Le récent « dérapage » d’Eric Zemmour à propos du fait que les contrôles de police aléatoires visent prioritairement les « Noirs » et les « Arabes » (je cite : « la plupart des trafiquants sont Noirs et Arabes… c’est un fait ») provoque le scandale et j’ai le sentiment qu’une fois de plus, tout le monde passe à côté du vrai problème. Soit dit en passant, je ne trouve pas les propos de Zemmour si choquants que cela, parce que dire que tous les chiens ont quatre pattes ne revient pas à dire que tout ce qui a quatre pattes est un chien. Autrement dit, il ne faudrait pas faire dire à Zemmour ce qu'il n'a pas dit (à savoir que tous les Noirs et tous les Arabes seraient des trafiquants). Pour autant, je reconnais qu'il n'a pas fait preuve d'une grande finesse en tenant de tels propos à la télévision.
On peut néanmoins reconnaître à M. Zemmour une honnêteté dont n’avait pas su faire preuve Nicolas Sarkozy, il y a quelques années. Alors ministre de l’intérieur et n’en étant déjà plus à un mensonge près, Sarkozy avait soutenu mordicus (face à Fogiel, je crois) que « Non non non, bien sûr que non, les personnes issues de l’immigration ne subissent pas davantage de contrôles aléatoires que les autres citoyens, comment pouvez-vous insinuer que notre belle police bla bla bla… ».
Mais il y a une vraie question qu’il faudrait peut-être se poser. Dès lors que l’on admet l’existence de cette discrimination, quels sont ses effets directs et indirects sur la tranche de population concernée. On nous rabâche que les jeunes issus de l’immigration ne « respectent pas les valeurs de la République » mais enfin de quelles valeurs parle-t-on ? Les valeurs d’un état policier où le fait d’être basané justifie des contrôles d’identité, des fouilles au corps, des intimidations, des insultes parfois ? C’est ça, les « valeurs » de la France ?!
Alors je vois déjà certains lecteurs s’insurger : « Mais enfin de quoi parle-t-il ? Demander sa carte d’identité à quelqu’un n’est ni une agression ni une intimidation ! Les policiers de ce pays ne sont pas des brutes ! Tout ça s’effectue dans la plus grande courtoisie ! ».
Alors attendez les gars, on ne me la fera pas à moi. Les contrôles d’identité, les fouilles en règles, j’y ai eu droit plus souvent qu’à mon tour, entre dix-huit et vingt-cinq ans. Ben oui, il y n’y a pas que les Noirs et les Arabes qui sont dans le collimateur des forces de l’ordre : il y a aussi les d’jeun’s. Maintenant que je suis trentenaire et bobo, on me fiche une paix royale. Mais à l’époque où j’avais un look un peu babacool, c’était une autre affaire ! Parce qu’il faut voir comment ils se déroulent, les contrôles en question : dans deux cas sur trois, je me suis retrouvé insulté, humilié, intimidé, parfois menacé par des fous en uniformes, dont l’objectif était clairement de provoquer l’infraction qu’ils cherchaient vainement dans mes poches, à savoir l’outrage à agent. Je me souviens très bien du sentiment d’humiliation et d’injustice que provoquaient en moi ces agressions récurrentes : j’étais suspect, j’étais présumé coupable jusqu’à preuve de mon innocence, j’étais juste bon à me faire traiter comme une merde sans raison valable. Ils s’y sont d’ailleurs tant et si bien pris qu’ils ont fini par l’avoir, leur outrage (une plaisanterie qui me coûta, en 1999, quatorze heures de garde à vue, trois-mille francs d’amende et autant de frais d’avocat !).
Je me souviens encore du juge scandalisé « par le comportement de ces jeunes qui empêchent la police de faire son travail ». Quel travail ? La police nationale n’avait-elle donc rien de mieux à faire que de m’arrêter, me faire les poches et me traiter comme un délinquant avéré juste parce que je marchais dans la rue ? Je finissais par changer de trottoir à la vue d’un groupe de policiers, en ressentant les mêmes craintes que face à un groupe de « racailles » ! Certes, j’ai également été confronté à des fonctionnaires de police beaucoup plus sympathiques (si, si, il y en a aussi de très gentils), mais c’était l’exception davantage que la règle.
Alors puisqu’on nous parle d’identité nationale, j’estime raisonnable de se poser la question : si le jeune caucasien, issu d’une famille bourge, que je suis a pu développer une peur instinctive et une « haine » du gendarme, que peuvent donc ressentir les jeunes issus de l’immigration ? Quel sentiment d’appartenance à la France peut avoir un jeune Maghrébin ou un jeune Noir qui, à vingt ans, a déjà fait l’objet de dizaines de contrôles de police, effectués avec une agressivité avérée ? N’entretient-on pas chez eux le sentiment d’un « nous contre eux » ? Ne les pousse-t-on pas insidieusement au rejet de ces institutions qu’on leur demande par ailleurs de respecter ?
J’irai même plus loin : dans quel pays vivons-nous, que la police a le droit d’arrêter n’importe qui au hasard, de l’interrompre dans sa journée et de lui vider les poches en se montrant désagréable ? Est-ce digne d’une démocratie moderne ? Est-il légitime qu’un citoyen du « pays des droits de l’homme » puisse être ainsi intimidé s’il n’a commis aucun délit au préalable ? Dans un contexte d’insécurité galopante, alors qu’une génération entière de gamins est livrée à elle-même et décérébrée par les « valeurs » que lui enseignent TF1 et M6 (en gros : « fais un max de fric et baise tout ce que tu peux, voilà la clé du bonheur ! »), la police n’a-t-elle pas mieux à faire que de farfouiller dans les poches des passants et de se comporter comme les voyous qu’elle est censée poursuivre ? N’y a-t-il donc en France aucune agression, aucun viol, aucun vol, aucun crime qui ne soit résolu, pour que nos policiers soient à ce point désœuvrés ? Parce qu’il faut les voir errer « en bande » à la recherche d’une « proie », tout cela aux frais du contribuable ! On se demande vraiment dans quel pays on vit !
Alors voilà la question que j’ai envie de poser à M. Besson à propos de l’identité nationale : quel impact ces contrôles d’identité peuvent-ils avoir sur le « sentiment d’appartenance à la République » ?
Et voilà ma réponse : le pire, le plus déplorable. Celui-là même qui entretient un sentiment de « non-identité nationale » et de « loi du plus fort » ! C'est un encouragement à la violence et à la délinquance, ainsi qu'au mépris des institutions.
Et cela, j’en suis absolument convaincu.