Premier
voyage en Inde, février-mars 2001.
12
mars 2001 - 17 mars 2001 : The
Om Beach Experience,
Gokarna (Karnataka)
Les
jours s'écoulent. Quatre petites journées qui me font l'effet d'une
éternité ! Je passe la plupart du temps à écrire des
dizaines de poèmes de merde à propos de tout ça, dont les seuls
fragments valables formeront plus tard le corpus de La plage d’Om.
Je renonce totalement à la bouffe indienne et m’empiffre de
pizzas, de chocolat et de corn flakes. J'y trouve un réconfort sans
borne et ça finit par donner Mon bol de corn flakes,
comme quoi l’humour s’immisce même dans les moments les plus
pitoyables de l'existence… Je passe de longues heures à nager dans
l’océan au péril de ma vie, avec un total mépris pour les
courants dont on ne cesse de me répéter qu’ils tuent une
demi-douzaine de touristes par an. Une fois, je disparais durant plus
de trois heures. Lorsque je reviens, ils me croyaient tous noyé.
Mais non, je n'ai même pas la chance de mourir en martyr !
Quelques chutes inédites de La
plage d’Om :
« Mélodie / Retrouvée / Présomptions / Ébauchées / Je mets
mes idées sur les mots qui me plaisent / Si les 2 ne vont pas
ensemble à vos yeux / Tant pis ! ». Et aussi :
« Aimer sans être vulnérable / Est-ce un mythe ? ».
La
fille aux yeux de miel vient me parler, exige des explications. Je ne
veux pas être désagréable (je ne le suis d'ailleurs pas, je suis
juste dans
mon coin).
On manque de peu de s'engueuler. On s'explique. Elle revendique sa
liberté. Je revendique mes sentiments. Je fous en l'air tout espoir
de la reconquérir. Avant Jaisalmer, elle a passé quelques semaines
dans un dispensaire au Népal, à soigner des miséreux atteints de
maladies incurables, livrés aux souffrances les plus insoutenables.
Elle s'insurge : comment, par contraste, puis-je me laisser
aller ainsi, dans ce décor de rêve, avec ma vie de rêve ?
Bonne question. Elle provoque trois conversations en tout. Pour la
seconde, elle m'embarque dans une calanque et exige qu'on se foute à
poil. Pour elle c'est un symbole : on se met à nu, on se dit
tout. Comme on parle, nos corps exposés me semblent grotesques. Il y
a deux mois, ces corps brûlaient d'excitation, se faisaient du bien
l'un à l'autre. Aujourd'hui, elle les transforme en revendication,
les intellectualise. Nos chairs alors s'enlaidissent, deviennent un
amas pathétique de cellules vivantes. La troisième conversation est
vraiment tendue. Elle est furieuse. Je ne maîtrise plus rien à ce
stade, je ne sais plus ce que je lui raconte, je suis une merde.
Michaël aussi est très mal à l'aise, il vient me voir à plusieurs
reprises, évoque l'idée de partir. Je le lui interdis, mon éthique
m'y contraint : il n'y est pour rien. En plus j'aime vraiment
bien nos rares moments ensemble. Qu'il reste : si quelqu'un doit
partir, je partirai. Mais je ne pars pas. Nous maintenons tant bien
que mal un équilibre. Elle fait preuve d'une patience sans borne à
mon égard, d'une obstination absurde à régler ce problème qui pourtant n'appartient qu'à moi. Mais elle a tort : elle s'acharne à préserver notre
amitié, j'échoue à préserver notre amour. On ne se bat pas
sous les mêmes drapeaux. Et puisque après tout je ne fais chier
personne avec mon spleen, elle devrait m'ignorer, me chasser ou
partir. Je devrais me chasser moi-même, recouvrer ma liberté
puisqu'elle tient tant à la sienne. Mais je ne pars pas. Je n’arrive
pas à m’éloigner d'elle.
Il
y a tout de même quelques moments de complicité. C'est déjà ça.
Cet apéro lors duquel nous trinquons un whisky frelaté… Le menu
en compte plusieurs marques mais nous savons que ça sera
dégueulasse de toute façon. Alors nous demandons au serveur de nous
servir le
pire de
ses whiskies. Il croit avoir mal compris, nous confirmons : nous
voulons le plus ignoble
de tous. Le serveur rigole, nous aussi. Une autre fois, une vache lui
vole sa pastèque pendant qu'une autre, décornée, tente de
m’encorner (ce qui fait tout de même l’effet d’un bel uppercut
au foie)… Et puis il y a nos fous rires devant cette voiture qui
parcourt inlassablement Gokarna. Le conducteur scande de mystérieuses
incantations dans un haut parleur, d'un ton absolument monocorde…
Nous apprenons finalement qu'il s'agit des résultats du loto, et ça
nous amuse encore plus…
Les
baba-cools de la plage et leurs feux de camps la comblent de joie et
me laissent complètement indifférent. Je suis tellement dark
qu'ils finissent par me taper sur les nerfs. Ils sont tous là à
fumer leurs pétards. Les dreadeux
jonglent et jouent de la guitare, draguent des dreadeuses
boudinées à la peau couleur jambon. Tout ce beau monde est d'une superficialité scandaleuse et je n'ai pas la moindre
envie de me mêler à eux. Ils n'ont que la « spiritualité »
indienne à la bouche mais leur manière de la vivre n'est qu'une
version tropicale du consumérisme européen. J'apprendrai d'ailleurs
par la suite que les Indiens ont le plus grand mépris pour leur
genre… Je leur abandonne ma jeune fille aux yeux de miel. Je
regarde passer les sveltes Indiennes à la peau cuivrée, autrement
plus attirantes que les dreadeuses.
Je me fais quelques amis pourtant : les chiens errants (six ans plus tard, je sympathiserai de même avec leurs enfants). Un soir que
je me sens particulièrement abattu et seul au monde, à dormir comme
un con tout seul sur le sable et pas à côté d’elle, ils flairent
mon mal-être et viennent se blottir tout contre moi. Je passe la
nuit en sandwich entre cinq nounours, infiniment reconnaissant pour
cet élan de tendresse. Je me sens, comme qui dirait, membre de la
meute.
Comment,
quelques jours après ma sortie triomphante de la Desert Experience,
comment
puis-je tomber si bas ? Je ne cesse de m'interroger. Il est vrai
que je tiens terriblement à cette fille. Et dans ma tête, c'était
ma dernière chance de parvenir à, enfin,
être vraiment avec elle. J'ai cristallisé à mort sur cette idée :
le trip romantique à deux, en Inde. Jolie carte postale. Il était
couru que je tombe de haut. Mais
ça ne peut tout expliquer. Je craque. Tout simplement, je craque. Je
me pensais sauvé
par le désert, je n'en étais que revigoré. Je me revois un an en
arrière. Comme je triomphais alors, avec mon collectif d'artistes et
ses succès. Tout semblait si bien s’enchaîner Que de désillusions
depuis. En un an, je suis devenu un adulte. Et je crois qu'à ce
moment-là, ça ne me plaît pas du tout d'être un adulte. Putain,
mais qu'est-ce qui s'est passé ? J'ai pourtant vécu tout ça
comme une épopée merveilleuse. Justement ! Je n'ai pas mesuré
la part des ténèbres, le poids des déceptions. Il y a un an, je
croyais qu'il était possible de faire
ensemble.
Aujourd'hui je suis épuisé des gens, de leurs egos, de leurs
caprices, de leurs crises de nerfs, de leurs mauvaises langues. J'ai été épouvanté par tout ce qui s'est dit sur mon
compte. Je me suis bougé le cul pour faire avancer les choses, pour
fédérer des gens, pour booster
la vie culturelle lyonnaise. J'ai consacré de longs mois à cela,
j'ai perdu beaucoup d'argent dans l'entreprise… J'y ai certes gagné
des expériences de vie inestimables, des amis fidèles, des
souvenirs incroyables et la possibilité, si je le souhaite, d'aller
plus loin. Mais il faut bien avouer que j'ai été très affecté par
les polémiques ridicules des uns et des autres… J'ai
combattu, pourtant. Je suis peut-être une merde ici à Om Beach,
mais à Lyon je suis un dragon ! Je
suis allé au fond des choses en cette année 2000. J'ai expérimenté.
J'ai vécu. J'ai grandi. De la Neweden
Week
jusqu'à ce voyage, j'ai mis en œuvre tous les trucs
dingues
qui me sont passés par la tête. La vie s'est chargée du reste. De
rajouter le piment et les épices. Ça a été une année cosmique
et je n'aurai jamais rien à regretter de cette folle épopée.
Mais aujourd'hui, sur cette plage paradisiaque, je craque. J'ai trop
encaissé. Trop de changements. Trop d'enjeux. Trop de pression. Et
pas de cerise aux yeux de miel sur mon gâteau… Alors je me
raccroche à ce vers de O(+> « Every now and then u must defend your right 2 die and live
again, live again, live again! ». Toute ma putain de vie résumée en une phrase !
Comme
en écho à ces idées de transhumance, un email m’apprend que la
Casa Okupada a reçu un avis d'expulsion. J'hésitais à me
désinvestir de ce projet-là aussi : voilà qui règle la
question. En même temps, n’en étant plus à une contradiction
près, je décide qu’il va falloir ouvrir un autre squat, pour
poursuivre l’expérience et accomplir de nouvelles Combustions Spontanées.
Je me jure au passage que les Taliban(E)s du Point Moc n’auront pas
même le droit d’y mettre les pieds : « Ça me fait mal
d’exclure, moi qui ai toujours prôné l’union
faisant la force, mais je ne veux plus avoir de compte à rendre à
ces gens-là. Je ne veux même plus entendre parler d’eux après
toute la merde qu’ils ont déversée sur moi, Neweden et la Casa.
Ils veulent du radicalisme, on va leur en donner ! ». Je
décide aussi que je ne les pardonnerai jamais. C'est une promesse à
laquelle je me tiendrai, par pur principe. Je peux pardonner qu'on
s'en prenne à moi s'il y a des enjeux affectifs. Je peux pardonner
qu'on s'en prenne à moi si je me comporte mal. Je ne pardonnerai
jamais qu'on s'en prenne à moi sans
raison.
Pourtant, dix ans plus tard, comme replongeant dans mes cahiers de
voyage et rédigeant ce récit, je songe à cette réplique du
scénariste Peter David : « Je me suis fait quelques ennemis…
Mais, hé ! Ils se sont tous volatilisés en poussière et je
suis toujours là. Alors je suppose que ça veut dire que j'ai
gagné ». Mais en ce début d'année
2001, les jeux ne sont pas encore faits !
Et
nous voici prêts à quitter Om Beach. Il semble qu'il ne s'est rien
produit entre Michaël et la jeune fille aux yeux de miel. C'est déjà
ça… Notre piteux trio se trouve augmenté d'une jeune Allemande,
récoltée sur la plage. La fille aux yeux de miel précise d'un ton
sec « Et j'espère que désormais tout est clair entre nous, et
que cela ne dérange personne ! ».
J'ai envie de la gifler. C'est si humiliant de sa part, de nous
adresser ça à moi et
à Michaël, quand tout le monde sait que ça n'est destiné qu'à
moi. Mais après tout, je suis une merde. Ma réponse, évidemment,
s'impose d'elle-même : « Non… Non non… Pas du
tout… ».
Lorsque
le bus quitte Gokarna, je me demande si je reviendrai jamais profiter
mieux de cet endroit magique. Je le ferai finalement en 2007. La
seconde Om Beach Experience sera aussi merveilleuse que celle-ci aura été lamentable. Les voies
du karma sont impénétrables…
Expérience
suivante : The Hampi Experience.
7 commentaires:
Merci ;-)
O pauvre Shaomi ! Mais non, tu es unique ! j'attends avec impatience, l'expériende de 2007. Shaomi : un écrivain de talent. Merci pour ses bons moments partagés.
Au fond, tout voyage n'est qu'une descente en soi-même, dans ses enfers intimes et on a beau être sous des ciels les plus purs, en des endroits enchanteurs, si on n'a pas la paix au cœur, on brûle ses graisses intimes. J'ai fait ce genre d'expérience en Chine et cela m'a guéri des voyages. Après tout, quand on voyage dans l'espace cela nous coupe du seul vrai voyage qui vaille la peine, le seul véritable et réel, ce grand voyage dans le temps qui est notre vie. Cela semble l'interrompre, et pourquoi? Pour quels bien imaginaires? Si je quitte mon jardin, je ne verrai pas fleurir ses roses. J'en verrai d'autres qui ne parleront pas ma langue et ce sera dommage. Quand j'ai voyagé, je me suis toujours installé dans le pays qui m'accueillit comme si c'était le mien, et mien il était puisque j'y vivais. C'est alors que je me suis dit: "Que fuis-tu de toi-même pour aller chercher d'autres pays tiens?"
Pas mal de pages se ferment, dans ce volet de tes aventures...
Ah, si l'on pouvait faire de la vie (et des amours !) comme avec le whisky ; choisir le plus mauvais sciemment, pour éviter l'amertume de la déception !
Malheureusement, du beau nait parfois le pire et le miel peut donner des aigreurs ^^
Ben j'espère en tout cas, qu'elle ne finit pas comme ça votre histoire !
Ton voyage laisse un vide bien étrange que l'on appelle la part des anges comme cette part du whisky qui s'évapore pendant son vieillissement en fût...
je reviens de Om beach ,et ton récit me parle ...
L'image de Mauron me parle : les roses lointaines au merveilleux parfum exotique exhalent souvent aussi le regret de n'avoir pu voir fleurir les siennes. Et inversement :-)))
A la lecture de cette partie, je t'ai vraiment senti très jeune. Les illusions gouvernaient encore avec obstination tes choix et tes attitudes, sans que tu puisses te résigner à y renoncer, et à les voir pour ce qu'elles étaient. Comme si tu voulais étouffer la conscience que tu avais malgré tout de la réalité !
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