Premier
voyage en Inde, février-mars 2001.
06
février 2001 – 09 février 2001 : The
Golden Temple Experience,
Amritsar (Punjab)
La
religion sikh est un syncrétisme entre islam et hindouisme, créé
au seizième
siècle
par un homme las de voir les deux communautés se taper sur la
gueule. En conséquence, de deux, on passa à
trois communautés qui se tapaient sur la gueule. Le Temple d’Or
est, pour les sikhs, le lieu saint des lieux saints. Y pénétrer
implique donc un certain nombre de règles : n’y introduire ni
tabac ni drogues ni alcool, ne pas y avoir de relations sexuelles,
ôter ses chaussures et se couvrir la tête. Heureusement, concernant
ce dernier point, il n’est nul besoin d‘apprendre à nouer autour
de son crâne l’interminable turban des sikhs, véritable sari
capillaire. En lieu et place, on vous donne à l’entrée un petit
foulard. J'en prends un violet, que j'emporterai avec moi en
souvenir. Je triche un peu sur les clopes : je les fume dehors,
mais je les garde dans ma poche.
Il
règne en ces lieux une sérénité idéale pour débuter mon
expérience indienne (ne fut-ce que parce que j’y suis protégé
des rabatteurs en tous genres). Difficile d’imaginer qu'en 1984,
cet endroit paisible fut en partie démoli par des chars de l'armée
indienne et témoin du massacre de quatre-vingt-quatre
indépendantistes sikhs. Cet « incident » entraîna, en
représailles, le meurtre du premier ministre Indira Gandhi par ses
gardes du corps sikhs (fallait-il qu'elle soit bête, aussi, pour
s'entourer de gardes du corps sikhs après avoir trashé
leur Temple d'Or !). Et comme en Inde la roue du karma ne cesse
de tourner, ce meurtre entraîna à son tour le massacre de quelques
trois-mille sikhs par les foules hindoues hystériques. Mais en 2001,
nulle trace de tout ceci : le Temple d'Or est redevenu un
sanctuaire.
On
appelle l’ensemble du complexe « Temple d’Or », mais
le véritable Temple d’Or est posé sur une presqu’île, au
milieu d’un grand bassin, lequel est entouré de différents
bâtiments. Ça et là, on trouve des dévots en vitrine, bien
vivants et tout occupés à lire la « bible » des sikhs,
activité qui doit être maintenue vingt-quatre heures sur
vingt-quatre ! Une musique sacrée, jouée en live
par de vrais musiciens et chanteurs, est quant à elle diffusée par
les haut-parleurs vingt heures sur vingt-quatre (ils font quand même
une petite pause la nuit). Je ne le visite pas, mais un musée décrit
dans les détails les supplices infligés aux sikhs au fil des
siècles : un touriste me raconte que c'est tout à fait atroce.
Des plaques rendent hommage aux soldats sikhs tombés pour la patrie,
lors de divers conflits opposant l'Inde au Pakistan ou à la Chine. À mon arrivée, on me conduit dans la salle où sont logés les
étrangers. M'y attend la modeste paillasse qui me servira de lit
(j’y dormirai au demeurant fort bien, bercé par l’incessante
liturgie). Cette salle est d'ailleurs un privilège en soi : les
pèlerins, eux, ne disposent pas de dortoir. Ils dorment par terre,
éparpillés un peu partout.
Deux
fois par jour, un repas est servi aux centaines de fidèles. Sans la
moindre obligation, ceux qui souhaitent payer de leur personne
peuvent contribuer à la cuisine ou à la vaisselle (j’opterai pour
la vaisselle). Je passe la plupart du temps seul au milieu de la
foule, dans l’enceinte du temple ou dans le parc attenant,
m’accoutumant à ce monde étrange et nouveau. Personne ne me
demande rien. Le second jour, je me décide à m’incruster dans la
file incessante de ceux qui vont honorer Dieu. Il me faut bien voir
ce qu’il y a à l’intérieur de ce temple ! Je me retrouve
devant l’autel, à côté des musiciens. Ne sachant trop quels
gestes je suis censé accomplir, j’imite maladroitement ceux qui
m’ont précédé, espérant ne commettre aucun sacrilège.
En
parlant de sacrilège… Le troisième jour, je suis en train
d’écrire à propos de tout cela dans le parc. Un jeune sikh – je
ne lui donne pas plus de seize ans – vient s’asseoir à côté de
moi. Sans formalité, il me signifie qu’il éprouve un violent
désir de commettre avec moi le péché de chair (et ce sans aucune
compensation financière, il a juste envie de baiser !).
Évidemment (ça serait trop simple), il ne parle que le punjabi,
aussi ai-je le plus grand mal à lui faire comprendre que je ne suis
pas intéressé (j'en suis réduit à mimer avec mes mains une
poitrine de femme, ce genre de trucs…). Obstiné, il tente
pêle-mêle de me tripoter les parties et de me rouler des pelles !
Cette situation me met d’autant plus mal à l’aise qu’il y a
des sikhs qui se promènent tout autour : je n’ai pas trop
envie de passer pour un pervers aux abords du lieu saint qui
m'accueille. Au bout de dix minutes de tentatives plus impudiques les
unes que les autres, il finit par se décourager et je soupire de
soulagement. Bien mal m’en prend car un instant plus tard, il
revient en compagnie d’un gros barbu d’une cinquantaine d’années,
qui lui aussi ne parle que le punjabi. Les deux me regardent en
souriant bêtement et je me demande ce qu'ils me réservent, lorsque
le jeune me fait finalement comprendre que peut-être si je ne veux
pas coucher avec lui (le jeune et bel éphèbe), je serais peut-être
intéressé de me taper son pote (le vieux barbu obèse) ! Je ne
sais trop si je dois en rire ou en pleurer mais je décline de
nouveau et, toujours souriants, ils n’insistent pas et repartent.
Des fois néanmoins qu’il ne leur prenne l’envie de revenir avec
un vieillard ou une femme ou un animal ou quoi que ce soit qui leur
paraisse susceptible d’éveiller enfin ma libido, je m’empresse
de me réfugier dans l’enceinte du temple.
Après
la tombée de la nuit, je me retrouve assis en lotus au bord du
bassin, face au temple, et je réalise où
je suis.
Je veux dire, on s’habitue incroyablement vite à l’inhabituel.
Je me souviens d’un-coup-comme-ça-clac
que je suis à l’autre bout du monde, en Inde, à Amritsar, dans le
sanctuaire d’une religion dont j’ignorais deux mois plus tôt
qu’elle eut même existé ! Je suis alors comme pris de
vertige devant l’énormité de ce constat : je
suis à l’autre bout du monde, en Inde, à Amritsar, dans le
sanctuaire d’une religion dont j’ignorais deux mois plus tôt
qu’elle eut même existé !
Autour de moi, il y a des centaines de gens qui parlent des langues
inconnues, qui portent de curieux vêtements, qui font des choses que
je ne comprends pas toujours ! Je suis en face d’un bâtiment
recouvert de feuilles d’or, qui étincelle de tout ses feux dans la
nuit étoilée. À
l'intérieur, d’infatigables musiciens jouent imperturbablement !
Et le ciel étoilé là haut, je ne l’ai jamais vu sous cet
angle-ci ! C’est comme une grosse claque, un « Hé, mec,
t’aurais pas un peu oublié de t’émerveiller ? » qui
me saisit au cœur. Alors je m’émerveille tant et si bien que je
manque de peu de fondre en larmes, tant
tout cela me parait soudain immense et merveilleux ! Plus que
jamais avant peut-être, je réalise ma chance et ma joie d’être
au monde.
Comme
pour me récompenser de cette (re)prise de conscience, la vie me fait
deux cadeaux. Rattrapé par le concret, je me souviens soudain qu’on
est vendredi soir et qu’en Inde les banques sont fermées le
week-end. Hors, je m’apprête à partir le lendemain et je n’ai
presque plus une roupie en poche. Je suis en train de me demander
comment je vais faire lorsqu’un Indien très aimable m’aborde, se
présente… et me demande si j’ai besoin de changer des travellers
cheques ! Je vous jure que c’est arrivé comme ça !
Après quoi je tombe sur le Français que j'avais rencontré à la frontière. Nous causons et il se trouve que nous partons tous deux
pour New Delhi le lendemain. Sauf que lui est en voiture, et qu'il me
propose de m'emmener ! Comme il est est adorable et que ça me
fait économiser de précieuses roupies, je saute sur l'occasion. Et
je remercie le dieu des sikhs pour sa bienveillance !
Le
lendemain matin, je retrouve l’homme tombé du ciel. Je
l’accompagne chez lui pour la transaction, que son épouse
ornemente d’un thé et de quelques gâteaux. Il habite une petite
maison humble, mais décorée avec élégance. C'est de toute
évidence un homme assez aisé. Il me montre aussi sa licence (vraie
ou fausse), pour me prouver qu'il est un changeur agréé. Nous
conversons un bon moment de choses dont j'ai tout oublié, puis je
file car j’ai rendez-vous avec mon ami taxi.
Prochaine
expérience : The Highway Experience.