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9 février 2013
1 février 2013
De la crispation sur le « mariage pour tous » et des nouvelles technologies
Je
discutais ce soir avec un ami de la question du fameux « mariage
pour tous » et de son étonnement face à la crispation que
l'on constate, alors que cette loi nous apparaît à lui et moi comme
une évidence. Moi je ne suis pas surpris parce que, comme je le dis
souvent (et c'est impopulaire) « les vieux sont trop vieux, il
faut qu'ils meurent ». La question du mariage homo est une
« non-question » pour la plupart des gens de ma
génération : le simple fait que certains le demandent,
associée au fait que de toute évidence, cela ne fait de mal à
personne, suffit. La question même de l'adoption nous choque à
peine moins : la parentalité est si dissolue aujourd'hui qu'il
vaut mieux un couple homo solide qu'un couple hétéro en mode
autodestructeur.
Je
parlais récemment de tout cela avec deux personnes plus âgées que
moi, qui m'ont opposé deux objections.
La
première est que si l'on autorise le mariage pour les homosexuels,
on autorisera demain les mariages polygames et les mariages avec des
animaux. L'argument est ahurissant pourtant je l'ai aussi entendu à
la télévision. Sauf que, si je connais un certain nombre de
personnes homosexuelles ou bisexuelles, je n'ai encore jamais
rencontré de personnes vivant durablement en ménage à trois ou
plus et encore moins de personnes revendiquant une
relation de couple, avec ses implications sexuelles, avec un animal.
Pourtant, je connais vraiment beaucoup de gens, parmi lesquels pas
mal de « freaks » ! Ce raisonnement par l'absurde
est donc le fruit d'une imagination débordante qui n'a rien à voir
avec le réel. Il y a bien entendu la question de la polygamie
islamique, mais elle est en telle opposition avec les valeurs
laïques qui sont associées au mariage homosexuel que jamais ceux
qui défendent celui-ci ne défendront celle-là.
La
seconde (objection) est que le mariage homosexuel contribue d'une
destruction systématique des valeurs traditionnelles et familiales.
À cela j'oppose que si l'on y va par-là, les hétérosexuels
s'y sont très bien pris tout seuls pour anéantir les valeurs
traditionnelles et familiales et ce depuis cinquante ans. À la
limite, les homosexuel(le)s surprennent presque à vouloir se
« normaliser » par le mariage, quand ils clamaient encore
il n'y a pas si longtemps leur droit à la « différence ».
La revendication du mariage homo serait donc, finalement, une
revalorisation de la notion traditionnelle du mariage.
Ce
qui m'intéresse ici, plus que de prendre parti pour le mariage
homosexuel (mes lecteurs savent que je n'aime pas prendre parti),
c'est de soulever l'impact qu'a la technologie sur l'être humain.
L'une des deux personnes qui m'ont récemment opposé leur refus du
« mariage pour tous » se trouve être née en 1939
(autant dire au Moyen-Âge, vu l'accélération de l'Histoire). Cette
personne est convaincue que les valeurs et le fonctionnement de la
société occidentale de la fin du dix-neuvième siècle représentent
l'apogée du progrès humain, et qu'il conviendrait de se figer
éternellement sur ceux-ci. Je ne chercherai même pas à débattre
du fait que cela soit souhaitable ou non, simplement parce que cela
est impossible. Depuis la fin du dix-neuvième siècle, et même
depuis l'enfance d'un Français né en 1939, l'espèce humaine a été
soumise à une série de bonds technologiques sans précédents :
que ce soit au niveau de la médecine, des moyens de transports et de
communication, nous disposons d'outils et de moyens qui dépassent
l'imagination de nos ancêtres et ce n'est que le tout, tout début.
Je
suis convaincu d'une chose : l'automobile, l'aviation, la
télévision, internet, l'informatique, les smartphones, les
transplantations cardiaques, la contraception, la physique quantique
et les fusées spatiales ont un impact décisif sur notre perception
du monde ! J'entends par-là non seulement notre perception
quotidienne mais aussi notre perception métaphysique de
l'existence. Mon interlocuteur m'affirma qu'il était tout-à-fait
possible de vivre à la manière de, et selon l'idéologie des
Européens de la fin du dix-neuvième avec la technologie du
vingt-et-unième. Il faut bien être né en 1939 et refuser de
comprendre le monde moderne, ou être aveugle, pour penser cela. Nous
sommes le fruit de notre environnement, notre environnement influe
inévitablement sur notre perception et nos convictions. Je m'en
rends bien compte pour avoir vécu en Asie ces dernières années !
Je ne serais aucunement l'être que je suis si je n'avais pas grandi
avec six chaînes de télévision et les enfants d'aujourd'hui, qui
grandissent avec deux-cent chaînes et internet, ne peuvent être
tels que moi. Je suis 1.0, ils sont 2.0, ceux d'avant moi sont juste...
0.0 (et ce sans jugement de valeur).
C'est
cela que nombre d'opposants au « mariage pour tous »
refusent d'admettre : le bouleversement sociétal et
métaphysique induit par les nouvelles technologies. Est-ce à dire
qu'il faille accepter n'importe quoi au nom du progrès ? Non,
parce que ce n'est pas nécessairement de « progrès »
que je parle mais de « changement ». Nous changeons,
l'espèce humaine change et nous n'avons aucune idée d'où cela nous
mène, parce qu'internet et l'informatique n'en sont qu'à leurs
débuts, parce que les nanomécaniques et les cellules souches (entre
autres) vont probablement bouleverser nos vies (et notre espérance
de vie) bien plus encore qu'aucune technologie jusque-là. Notre
relation à la famille, à l'espace rural et urbain, à la santé, à
la procréation, à la connaissance, à la géographie, à l'animal
et au végétal, aux notions mêmes de civilisation et d'humanité,
est en constante évolution. La liberté de parole dont nous disposons aujourd'hui grâce à internet (et dont nous mésusons si souvent) n'en est qu'un aspect.
Il
nous faut évidemment rester vigilants, il nous faut de la bioéthique
et de l'éthique en général. Il n'est pas question de renoncer au
concept de « valeurs » mais il faut admettre que les
« valeurs » d'hier ne sont pas nécessairement celles de
demain et que les problématiques qui se posent aujourd'hui dépassent
évidemment les notions de Gauche et de Droite. Il faut admettre qu'à
l'heure où l'on est capable de cloner des espèces préhistoriques
disparues et des êtres humains, les notions de procréation et de
sexualité ne peuvent plus être vues à la lumière d'autrefois. Il
faut aussi admettre que si la famille est un socle de la société
(en admettant qu'elle le soit), la famille est à réinventer car
elle est bien souvent dysfonctionnelle et cause de souffrances (elle
l'a toujours été !).
Ce
qui me ramène à ma position, essentiellement conservatrice en somme
puisque émise par Siddhârtha Gautama il y a
deux-mille-cinq-cents-ans : il faut chercher à éliminer la
souffrance. Je n'ai aucune certitude que les progrès technologiques
et la société qui est la nôtre aillent en ce sens, mais la
spiritualité y a au moins autant sa place (en tant que potentiel en
devenir) que la réduction de la douleur par moyens médicaux. Pour
autant, je ne crois pas que le mariage ou l'adoption homosexuels
puissent en rien augmenter la souffrance de mes concitoyens, ou la
mienne. Par ailleurs, je suis totalement conditionné par la
technologie qui m'entoure depuis ma naissance et, si cela ne m'empêche pas d'avoir du recul par rapport à elle, je suis en paix
avec cette réalité qu'il est plus raisonnable d'accepter. Enfin,
je crois que jamais mon interlocuteur né en 1939 ne pourra éprouver
l'émotion que j'éprouve en visionnant le générique de Drive
et pour cela, je le plains terriblement parce que moi, je puis
éprouver ce que lui éprouve en lisant un roman de Dostoïevski.
Ainsi
donc, il vaut mieux être né en 1976 qu'en 1939, et en 2013 qu'en
1976.