23 avril 2009

Les adultes sont des cons !


Nous étions jeunes, nous avions vingt ans et tous nous avions décidé de faire de la création artistique notre vie.

La création artistique, nous en savions encore peu de choses, nous la découvrions à peine. Mais s'il y a une chose que nous savions, malgré notre (immense) arrogance, malgré notre (immense) naïveté, c'est qu'elle nous coûterait cher, qu'elle exigerait de nous bien des sacrifices.

Nous étions jeunes et tous paumés mais tous autant que nous étions, nous savions bien que c'était là notre vocation, qu'il n'y avait pas d'alternative possible, comme un destin qui ne nous demandait pas notre avis. C'était quelque chose d'irraisonné et de déraisonnable et ça le serait toute notre vie. C'était tout simplement plus fort que nous.

Il y avait quelque chose à chercher, une magie, une vérité peut-être, et nous devions chercher jusqu'au tombeau s'il le fallait (et il le faudra).

Nous étions jeunes mais aussi très vulnérables. Sortis du lycée ou à peine, découvrant la vie mais la sachant déjà difficile. Et nous aurions alors tant eu besoin du soutien de nos aînés.

Les adultes, nos parents, leurs amis, nos professeurs parfois : tous ou presque s'étaient passé le mot : il fallait nous décourager. Et ainsi ils nous apprirent (premier mensonge) que dans l'art il n'existait que deux alternatives, sans rien au milieu : le succès (la richesse et la célébrité) ou l'échec (une misère noire, absolue). Ils nous apprirent ensuite (second mensonge) que la première de ces options nous était inaccessible car nous n'étions pas assez doués et que seule la seconde, dans toute son horreur, nous attendait. Ils nous apprirent enfin (troisième mensonge) que nous étions en train de foutre toute notre vie en l'air et que (quatrième mensonge) nous le regretterions ensuite, avant d'ajouter (ultime et affreux mensonge) que nous pourrions faire autre chose, renoncer à créer, faire des études « normales » et aller ensuite au bureau tous les matins sagement, sans regrets, pendant que d'autres cherchaient ce que nous avions renoncé à chercher. Et être parfaitement heureux comme ça.

Certains d'entre nous ont en effet renoncé en cours de route. Ceux-là se sont rendus compte que la sécurité était une condition essentielle à leur bien-être (et qui peut les en blâmer ?) et que « chercher » n'était finalement pas si important. La plupart de ces gens étaient sincères dans leur désir de création, mais ça n'était pas si essentiel pour eux. D'autres ne cherchaient que la gloire et eurent vite fait de comprendre que la gloire, dans ce métier, est une notion toute relative et très coûteuse. Eux aussi renoncèrent vite.

Mais beaucoup d'autres sont toujours là. Ceux qui ne pouvaient pas faire autrement. Qui ne peuvent toujours pas. Il arrive que l'on soit tant dégoutté des concessions qu'il faut sans cesse faire au monde afin de pouvoir faire ce qu'on a à faire que nous en sommes quelques temps improductifs, mais ça revient toujours et nous replongeons de plus belle. Mais ce qui arrive surtout c'est qu'au bout du compte on ne galère plus tant que ça. On a trouvé nos voies de subsistance, nos heureux compromis, nos moyens de vivre correctement tout en restant artistes. On n'est pas millionnaires mais enfin ! Combien de gens gagnent-ils le smic en souffrant trente-cinq heures par semaine dans un bureau, dans une usine, sur un chantier ? Nos trente-cinq heures (parfois dix heures, parfois soixante-dix heures, ça dépend des semaines) ont au moins du sens ! Nous ne sommes ni riches ni célèbres, mais ce n'est pas non plus cette misère atroce qu'on nous avait annoncée.

Mais durant toutes ces années, combien d'angoisses, combien de douleurs, combien de peurs ? Combien aussi de moments de découragement ? Combien de cris ou, au contraire, d'actes désespérés pour obtenir la reconnaissance de nos aînés en dépit de nos choix de vie ? Ces choix dont nous savions qu'ils n'en étaient pas, qu'ils étaient plus forts que nous mais, contrairement à la drogue ou au crime, productifs, générateurs de rêves sinon d'humanité.

Les adultes sont des cons parce qu'à cause d'eux nous avons vécu ces années avec de la douleur et un sentiment d'échec injustifié. Parce que nous avons cultivé parfois les graines de l'échec qu'ils avaient semées en nous et que parfois nous avons peut-être échoué à cause de cela (ah, pouvoir de l'inconscient !). Ceux-là même qui prétendaient vouloir notre bonheur causaient notre malheur. Ils nous perturbaient et nous torturaient de leurs interminables, répétitives, redondantes et vaines remontrances. Nous avons plus de trente ans à présent, alors nous savons que l'erreur était leur et pas nôtre. Nous sommes heureux d'être là où nous sommes et de faire ce que nous faisons. Cette quête du beau et du sens qui nous anime est une chose merveilleuse. Y renoncer eut été folie. Mais combien de nuits blanches avant d'en arriver là ?

Les adultes sont des cons, mais maintenant c'est nous les adultes. Ne faisons pas subir cela à nos enfants.

21 commentaires:

tara a dit…

oui, tout cela est bien juste....sous ta belle plume.

stephanie gaou a dit…

Tout ce que tu dis est vrai, mais moi, tu vois, je me sens encore comme à 20 ans, avec mes illusions, mes envies de me dessiller les yeux, je n'ai pas pris une ride - virtuellement du moins, pour le physique, ce n'est pas gagné - et je crois qu'il faut toujours garder cette flamme de la jeunesse et ne pas finir en vieux con que plus personne n'écoutera. Les vieux qui plaisent aux jeunes sont ceux qui ont gardé cette innocence, cette fraîcheur... Allons-y, luttons pour rester jeune et artiste dans nos têtes...

safran a dit…

amen

Unknown a dit…

je souscris à tout cher maitre ;0)

stephanie gaou a dit…

Revenue ce jour lire ce beau texte...

Anonyme a dit…

tout est dit
tout est juste
bizes

Unknown a dit…

Hey... J'ai vingt ans aussi, je découvre, ce texte est un peu pour moi... Pour Rottenweiss et ses suites.

A++

Le Rolandiboy

Plume a dit…

^^
tout a fait d'accord...
epauler, et pas decider pour...
qui sommes nous pour decider de ce qui est bon pour autrui d'abord? ^^

laura a dit…

c'est pareil pour tout, tant d'années perdues, qui sait parfois, une vie abimée, à cause du fatalisme.
l'expérience n'est jamais identique.

¤EmA¤ a dit…

Helas on le devient tous, nos parents pensaient pareil de leurs parents, et nos enfants n'echperont pas à la regle...

La boucle est bouclée...

Y en a des pas doués cest vrais....y en meme des Grooooos boulets...

ms bon =)

Marlene a dit…

"Mais beaucoup d'autres sont toujours là "

J'aime beaucoup ce que tu dis dans ce texte
il y a des voies dans les quelles on persiste parce qu'il ne peut en être autrement
quoi qu'ils en disent...

Nicolas Manenti a dit…

je m´en rappelle bien ce texte et je suis d´accord avec toi...
je le publie sur mon mur allez! faut que ca se sache!

Audrey Betsch a dit…

Ou alors....
Se réveiller bien tard.
Mais se réveiller quand même.
Parce qu'il n'est jamais trop tard.
Jamais!
Des bises.

Val de monac' a dit…

Etre un adulte un peu moins con que nos adultes-- tout le challenge est là...

ISA, conteuse et comédienne a dit…

yes ! ma fille danseuse dans l'avenir, un de mes fils comédien, je me renierai si je n'étais pas avec eux. Oui suis d'accord les adultes sont des cons, mais je n'ai pas cédé. Ton texte est d'une révolte maginifique. J'adhère !

LAHERSE BEFEAT a dit…

oui !

Audrey Betsch a dit…

Très bon article

Claude Curutchet a dit…

Superbement écrit ce cri du coeur!

Isabelle Janvier Conteuse Comédienne a dit…

tu connais mes parents toi !

Thierry Cham a dit…

Impec !

Mickael Swietek Malet a dit…

Merci Shaomi :)

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