS

mama.K a dit…

J'aime bien avoir le dernier mot!... mais j'avoue que quand je tombe sur quelqu'un qui me "pose".........................!!! ...J'suis posée, là... Belle découverte (Myspace n'est pas mort!)..... MERCI!!!! :)

Martine Barbet a dit…

j'ai vécu ces expériences de Vie en 1973-1975 si cela vous intéresse...

Patatartiner a dit…

La dernière étape de ton voyage est tristement peu à l'image du reste...
Comme une sorte de longue descente qui te ramènera à un quotidien oublié.
Tu parles de sixième sens dans ton texte, qui t'a fait anticiper les réveils brutaux des vigiles... Ben en fait, il semblerait que tout ce chapitre où tu renoues avec notre mode de vie en soi aussi le signe : la fièvre retombe et les images tournent en boucle, le retour en Occident est amorcé !
En tout cas merci de nous avoir fait voyager avec toi par procuration et vivement l'acte deux !!

Cachou a dit…

Cette impression de richesse matérielle -mais de pauvreté humaine-, je l'ai souvent eue en regardant les photos que Gévé poste sur son wizzz, et qui proviennent d'un village du Népal, Chepté, où s'est engagée sa sœur. Avec à chaque fois la même ambivalence : le décalage avec mes propres conditions de vie, plus faciles, plus confortables (faut-il en avoir honte ?), et l'envie que je ressens en voyant cette fraternité palpable à travers les clichés ...
Tout ton voyage aussi a été émaillé de ces rencontres, de ces constats, de ces interrogations. Inévitable morsure paradoxale qui nous envenime, nous qui sommes du "bon côté".
Merci pour le voyage, Shaomi-mi !

Claude Hersant a dit…

J'ai eu quelques galères épiques pendant mes voyages anciens ( un peu aussi pendant des voyages plus récents) mais jamais si longs que toi sur ce coup là ! Tu fais fort !

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