Premier
voyage en Chine, septembre-novembre
2002.
Décollage
ici.
Expérience
précédente : The Lijiang Experience (Pt. 14).
07
octobre 2002 – 02 novembre 2002 : The Lijiang Experience,
Lijiang (Yunnan).
Quinzième
jour. Significativement, considérant mes réflexions de la veille,
je fais un rêve très important concernant ma mère. Depuis sa mort
(et même avant d'ailleurs), je rêve régulièrement qu'elle
m'agresse ou m'attaque de toutes les manières possibles. Je réagis
ou pas, d'un rêve à l'autre, parfois victime et parfois prêt à me
défendre… Mais cette fois-ci, nous formulons un pacte de
non-agression réciproque. Nous sommes loin de la réconciliation :
nous sommes sur le point d'en venir aux mains lorsque je lui fais mon
offre (ne plus s'approcher). À
ma grande surprise, elle accepte et s'en va (tout en me maudissant,
certes). Et comme elle part, je lui hurle : « je t'ai
tellement
aimé, tu sais ! ». Il faudra encore des années pour que
je cesse tout à fait de rêver d'elle, pour que la trêve se
transforme en réconciliation, puis en disparition. Ce rêve,
toutefois, est d'une importance capitale, un premier pas vers la
libération ! Dehors, le soleil inonde Lijiang et, faute d'avoir
des nouvelles de ma princesse indienne, je poursuis une
correspondance assidue avec mon amie Cycy, qui m'écrit presque
chaque jour depuis mon arrivée à Lijiang, me délecte de ces
anecdotes rigolotes dont elle est experte.
Il
me faut ensuite aller plus loin dans mon introspection.
Inévitablement, ma mère est la pierre angulaire de tout travail sur
moi. Je me remémore mes années de collège, lorsqu'elle était au
summum de sa violence. Presque aussi éprouvante que les nuits
entières à me faire rouer de coups, était l'incertitude dans
laquelle je vivais. Parfois, elle restait calme pendant deux ou trois
semaines, et parfois c'était un enfer incessant pendant trois ou
quatre jours. Mais tous les soirs, je rentrais du collège en
m'interrogeant sur l'état dans laquelle j'allais la trouver :
normale, ou folle et ivre ? Le simple fait de rentrer chez moi
était source de tension. Ensuite, je marchais sur des œufs :
il suffisait parfois d'un rien. On ne savait jamais quelle remarque
innocente, quel incident anecdotique allait déclencher sa fureur. Il
suffisait de peu, et une fois le mécanisme enclenché, on en avait
pour la nuit entière, parfois davantage… Ainsi donc, même durant
les périodes d'accalmie, je vivais dans la peur. Je trouvais mes
exutoires où je pouvais, me réfugiais dans mon imaginaire, trouvais
quelque paix au collège et chez ma grand-mère. J'ai supporté ça
pendant trois ans. Et puis j'ai senti mes quinze ans approcher,
l'enfance s'éloigner, ma force physique augmenter. J'ai compris
qu'il me fallait fuir sous peine de tuer ma mère. Un jour où
l'autre, je me serais défendu. Le cas échéant, ma violence eut été
proportionnelle à la sienne. C'eut été un combat à mort. Je ne
tenais pas spécialement à en arriver là, alors je suis retourné
chez mon père. Socialement, cela me coûtait énormément :
encore un déménagement, encore un changement d'établissement
scolaire… J'en avais déjà connu trop : quatre écoles
primaires, deux collèges… Je n'en étais certes pas à un
troisième collège près. Mais cela signifiait, une fois encore,
être le nouveau, l'outsider,
devoir me reconstituer un tissu social… Que faire d'autre ? Je
ne pouvais plus vivre cet enfer. Trois ans. Quand j'y repense, je me
demande comment j'ai fait pour tenir trois ans dans ces conditions…
« Sa
pipe aux lèvres, il crache, et il ronchonne à travers sa pipe !
-
C'est dégouttant, cette pipe !
-
Pourquoi fumez-vous, alors ?
-
Je n'en sais rien. »
Maurice
Genevoix, Ceux de 14.
Comme
en réponse à ces méditations, j'écris Aura
2 moi (Pt. 2), suite inédite
du désormais classique Aura 2 moi.
Photo : Dr. Ma Pingke |
Le
reste de la journée consiste à converser encore et encore avec
Yanli, Woo Di et Yosuke. La soirée à terminer (enfin !) ma
lecture de Ceux de 14…
L'idée de quitter Lijiang ne m'est même pas venue à l'esprit
aujourd'hui. Je tente aussi, jour après jour, de séduire la chatte
angora du Prague Café, la bien nommée Miaomi. Son bébé joue
volontiers avec moi, mais la mère me snobe avec un dédain
outrancier. Dès que je veux la caresser, elle s'en va. Elle n'a pas
peur de moi : elle me méprise, c'est tout. Je m'échinerai
vainement à essayer d'obtenir sa considération jusqu'à mon départ.
Yanli, lorsqu'elle souhaite la nourrir, l'appelle
« Miaomiiiiiiiiiii », avec le « i » final
prolongé et très aigu. Je m'inspire de cela pour composer une
micro-chanson, que je déclamerai sans cesse à la chatte au plus
grand amusement de Yanli : « Miaomiiiiiiii, why don't you
like meeeeeee? ».
« Bérémond
a eu le courage de monter : il est arrivé avec deux seaux de
jus, plein encore presque à moitié, il s'est excusé d'en avoir
renversé en route et de n'en avoir rapporté que deux : ''C'est
la faute de Pinard, a-t-il dit. On en avait bouillu trois seaux :
mais Pinard a reçu une shrapnell dans la tempe, il est tombé la
tête au dessus du seau ; du sang plein d'dans : c'était
pas buvable…'' Et il ajoutait : ''Si Pinard avait vu
c't'ouvrage !… Heureusement qu'il était mort.''
Maurice
Genevoix, Ceux de 14.
Prochaine
expérience : The Lijiang Experience (Pt. 16).
4 commentaires:
Merci Shaomi... <3
J'ai quelques uns de mes amis sur Paris, un de ceux-là tout du moins qui a également connu de la maltraitance venant de l'un de ses deux parents pendant son enfance,à présent pleinement épanoui dans sa vie d'adulte, et vivant de son expression artistique de nos jours, ce qui n'est pas vraiment le cas pour ce qui me concerne, n'ayant eu à subir aucune maltraitance parentale physique ou d'abus à proprement parler, et je ne vis absolument pas de mon propre travail artistique par ailleurs !
C'est un mystère en soi le phénomène de la résilience personnelle, celle de sa propre histoire, et de son héritage mal assimilé, qui fini par se résoudre un jour pour soi-même, un travail continu étalé sur toute une vie, tel que le décrit le psychiatre éthologue à succès médiatisé de librairie, un certain Boris Cyrulnik, lui-même un enfant rescapé des camps de concentration nazi il me semble ...
Mais tout le monde ne devient pas artiste pour autant, le mystère de la poésie reste toujours insondable, impossible à saisir par le seul raisonnement, et je pense que Shaomi serai devenu un artiste de toute façon, avec ou sans enfance pénible, c'est l'actualisation de son propre potentiel qui n'est jamais simple à mettre en oeuvre voilà tout ?
Moi-même je pense avoir été épargné et mis à l'abris de tous besoins matériels jusqu'à présent, cependant l'abîme de dépression mélancolique m'a bel et bien paru sans fin et insurmontable jusqu'à l'approche de la quarantaine ...
Les démons et autres esprits ravageurs, transmis par les parents, sont parfois reçu en héritage d'un lointain lègue du passé, puis finissent par se cristalliser un jour chez un descendant plus sensible ou plus réceptif peut-être bien ?
Devenir vraiment soi-même, c'est un coût énergétique qui mérite tout les efforts du monde, un sacrifice qui ne reste certainement pas à la porté de tout le monde non plus , prêt à sonder au plus loin ses propre abîmes ?
Amateur de culture tout aussi bien classique, comme populaire, avant-gardiste ou au contraire traditionnelle, j'ai même visionné d'une traite quasiment pendant un été, en téléchargement libre depuis YouTube, une déjà ancienne série animée, adaptée d'un manga à succès,au titre traduit par "D Gray man", sous la forme très classique justement d'un roman initiatique, celui d'un jeune héro épique apprenti sorcier, qui exorcise tous les démons de son entourage, à mesure qu'il gagne en puissance, et en expertise l'expérience aidant ...
A ce propos l'auteur du manga en question s'est d'ailleurs arrêté à l'épisode 103 des sa série épique, suite à des problèmes de santé il me semble, comme si les démons inspirés de sa propre vie, avaient fini par le prendre de court, ou bien les impératifs de rentabilité économique de sa série populaire, le surmenage et le stress lié à la vente de ses publications, ont fini par avoir raison de lui également ?
Mais qui donc n'aurai pour lui-même aucuns "démons" à affronter, pour s'affranchir de lui-même de toute façon ?
Je viens juste de me relire, en relevant quelques-unes de mes fautes de frappes au passage, mais surtout en m'apercevant que je venais de décrire pour bonne partie la photographie d'illustration qui accompagne ici ton texte Shaomi ! C'est drôle tout de même ... Il faut croire que j'ai un cerveau qui marche à deux vitesses, l'un conscient et limité dans son déploiement, l'autre quasiment ouvert sur l'infini de l'horizon, mais cette emprise est bien trop folle pour être entièrement maîtrisée ? L'entrée du temple reste ici bien gardée, par les fauves en posture de part et d'autre, mais ce sont des gardiens de pierre finalement, juste un héritage du passé, rien de bien effrayant n'est-ce pas ?
je te suis Shaomi..je te suis.... <3 (Mandy)
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