Premier
voyage en Inde, février-mars 2001.
18
mars 2001 - 21 mars 2001 : The
Hampi Experience,
Hampi (Karnataka)
Je
ne sais ni pourquoi ni comment je m'obstine à voyager avec la fille
aux yeux de miel. Non que nous soyons fâchés mais le malaise est
tangible et pesant, aussi serait-il plus raisonnable d’aller chacun
de notre côté à présent. Sauf que j’ai l’intuition profonde
qu’il me faut aller à Hampi et puisqu’elle y va aussi… Rien ne
m’attend en fait là-bas que l’un de mes deux endroits préférés
au monde (l’autre étant Lijiang, en Chine, que je découvrirai en 2002), et aussi un retour à une expérience indienne véritable,
dont l’interlude Om Beach m’avait coupé.
Dans
le bus qui nous emporte, je découvre vraiment les paysages tropicaux
du Sud. L'inde du Nord est jaune, toute de poussière et de sable. Le Karnataka, à l'inverse, est verdoyant. Le trajet
m'inspire cette phrase ésotérique : « Les chiots ont
grandi. La manière d'être de la vie est similaire à la manière dont
mangent les chameaux ». Je n’ai absolument aucune idée de ce
que j’ai bien pu vouloir dire par là…
Lorsque
mon regard se pose pour la première fois sur les paysages de Hampi,
le décor qui s’offre à moi est à ce point surréaliste de
beauté, à ce point différent de tout ce que j’ai pu contempler
auparavant, que j’ai l’impression de voir des images de
synthèses. Cela ne peut pas être réel,
cela ne peut qu'être qu'une planète sortie de Star
Wars. En
comparaison, même le désert du Thar semble fadasse. Je ne me
risquerai même pas à tenter une description. Je n’ai jamais rien
vu d’aussi beau et je pense que je ne verrai jamais rien d’aussi
beau de ma vie entière… Je suggère de chercher une guesthouse
dans le Lonely
Planet,
mais la jeune fille aux yeux de miel exige de « suivre son
intuition ». Son intuition, fort heureusement, nous conduit
jusqu'à un élégant assemblage de huttes confortables, disposées
au milieu des bananiers. La jeune fille décrète ensuite que, cette
fois-ci, nous prendrons une hutte chacun. Nul ne se risque à
contester sa décision, et surtout pas moi !
Le
village lui-même est assez petit. Il y a quelques siècles pourtant,
Hampi était une cité d'un demi-million d'habitants, capitale
florissante de l’empire hindou du Vijayanâgara.
Les sultanats musulmans du Nord, royaumes rivaux, se chargèrent de
réduire en miettes et l'empire et la ville. Ne restent de ce carnage
que les ruines de divers temples et bâtiments, éparpillés sur
plusieurs kilomètres au milieu de ce que Wikipedia qualifie à juste
titre de « paysages insolites et grandioses ».
À
l’exception de ce cadre incroyable, l’expérience la plus
marquante est celle de la chaleur. Il doit faire dans les 45° mais
l’air est beaucoup plus humide qu’à Jaisalmer ou même à Om
Beach. Au réveil, la chaleur me fait à peu près le même effet
qu'un gros bang
de haschisch. Il me faut végéter deux heures devant mes corn-flakes
pour trouver la force de prendre une douche et quitter enfin le
jardin de l’hôtel. Il en résulte que je commence mes longues
ballades aux alentours de midi, heure où le soleil tape le plus
fort. Mais dès-lors que je me suis mis en mouvement, mon corps est
comme pourvu d’une énergie miraculeuse. Je gambade et grimpe avec
l'assurance de mes amies les chèvres. Toute cette chaleur devient
une véritable expérience dans l'expérience. J’ai toujours aimé
la canicule mais celle-ci est d'une démesure telle… J’adore
ça ! Je dégouline de sueur du matin au soir mais j’ai
l’impression de baigner dans un bain de vitamines. Mon corps est
comme câliné
par l’air. L'idée même du froid s'efface ! Bizarrement, ma sexualité s'en trouvera
bouleversée : ce n'est rien d'autre que le climat tropical
d'Hampi, que je rechercherai désormais à travers mes partenaires…
Je
passe mes journées à vagabonder entre les temples, les rochers et
les bananeraies. Je me réconcilie avec le monde après le marasme
d’Om Beach. Hampi agit sur moi comme un baume. Le second soir,
j’essaie le bhang-lassi
(sorte de milk-shake au cannabis, plus ou moins légal en Inde selon
les régions). Le mélange d’herbe et de chaleur m’envoie en
orbite. Je trouve Dieu sait comment le moyen de regagner la
guest-house. Là, je m'avachis sur un fauteuil, devant la télé que
regardent avec attention un petit groupe de mamas
indiennes. Le spectacle de la télé indienne est déjà un trip en
soi mais dans l’état où je suis, la bouillie de publicités
kitschs et de dramas
cheaps,
tout ça en langue kannada, se mue en expérience psychédélique ! Sur le chemin de ma hutte, je
tombe sur la jeune fille aux yeux de miel, en train de s'extasier
devant les dessins de la jeune Allemande qui nous accompagne. J'y
jette un œil nonchalant, bien trop stone
pour savoir si je les trouve jolis ou hideux, puis je vais m'écrouler
sur mon lit. Je ne sais pas ce qui ce trame entre ces deux-là et à
ce stade, je m'en fiche éperdument : je préfère me
laisser emporter par le sommeil…
On
se « retrouve » un peu, avec la jeune fille aux yeux de
miel. On déambule quelques heures en tête à tête. La tendresse et
la confiance reviennent. Fouinant dans une grotte, nous dérangeons
des chauves-souris. C'est un moment si étrangement romantique que
c'en est presque déplacé. Je suis si honteux de mon attitude à Om
Beach que je me réjouis simplement de cette complicité retrouvée,
sans plus rien espérer d'autre. Hampi est bâti aux abords d'une
rivière et nous logeons de l'autre côté. Le troisième soir, nous
devons regagner nos huttes. Probablement fatigués de ramer (ils ont
d’ailleurs depuis adopté les barques à moteur), les bateliers
exigent cinquante roupies, c'est-à-dire cinq fois le tarif habituel.
La fille aux yeux de miel se met dans une telle rage qu’elle finit
par leur jeter avec mépris un billet de deux-cent roupies. Son geste
est accompagné d'une phrase du genre de celle qu'assène Leia à
Yan Solo dans Un
nouvel espoir :
« Si c’est l’argent qui vous intéresse, c’est tout
ce que vous aurez ! ».
Tant qu’à être sur une planète de Star
Wars,
autant traverser la rivière avec la princesse Leia !
Plus
tard ce même soir, je médite sur ma créativité :
« J’apprendrai de nouveaux mots car j’ai presque fait le
tour des miens, je trouverai des manières toujours plus habiles de
les agencer en phrases et en discours. Il est des formules magiques
que j’ignore encore, des équations spontanées qui naîtront en
moi au fur et à mesure que je re-sculpterai le réel ». Il est
vrai que mon « vocabulaire » artistique s'est
considérablement enrichi depuis un an. Ma poésie a pris de
nouvelles directions, plus abstraites.
Mon premier roman, L'incident
Œdipe
(inédit), s'est consolidé en même temps que mon savoir-faire. Avec
mon ami DaBoostemp, je viens de réaliser mon rêve de groupe
electrofunk. Ça s'appelle Shoona Sassi et les premières répétitions
se sont déroulées juste avant mon départ. Pulsize m'a invité à
composer le scénario de Small City,
un film expérimental. J'ai commis mes premières lectures publiques
au cours de la Neweden Week.
Florence Bordarier et moi avons brièvement entrepris de mettre en
scène une de mes nouvelles, Diamant sans canapé,
sous la forme d'une performance lecture-danse. Le spectacle Rumeur publique
m'a mis dans la peau d'un dramaturge et d'un comédien… Tout ça en
quelques mois à peine… De ces nouvelles cordes à mon arc, la
performance est la plus vibrante. Je suis tombé amoureux de la
scène, j'ai envie de développer ça. La Casa s'y prêtait
parfaitement. Tout au long de l'automne, chaque jeudi, nous avons
organisé des soirées portes ouvertes. Les fameux Jeudis
de la Casa.
Il fallait nourrir ces soirées de contenu artistique… Alors j'en
ai profité pour essayer des trucs avec mes Neweden
Freaks
et d'autres. Musique, projections, lectures, danse : tout
mélangé, en improvisation totale. On a appelé ça Combustions Spontanées.
Le résultat était parfois hasardeux mais j'y ai pris un pied
monstre. Chaque nouvelle expérience, en tout cas, contribuait
amplement à ma révolution intérieure, à l'aspect vertigineux de
cette année 2000. Chacune de ces découvertes artistiques était un
coup de langue inédit sur le clitoris électrisé de ma muse !
Un nouveau frisson dans ma chair, une nouvelle étincelle dans mon
psychisme… Créer est un acte sacré. « Au commencement était
le Verbe… ».
Et
d'ajouter : « Tout est différent, rien n’a changé ».
Tout est son contraire ? Peut-être…
La
veille de mon départ, la nuit tombe et comme je rentre d’une
longue promenade, je m’assois quelques minutes au bout de la rue
principale. En face de moi, à l’autre bout, le temple vertigineux.
Au milieu, la vie grouille. Les enfants s’amusent devant la
boutique de leurs parents qui chargent et déchargent
quelque marchandise. Les rickshows
klaxonnent pour écarter les chèvres, qui à leur tour bêlent pour
écarter les rickshaws.
Toute cette foule humaine et animale court dans tous les sens, parle
fort dans des langues inconnues, s’agite et déborde d’une vie
telle qu’on n'en verra jamais dans une rue européenne. Je me
prends d'un coup une sorte de claque, exactement comme celle que j’avais pris devant le temple d’or près de deux mois auparavant.
Je suis ici,
en Inde.
Je m’étais déjà tant habitué que j’en avais presque oublié à
quel point le simple fait d’être ici
est hallucinant. Lors de mes futurs voyages, grâce au souvenir de ce
moment précis, je ne l’oublierai plus jamais.
Je
crois que c’est à cet instant exactement que je suis tombé
amoureux de l’Inde. De la même manière que l'on tombe amoureux
d’une femme que l’on fréquente depuis quelque temps, mais que
l’on n’avait jamais vue avec ce
regard-là.
Toute cette vie, là devant moi,
débordante, colorée. Cette femme en sari qui
court après son enfant qui court après le pneu qui lui sert de
jouet… Je ne sais pas encore où ça me mènera mais je sais que
je suis amoureux. J’écrirai d’ailleurs, peu après : « J’ai
le sentiment que je pourrais être beaucoup plus perdu à mon retour
en France que je ne l’étais à mon arrivée en Inde ».
L’idée me parait saugrenue sur le coup, mais elle est prophétique.
Je passerai mes quatre ou cinq premiers jours à Lyon à errer,
ébahi et paumé dans ma propre ville.
Mais
il est temps de partir, d'abandonner Hampi et la fille aux yeux de
miel à leurs magies respectives, car un avion m’attend dans une
semaine à Karachi. J’ai passé trop peu de temps ici, quelques jours
à peine. Je sais qu'Hampi et moi devrons un jour reprendre les
choses là où je les laisse aujourd’hui. Je me jure de débuter
mon prochain voyage en Inde par cet endroit où se termine le
premier. Je tiendrai ma promesse, six ans plus tard.
Prochaine
expérience : The Long Way Home Experience (Pt. 1).
5 commentaires:
Pas mal du tout ton blog, il est vivant et varié, intéressant à parcourir:) ... Par contre tu ne donnes pas trop envie de découvrir Ulan-Bator et sa "gastronomie"! Sinon, bien ta "technique des 3 roupies" en Inde pour être tranquille!!
Merci Shaomi, l'Amoureux de l'Inde ! Toujours aussi vivant et coloré ce texte. mais aussi pour : "Créer est un acte sacré". Sacrément passionnante et talentueuse ta Création !
Comme quoi, tout dépend des mots, c'est eux qui sculptent le réel! Merci de ce voyage intérieur! La fille aux yeux de miel n'est plus qu'une poupée, une figurante.
J'ai voulu mettre des images sur ces lieux qui m'étaient, je l'avoue, inconnus (même de nom !) ... Mon ami Google m'a laissé entrapercevoir cette révélation qui fût tienne à travers une galerie de photos à couper le souffle.
Tu as suivi la fille aux yeux de miel, mais devant ce chaos, ces nobles ruines, et cette vie, tu as trouvé "autre chose". Un peu de ta "vraie vérité", peut-être ? .
« Les chiots ont grandi. La manière d'être de la vie est similaire à la manière dont mangent les chameaux »
C'est à dire que tu as engrangé dans ton être des aliments-souvenirs, sous forme d'images pour survivre dans le désert ?
Et vu que les chiots ont grandi, ils aboient fort et la caravane passe d'autant mieux... CQFD !! ;)
Bon, hormis cette explication hasardeuse de tes propos de l'époque, j'ai adoré cette rencontre avec cette partie trêve et très verte de l'Inde, qui vous a réconciliés toi et miss miel ^^
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