2 février 2008

De la jalousie et de la trahison de soi-même

Image : TovMauser
La jalousie, qui n’a pas éprouvé une fois dans sa vie ce sentiment terrible, cruel, qui vous ronge de l’intérieur et vous donne l’impression d’être tout petit, tout naze, tout larvaire…? Je ne parle pas ici de cette jalousie ridicule que certains éprouvent a priori, sans motif. Je parle de celle-ci, plus acide, qui se produit a posteriori, lorsque le ou la partenaire est allé voir ailleurs.

Et pourtant…

Je me souviens d’une époque où j’avais réussi à bannir le mot « jalousie » de mon vocabulaire. Ma philosophie était alors parfaitement résumée par ce passage du texte Fragments Nocturnes :

« Mon amour,
Je sais que tu ne comprends pas ma position, et tu sais que je ne suis pas très doué pour la parole, alors je profite d’une nuit sans pleine lune pour t’envoyer cet e-mail.
Tu me parles de fidélité, d’obligations, de devoir l’un envers l’autre, de mariage même ; tout cela m’est si étranger depuis que j’ai découvert l’Île. Je voudrais que tu comprennes que je ne suis pas encore prêt pour tout ça, que je ne le serai JAMAIS (Excuse-moi, je ne voulais pas hurler ce mot, mais tu dois comprendre.) Je t’aime, je t’aime même comme je n’ai jamais aimé quiconque, mais il y a des choses que tu dois accepter si tu veux que nous puissions poursuivre cette aventure à deux. Je me souviens encore avec une précision chirurgicale de ton regard horrifié, lorsque je t’ai dis que je serais heureux si tu avais un orgasme avec un inconnu, que je serais ravi de t’entendre me dire que tu as eu un mec de passage. Comprend que je préfère te voir assouvir un désir avec un autre et être heureuse, que de te contraindre à te restreindre et à refouler la réalité du fait que l’on ne peut pas ne jamais ressentir de désir pour quelqu’un d’autre. Comprend que je t’aime à un tel point que te savoir heureuse dans les bras d’un autre me remplit de joie, tant que cet autre ne s’interpose pas entre nous, et que j’en attends autant de toi. Tu es la plus belle chose qui pouvait arriver à un être comme moi, mais je suis un individu entier, et pas une moitié qui a besoin de son autre moitié pour exister. Si tu dois être mon épouse cela ne concerne ni maire ni curé ; si tu dois être mon amante tu dois être libre, et moi aussi ; si tu dois être ma sœur tu dois respecter mon intégrité comme je respecte la tienne. et ce n’est pas se tenir la main dans la rue et se smacker à longueur de journée qui fera de nous un couple, mais ce respect mutuel.
Que dire ?
Il faut qu’on parle.
Répond-moi vite, je t’en supplie.
jetaime@thedawn.com »

J’ai écris ça en 2001. Que s’est-il produit depuis qui m’ait fait oublier la valeur inestimable de ces mots ? Je me suis oublié moi-même. Je me suis trahi. J’ai oublié d’être égoïste et généreux à la fois. Oublié d’être généreux avec mes partenaires en niant leur droit au plaisir, à l’expérience. Oublié de me réjouir de leur jouissance et de leur droit à disposer d’elles-mêmes comme elles l’entendent. Oublié d’être égoïste en me préoccupant de ce qui ne me concerne pas, de ce qui ne remet pas en cause ma dignité ni ma fierté : « puisque tu reviens à moi, que m’importe ce que tu as fait ailleurs puisque, au bout du compte, c’est tout de même moi que tu as choisi. » Ce que ce texte dit, c’est qu’être jaloux est une trahison de l’amour que l’on a pour l’autre : c’est nier son existence propre, c’est vouloir en faire une extension de soi-même, c’est une volonté absurde et régressive de retourner à l’unité que le nouveau-né croît avoir avec sa mère. L’amour, le vrai, est désintéressé. Celui qui aime devrait se réjouir de l’indépendance de l’autre, de sa capacité à partager certaines choses avec d’autres : « je t’aime donc je veux ton bonheur donc si ça t’a rendu heureuse, je suis content pour toi ». C’est aussi nier le statut unique et irremplaçable de chaque relation humaine. Le plaisir, la tendresse, l’échange qu’il y a ici ne sera jamais celui qu’il y a là : « puisque tu reviens à moi, que m’importe ce que tu as fait ailleurs puisque, au bout du compte, ce que tu trouves avec moi, tu ne l’as pas trouvé ailleurs (et peu m’importe que la réciproque soit vraie puisque c’est ce que tu trouves avec moi que tu as choisi de conserver) ».

Être jaloux est pour beaucoup de gens un acte d’amour-propre, un acte de respect de soi-même : c’est une conviction grossière héritée de la tradition romantique ou peut-être même d’une tradition patriarcale plus ancienne encore. La jalousie est un sentiment personnel, masochiste, qui ne concerne que celui qui le ressent, en aucun cas celui qui le provoque. L’on ne fait souffrir que soi-même (à moins d’être assez tordu pour se mettre à faire souffrir l’autre du même coup). Je me souviens avoir été jaloux lorsque ma première petite amie, au lycée, m’a avoué être amoureuse d’un autre. C’était ma première expérience de l’amour et je n’avais alors aucune arme pour lutter contre la douleur qui me rongeait. Lorsque cette histoire fut terminée, je me fis le serment de ne plus jamais me laisser aller à cette souffrance complaisante et inutile : « plus jamais je me trahirai de la sorte ! ». Car oui : la jalousie est une trahison de soi-même ! Être jaloux c’est oublier à quel point l’on est merveilleux, à quel point l’on s’aime soi-même au point de devenir dépendant de l’hypothétique considération des autres pour se sentir complet. C’est oublier que l’on se doit à soi-même le plus grand respect qui soit. Le respect, c’est ne pas faire souffrir inutilement l’objet de son respect. Or celui qui est jaloux s’impose une épreuve terrible et destructrice. Il n’a aucun respect pour lui-même puisque qu’il se fait du mal. Un mal inutile et tout à fait gratuit.

Je me souviendrai toujours de ces propos, tenus un jour par mon ami Martin Rodde : « Les gens passent leur vie à courir après l’amour des autres : celui des parents, des amis, des petite(e) ami(e)s. Mais ce que chacun oublie, c’est que la vie l’aime. Est-ce que quand je me lève le matin la vie oublie de mettre mes mains au bout de mes bras, l’air dans mes poumons, mes yeux dans leurs orbites ? Non ! La vie m’a créé et elle me donne tout ce dont j’ai besoin. C’est cet amour-là qui est nécessaire et il est là ! La vie m’aime et savoir cela suffit à me donner chaque jour le sourire ! ». Aux propos de Martin, j’ajouterai que la base première de tout équilibre psychique et affectif est de s’aimer soi-même. Ça a l’air tellement bateau de le dire et pourtant… Lorsque je discute avec les gens (et avec moi-même parfois), je constate sans cesse à quel point ils ne s’aiment pas eux-mêmes : c’en est ahurissant le nombre de gens qui ont oublié cet amour qu’ils se doivent à eux-mêmes !

C’est sur ces bases que je dirai que la jalousie n’a rien à voir avec l’amour. Ni avec l’amour de l’autre. Ni avec l’amour de soi-même. La jalousie est un déni, un refus du réel qui consiste à vouloir priver l’autre de sa liberté et soi-même de la moindre considération. La jalousie est un mépris total pour l’autre et pour soi-même. La jalousie est une trahison de soi-même.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

La jalousie dont tu parles est particulière, elle vient d'une éducation particulière basée sur la monogamie et la fidélité. Dans le coin, presque tous les gens fonctionnent selon un mode contradictoire à notre nature. Pour moi le principe de donner son amour (sans même parler d'hormones) exclusivement à une seule personne est un grave trouble psychique, une névrose née de la construction d'une société absurde d'orgueil.
Cette jalousie n'a pas lieu d'être, mais je crois que nous avons, toi comme moi, (au moins un peu) été endommagé par ce type d'éducation en société.

Peace,

- sara -

Clairikine a dit…

Fiou.

N'oublie pas de me faire signe quand tu seras dans le coin :)

Élaine Germain a dit…

Merci, ce que ce beau texte me fait tan de bien! Si ce principe de respect et de confiance en soi et en l'autre était appliqué par tous, notre société irait tellement, tellement mieux... Alors, à défaut, luttons contre ce préjugé de base si fréquent consistant à considérer la jalousie dépendante de l'amour, voire une "preuve" (!!!!) d'amour...

Yopito a dit…

Je m'aime tellement médiocrement que je ne puis être jaloux de mon amour propre

Anonyme a dit…

mercipour ce petit texte sur la jalousie et la trahison. Il résonne \ raisonne en moi :)

Vincent Palumbo a dit…

C'est toujours un plaisir de te lire cher ami. En espérant que nos chemins se croiseront de nouveau un jour.

Véronica Ridens a dit…

dans ton billet, ce qui m'interpelle, c'est la notion de 's'aimer soi meme" en comparaison "d'aimer l'autre". je ne comprends pas le 's'aimer soir meme'', je pense que c'est le terme qui n'est pas adapté. s'aimer soi meme voudrait dire ressentir la meme chose que lorqu'on aime quelque d'autre. je veux bien que tu m'expliques le concept et voire si tu peux trouver une autre proposition.

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