20 juin 2009

Naturel, pas naturel...


Je suis toujours très étonné, en tant que végétarien, de la violence de la réaction de certains omnivores face à un mode de vie certes affiché, mais jamais de façon militante. Régulièrement, des gens à qui je ne demande rien tentent de me démontrer l'absurdité de mes habitudes alimentaires. Les arguments rivalisent alors de mauvaise foi, avec en tête de file cette phrase qui revient sans cesse : « c'est pas naturel ».

Ainsi donc le végétarisme serait « mal » parce que l'homme est naturellement omnivore et qu'il serait « néfaste » de s'éloigner de notre comportement « animal ». Lorsque l'on sait les dégâts causés à l'environnement par l'industrie agroalimentaire, sans parler du fait que cet argument provient de gens qui vivent en ville, portent des vêtements, se chauffent en hiver, conduisent des voitures, utilisent des contraceptifs et ont toutes sortes de comportements qui n'ont pas grand chose de « naturels », j'ai déjà du mal à être réceptif.

Mais cette argument ouvre surtout la porte d'un raisonnement qui, vous le verrez, est une véritable boite de Pandore !

Manger de la viande pour obéir à ses instincts, pourquoi pas ? Mais où s'arrête-t-on ? Parce que, si l'on creuse un peu, on se rend compte que le meurtre et le viol sont également des comportements naturels de l'homo sapiens sapiens en tant qu'espèce. Leur pénalisation serait donc tout aussi anti-naturelle que le végétarisme, et devrait de fait être remise en cause.

Je vous vois déjà pousser des cris et vous dire intérieurement que je raconte n'importe quoi, et pourtant si vous regardez l'espèce humaine du point de vue d'un zoologiste : c'est vrai !

Il existe très peu d'espèces dont les individus tuent les membres de leur propre espèce, mais il en existe (je pense entre autre aux coqs ou à certaines araignées) et l'homme en fait partie. Sans le cadre de la loi, sans le poids de la morale et de l'éducation, sans la peur de la sanction, l'homme peut très facilement céder à ses pulsions meurtrières et l'Histoire comme l'actualité nous montrent chaque jour qu'il ne s'en prive pas, malgré la loi, la morale, l'éducation et les sanctions. Ces choses n'existent pas chez les loups, leur nature leur dicte de ne pas s'entretuer. L'homme, lui, tue l'homme pour un oui ou pour un non (et plus souvent pour satisfaire à une pulsion que pour des raisons idéologiques). Se laisser aller à certains comportements sous prétexte qu'ils sont naturels devrait donc nous conduire à la légalisation du meurtre, que l'on considèrerait alors comme un débordement fâcheux mais acceptable.

Il en va de même du viol : l'acte sexuel imposé par la force existe également chez certaines espèces animales (les guépards, par exemple). Là encore l'Histoire et l'actualité nous montrent que le mâle humain a une propension non négligeable à ce comportement et que le moindre prétexte (de la guerre aux effets de l'alcool en passant par l'espoir de ne pas être pris) est bon à prendre pour abuser sexuellement d'une femme. Donc la soumission de l'être humain à sa nature devrait nous conduire à une légalisation immédiate du viol !

Alors il va de soi que la plupart des êtres humains admettent l'idée que certaines pulsions doivent être réfrénées pour le bien commun, que les comportements énoncés plus hauts sont inacceptables et doivent être combattus. Mais alors on se rend compte que l'argument « ce n'est pas naturel » ne tient pas : tout n'est qu'affaire de choix éthiques. La plupart des individus et des civilisations estiment que la morale nous dicte de ne pas nous entre-tuer, de ne pas abuser sexuellement de nos prochains (ce dernier point étant déjà beaucoup plus flou dans nombre de sociétés, à commencer par la nôtre), mais que la torture et le meurtre de membres d'autres espèces à des fins alimentaires (voire récréatives) est un comportement parfaitement acceptable. C'est un choix moral qui consiste à faire preuve de compassion dans un cas, et à s'en montrer incapable dans l'autre. Je m'interroge d'ailleurs sur le bien fondé de notre compassion dans le cas numéro un : est-ce réellement de la compassion ou simplement le choix d'interdire quelque chose qui pourrait nous arriver à tous (alors que l'on a assez peu de chance d'être mangé par un autre être humain) ?

Cela peut être sujet à discussion, mais la morale et la compassion ne sont - a priori - pas des comportements naturels. Ce sont des comportements induits par des valeurs acquises et un consensus social. Pour ne citer qu'un exemple (mais il y en aurait bien d'autres), l'esclavage des Noirs n'émouvait pas grand monde à une certaine époque. Les Noirs étaient des animaux, ou du moins des sous-hommes, et par conséquent ils n'avaient aucun droit et leur vie n'avait aucune valeur. Des millions de gens de par le monde trouvaient cela parfaitement normal... et naturel.

Alors si vous voulez bouffer de la viande, bouffez de la viande. Testez éventuellement votre compassion et vos choix moraux en regardant des vidéos d'abattoirs (Youtube en regorge) ou en égorgeant vous même un lapin mais si après avoir fait l'un ou l'autre vous considérez toujours que manger les autres est votre droit, ou que votre plaisir à le faire vaut plus que la souffrance de ceux qui sont mangés, alors ma foi faites-le.

Mais ne venez pas m'emmerder avec mon végétarisme, parce qu'il ne s'agit pas de « nature » mais d'éthique. L'éthique des Talibans leur dicte que lapider une femme est naturel. Votre éthique vous dicte que manger de la viande est naturel. Mon éthique me dicte que ne pas en manger est aussi naturel que ne pas égorger mes voisins (et pourtant Dieu sait qu'ils m'emmerdent) !

De ces trois éthiques, laquelle est la plus juste ? Ce n'est qu'une affaire de points de vue et la « nature » s'en contrefiche.

Mais s'il advient que l'Histoire avance dans le sens du progrès moral et de l'égalité des droits, il est vraisemblable que nos lointains descendants seront végétariens. Leur regard sur l'homme du XXIème siècle sera alors aussi sévère que notre regard sur les esclavagistes du XVIème siècle.

17 commentaires:

John Peter B. a dit…

"tout n'est qu'affaire de choix éthiques." Evidemment ...

Nathalie Chausseau a dit…

Merci pour ce bel article!! Je ne peux pas dire à quel point ça m'a fait du bien de lire ça. :)

Rouge a dit…

et être conien c'est naturel?

Valeria Pacella a dit…

et l'homosexualité c'est naturel?

Valeria Pacella a dit…

je suis vegetarienne par gout...on m'a souvent dit que si je manquais de fer c'est parce que je ne mangeais pas de viande,qu'ils aillent se faire f....cest que des conneries

Fille Médusée a dit…

Tant que les végétariens font pas chier les non végétariens, je vois pas le probleme. Moi je bouffe William Saurin, et je fais pas chier ceux qui bouffent bio. Ya rien de "naurel" et "pas naturel". "Normal", "pas normal".

Nicolas Manenti a dit…

bon alors si tu passes à berlin, la currywurst on oublie?!

Thierry a dit…

Souffrances des animaux + Pollution de la Terre... et ça c'est vraiment pas naturel !
L'élevage de viande est le plus gros pollueur de la planète. Son impact sur l'environnement est juste hallucinant : Gaz à effet de serre (+ que le transport!), dégradation de l'eau, des sols,...
Comme toi je pense que l'Homme de demain sera végétarien ... par obligation!
Merci pour ce texte.

severineide a dit…

Mais qu'est-ce que ça peut bien foutre aux gens que tu ne manges pas de viandes...? Ils ont des actions chez Charal...?! 0_o
Je me répête sans doute mais... EMMERDE LES GENS !
(J'aime bien la p'tite remarque sur les voisins ;) )

Sandro Secci a dit…

je suis d'accord avec toi... en gardant une attitude sur le sujet qui est plutôt ouverte : chaque conviction est une opinion ;)

Nadege Rene a dit…

j'en discute rarement parceque ça vire direct à la justification, ça gave, perso chacun fait ce qu'il veut, je pousse meme la tolérance à parfois cuisiner de la viande pour des amis omnis, ou ma famille, mais ce qui m’insupporte et me file envie de filer des coups de poele, c'est le mec (ou la nana) a qui tu viens de cuisiner un bout de barbaque qui trouve opportun d'essayer de te convaincre d'en manger ou qui te balance la souffrance des radis en échange... ceci dit les VG intégristes, y'en a, me font tout autant

Laurent Cabiac a dit…

vous pouvez ajouter que c'est pas en insultant les gens qu'on peut les convaincre facilement

Fabrice Brunet a dit…

Je tends à moins manger de viande, peut-être même beaucoup moins, les habitudes ont la vie dure !

Sue Susy a dit…

..j'espère un jour ne plus manger d'êtres vivants..

Claude Curutchet a dit…

Moi Totaly Veg. C'est ontologique ...

Loïc Hougnon a dit…

Et puis on vit à une époque où, au nom de la liberté, de l'égalité ou de la tolérance, le moindre désir, la moindre pulsion se revendique sous forme de droit, alors va luter contre un relativisme morale institutionnalisé...

Val Demonac a dit…

J'ai effectivement beaucoup de mal avec les attitudes prosélytes - quand elles ne sont pas carrément dictatoriales ! - des uns et des autres : c'est quoi le problème des gens, en fait ? Ca les emmerde quand on ne fait pas comme eux ?
Je suis une carnivore a ses heures, mais bordel, c'est mon choix et ne regarde que moi, tout comme c'est votre droit le plus strict de mettre ce que vous voulez dans vos estomacs !

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